Sa signature est le carton, son univers, la nature. Une nature fantastique, onirique, source de poésie. Eva Jospin, artiste plasticienne née en 1975, investit jusqu’au 20 mars le Musée de la Chasse et de la Nature avec ses merveilleuses créations de carton. Une œuvre en particulier est au cœur de cette exposition, à laquelle elle donne son nom : “Galleria”. Réalisée spécialement pour l’occasion, il s’agit d’une spectaculaire structure architecturale, aux dimensions monumentales, qui elle-même contient d’autres œuvres dans lesquelles l’artiste magnifie le carton comme jamais et rejoue un certain nombre de thèmes qu’elle travaille par ailleurs : le dessin, la broderie, le fil de laiton… Dans les étages, ses fabuleuses constructions imaginaires, ainsi que les réalisations de ses artistes invités, s’inscrivent à bon escient dans le parcours de ce musée si singulier (1), jouant harmonieusement des correspondances.
L’exposition s’ouvre sur un balcon de métal duquel pendent de fines lianes… de carton. Celles-ci imitent si incroyablement la végétation qu’il faut s’approcher au plus près pour percevoir la réalité du matériau (la “supercherie” serait-on tenté de dire). L’illusion est parfaite. Bienvenue dans le monde d’Eva Jospin ! “On adore se confronter à l’illusion, s’explique l’artiste. On a un vrai plaisir là-dedans. L’aspect des forêts crée cette illusion mais si on s’approche, tout est là. On voit comment ça tient. On voit les cales. On voit qu’en fait, cela fait quarante centimètres de profondeur. J’aime l’idée qu’on puisse à la fois avoir le plaisir de l’illusion, mais qu’en même temps elle soit visible sous nos yeux.”
Ce “Balcon” (2015), où s’entremêlent nature et architecture, est un préambule à l’œuvre maîtresse qui se présente ensuite à nous : “Galleria” (2021). Cette architecture incroyable, de près de quatre mètres de haut, répond aux trois définitions du mot “galerie” en italien, à la fois galerie d’art, tunnel et passage couvert, avec, sur le côté, un grand bas-relief en forêt, celle-ci étant le thème de prédilection de l’artiste. Forêt des contes comme celle des balades du dimanche en famille, monde caché et pas totalement révélé, point de départ d’une rêverie… La “Forêt” est d’ailleurs l’œuvre qui révéla l’ancienne pensionnaire de la Villa Médicis à Rome au grand public et c’est justement une “Forêt” (2010), exposée, puis acquise il y a tout juste dix ans pour intégrer ses collections, qui marque le début de l’histoire d’Eva Jospin avec le Musée de la Chasse et de la Nature. On y découvrait son minutieux travail d’orfèvre, son art de couper, ciseler, plier et coller ce matériau simple à sa fantaisie.
“Galleria”, “œuvre-somme” en quelque sorte, ou rétrospective personnelle, comme le dit non sans humour l’intéressée elle-même, dans laquelle le carton imite de manière prodigieuse la pierre et la végétation, donne à voir la minutie et la virtuosité qui caractérisent la production artistique de la sculptrice depuis maintenant un certain nombre d’années. Cette construction démesurée abrite douze petites niches, œuvres dans l’œuvre, contenant chacune une vision microscopique du travail de l’artiste : des forêts, des broderies, un petit diorama, des dessins… et, tout au bout, apposée sur le mur du fond, une broderie dans un cadre imposant. Cette galerie aux aspects troglodytiques – Eva Jospin est une grande amatrice des architectures de ce type – répond à un travail à la fois à grande échelle et en miniature, d’une extrême délicatesse. Deux visions, deux dimensions cohabitent ainsi à l’intérieur de la même œuvre. Et l’on imagine aisément l’artiste manier tour à tour la scie sauteuse et le cutter, passer du burin au scalpel, affronter un matériau parfois rugueux et récalcitrant pour le ciseler ensuite dans le détail avec patience et précision. Découper, puis assembler, coller, superposer pour jouer avec les volumes, créer de la profondeur, du relief… Y ajouter des ornements. “Bois, carton, dessin à l’encre, papier calque, papier coloré, encre de Chine, broderie, fil de laiton et cuivre, coquillages” précise le cartel de ce véritable cabinet de curiosités. La préciosité côtoie la monumentalité dans cette installation baroque et féérique qui, intemporelle, s’inscrit néanmoins dans une histoire de l’art. Ainsi son incroyable plafond à caissons, forme archétypale par excellence, évoque-t-il à la fois ceux de l’Antiquité ou des passages du XIXème siècle.
Dans cette même salle des expositions temporaires du rez-de-chaussée, “Matera” (2018), une œuvre dense et compacte recouvrant tout le mur gauche trouve son inspiration dans la ville du même nom, située en Basilicate, dans le sud de l’Italie, qui a la particularité d’avoir été creusée dans une roche calcaire assez friable et dont l’ensemble des habitations troglodytes (Sassi) ont été sculptées à flanc de montagne. Les anfractuosités de la roche sont là encore rendues avec force et à la perfection par le carton.
Au premier étage, les œuvres d’Eva Jospin s’inscrivent tout naturellement dans le parcours de ce musée si propice à la déambulation. “Capriccio” (2019, ci-contre), “Cénotaphe” (2020) et “Nymphées” (2019) attestent du goût de l’artiste pour les grottes et les jardins, des jardins ouvragés comportant folies, monuments et constructions diverses. Ces mondes en carton, véritables lieux en soi dont toute présence humaine est absente afin de ne pas donner d’échelle, nous incitent à y projeter nos rêveries. Ils évoquent l’univers des contes, des mythes, sont les décors d’un récit que chacun se fait. Ce qui est merveilleux avec les œuvres d’Eva Jospin, c’est qu’elles sont totalement atypiques. “J’aime penser que mes œuvres se situent entre la sculpture, la scénographie et le trompe-l’œil, explique-t-elle. Dans la scénographie, c’est la lumière qui crée le décor, le trompe-l’œil a une surface et la sculpture doit exister à tous les niveaux. J’essaie de jouer dans ces trois effets-là, en terminant avec l’aspect sculptural. C’est pour cela qu’il y a tant de détails, car la proximité ne doit pas perdre d’intérêt.”
Au 2ème étage, ce nouvel espace intégré au musée après deux années de travaux, est présentée la fameuse “Forêt”, rénovée pour l’occasion. Superposition de strates, de couches, elle dévoile une nature fantastique dans laquelle se perd notre imagination.
Les œuvres des artistes invités d’Eva Jospin – les portraits miniatures d’oiseaux d’Aurore d’Estaing, les pages de livres controversés de Faustine Cornette de Saint-Cyr ou encore les sculptures de verre et de plexiglas de Guillaume Krattinger – viennent clore cette carte blanche.
Explorer dans ses moindres méandres, innombrables et insoupçonnés, ce matériau considéré comme pauvre qu’est le carton, créer un monde d’illusions où la nature est reine, tel est le credo d’Eva Jospin. Cette exposition nous invite à la suivre dans ses pérégrinations artistiques et poétiques.
Isabelle Fauvel
Une moderne arrière-petite-nièce de Joseph-Ferdinand, le Facteur Cheval ?