Les savoureuses histoires parisiennes de Georges Lenôtre

En ce 24 décembre 1677, madame de Sévigné avait, pour le dîner, fait au plus simple. Seulement huit services, pour l’après-messe de minuit, avaient été proposés aux convives au sein de l’hôtel Carnavalet. Potages, rouelles de viande, saucisses, daubes, fritures et courts-bouillons précédaient les premiers plats de résistance composés de langues de porc, langues de bœuf, farces, pâtés chauds, perdrix, faisans, dindonneaux, levrauts et chapons entourant l’agneau de Noël. La marquise s’était dit qu’après tant de viande il fallait songer à passer à un autre goût. Ce qui fait qu’elle avait fait suivre l’introduction déjà roborative par des saumons, des truites et des carpes cuites dans la pâte. Et par esprit de retour, elle avait conclu avant les desserts, par une proposition de viandes légères soit des petits oiseaux, grives, mauviettes, ortolans, cailles grasses que « l’on avale par pur amusement ». Cette diététique d’un autre âge a été précisément renseignée par Georges Lenôtre dans son livre « Paris qui disparaît » paru en 1937 chez Grasset. Au vu de ce que l’on mange aujourd’hui, le titre est pour le moins bien vu.

Selon la fiche technique de la BnF, Georges Lenôtre (1855-1935),  était un historien, auteur dramatique, élu en 1932 à l’Académie française. Il avait adopté le pseudonyme Lenôtre, en référence à l’architecte-jardinier de Louis XIV, son arrière-grand-père. En réalité il s’appelait Louis Léon Théodore Gosselin. C’était un passionné qui nourrissait ses histoires avec des informations puisées à la source, en se rendant sur place et d’après des documents.

Il s’est notamment servi des registres remplis par un certain sieur Hardy qui tenait au milieu du 18e siècle, une librairie rue Saint-Jacques, « À la colonne d’or ». Ce Hardy avait une vie secrète, un dada consistant à consigner chaque jour, sur un livre de bord commercial à « réglures marginales rouges », un crime, un incendie, une crue de la Seine, une exécution, une intrigue, un gros scandale. Il le faisait à l’encre rouge, « de sa nette écriture ronde et régulière ». Il avait commencé ce labeur en 1764 et, à sa mort, il laissa huit volumes, plus de quatre mille pages aux bons soins de la postérité. Il avait titré l’ensemble, « Mes loisirs, par S.-P Hardy, journal d’événements tels qu’ils parviennent à ma connaissance ».  C’est une parente éloignée qui hérita du paquet dont elle ne sut que faire au point de les transmettre à la Bibliothèque impériale. Du pain bénit pour Georges Lenôtre qui puisa dedans avec un bonheur que l’on imagine de fin gourmet. Il nous en rapporte des horreurs, comme l’histoire de cette jeune fille qui « errait nue et cruellement mutilée » après avoir croisé la route du marquis de Sade.

Une bien belle surprise que cet ouvrage qui transmet des faits d’histoires si détaillés que le lecteur s’en trouve proprement ébaubi. Comme celle de Beaumarchais, lequel après avoir séduit mademoiselle Ménard en lui laissant croire qu’elle pourrait être l’étoile du Théâtre Français, se vit frénétiquement poursuivi par un jaloux rancunier disposé à l’occire. Cela commença en bagarre, se continua en repas plantureux afin de reprendre des forces, avant de reprendre le combat, toujours à coups de poings. La maréchaussée mît fin à la dispute en verbalisant les belligérants. Georges Lenôtre nous informe que la maison où a eu lieu le différend, rue de Condé, existe toujours et porte entrelacées les lettres P.A.C soit Pierre-Augustin Caron (de Beaumarchais).

Pas vraiment facile à trouver, cet ouvrage mérite cependant qu’on le recherche. C’est un véritable »page-turner » comme on dit outre-Manche, il se dévore par étapes, tellement les renseignements, si délicieusement servis, abondent. Georges Lenôtre saute d’un sujet à un autre avec une agilité sans pareille. Pour nous désigner tel jardinet de Paris (à l’angle du boulevard Saint-Germain et de la rue des Saints-Pères) où furent enterrés une nuit sans lune nombre de protestants abattus, l’épidémie de choléra en 1832 dont l’intelligentsia parisienne était persuadée qu’elle ne concernerait que les pauvres, la construction du Pont-Neuf par Henri III qui s’ennuyait tout le temps malgré sa vie de débauché ou encore les maints dangers de circulation qu’il y avait à courir, au fil des siècles, en traversant Paris à pied. L’histoire au demeurant bégaie, c’est bien connu.

Quelle culture! Laquelle lui fait dire par exemple -hypothèse pas si fantaisiste selon lui- que c’est probablement à l’emplacement de l’ancien siège du Monde boulevard des Italiens, que Camulogène repoussa les Romains de César et c’est d’ailleurs par cet homme que Lenôtre commence son ouvrage afin de lui rendre les honneurs. Et nous terminerons cette chronique fort lacunaire hélas car la place manque, par cette époque où les Parisiens mangeaient de l’argile, soit parce qu’ils n’avaient rien d’autre à se mettre en bouche, soit plus tard par gourmandise. Nul menu n’en atteste. Mais Georges Lenôtre s’est fondé pour ce faire sur les observations des anthropologues qui avaient noté l’usure des dents sur de vieux squelettes, les attribuant à la mastication de l’argile.

Terminons par ce repas offert à Catherine de Médicis par la Ville de Paris. Une liste encore trop longue pour être publiée dans nos colonnes, mais elle comptait notamment 30 paons, 33 faisans, 21 cygnes, 9 grues sans compter 99 tourterelles. Le bien-être animal comptait pour peu de choses on s’en doute. Oiseaux, couleuvres, étourneaux, tout était bon pour la casserole.

 

PHB

PS: Bonnes fêtes de fin d’année à nos lecteurs, nos publications reprendront le 3 janvier
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2 réponses à Les savoureuses histoires parisiennes de Georges Lenôtre

  1. La brebis portant cinq mois et agnelant – de fin décembre à janvier – qu’une fois dans l’année, tout ce que vous voulez donc, mais certainement pas d’agneau à Noël : ils ne sont alors même pas ou tout juste nés !
    L’agneau c’était pour Pâques !

  2. Yves Brocard dit :

    Mon insatiable curiosité me poussant à aller voir plus loin, il semble bien que la BNF se trompe sur le prénom et le nom de plume de G. Lenotre. Théodore Gosselin dira lui-même que : « Le G. que j’ai mis devant ne signifie ni Georges, ni Guy, ni Gaston, ni même Gédéon, comme certains le croient et le disent, mais tout simplement Gosselin, qui est mon nom de contribuable. » Quant à Lenotre il n’a pas d’accent circonflexe. S’il est bien inspiré du jardinier André Le Nôtre, il s’agit l’occurrence son arrière-grand-oncle. Tout cela n’est pas bien grave et ne change rien à la truculence et l’érudition de ses écrits.
    Et si Théodore Gosselin fut bien élu à l’Académie Française, il n’y siégera jamais, une crise cardiaque qui devait l’emporter lui empêcha de prononcer son discours de réception. De l’intérêt de devenir immortel !
    Pour les amateurs, le site chasse-aux-livres indique huit exemplaires de « Paris qui disparaît » disponibles à l’achat , s’étageant de 7,74 à 57€. Il n’y en aura pas sous tous les arbres de Noël.
    Bonne journée.

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