Daumier et Corot, en bon voisinage

À part un bouquet de fleurs récemment posé, la tombe de Honoré Daumier, souffrirait un petit entretien. De là on voit très bien celle bien plus large de Jean-Baptiste Corot (ci-contre), surmontée d’un buste, avec un jardinet fort négligé au pied. L’hiver qui s’approche accentue l’idée qu’une époque est bien révolue. Pour ces deux grands artistes, locataires à vie du Père Lachaise, il s’agit d’une bienheureuse proximité. Car leurs histoires sont liées. Et pas seulement via ce bon voisinage qui leur permet, la nuit, d’échanger des chuchotements. Lesquels d’ailleurs n’effraient pas les corneilles, grands-ducs et autres animaux variés du cimetière car ils en entendent bien d’autres. Dans un livre paru en 1953 aux éditions Aimery Somogy, l’historien d’art allemand Curt Schweicher, lève -trop peu- le voile sur l’amitié entretenue par les deux hommes.

Daumier (1808-1879) n’ayant pas connu la richesse malgré le succès de ses caricatures et sans doute pour partie en raison de l’insuccès de ses peintures, acheva sa vie dans la gêne et la maladie (des yeux). Il dut quitter son logement du quai d’Anjou pour aller s’installer à Valmondois (Val-d’Oise). En dépit de la modestie de la maison, le loyer dépassait encore ses moyens. C’est à ce moment que Corot (1796-1875) intervint. Sa générosité était légendaire, quoique paradoxalement discrète. Toujours est-il qu’il acheta opportunément la maison et l’offrit à Daumier tout en faisant semblant d’en avoir été longtemps le propriétaire.

Avant d’être artistes patentés, les deux hommes avaient en commun d’avoir été tous les deux coursiers, des saute-ruisseaux comme l’on disait alors. Une différence anecdotique fut que Daumier le rebelle refusa la légion d’honneur tandis que le second l’accepta. Un portrait de Corot à l’aquarelle par Daumier (comme son portrait de Berlioz) témoigne de leur amitié en même temps qu’elle souligne le grand talent de ce dernier pour la peinture.

Curt Schweicher raconte l’histoire passionnante de Daumier que la postérité a justement inscrit comme un caricaturiste hors pair. C’est en faisant ses débuts chez un clerc qu’il fit des livraisons, lui permettant de nourrir de par ses observations, sa créativité et son esprit critique. « Dans la vie, raconte Curt Schweicher, il était acteur et spectateur à la fois, passionnément profondément ». Avant de poursuivre: « Quand il quittait le Louvre, il voyait des personnages de Rembrandt qui, sous le masque familier de contemporains, hantaient les places et les carrefours. Et quand il revenait auprès (du) maître du passé, l’image des gens de la rue l’accompagnait fidèlement. » Autodidacte, goûtant peu l’académisme  qu’il fréquenta à peine et découvrant la technique de la lithographie, il fit ses débuts en 1831 à la revue Charivari, un hebdomadaire toujours prompt à l’attaque du roi-citoyen de la seconde république. Et pour avoir brossé dès le départ, une caricature saignante du souverain Louis-Philippe en Gargantua, il écopa de six mois de prison et fut astreint à payer une amende astronomique. Il était connu pour être un défenseur des opprimés, dénonçant sans cesse les mœurs d’une bourgeoisie qu’il estimait pour le moins corrompue.

Honoré-Victorin Daumier n’a pas tout de suite rejoint la 24e division du cimetière parisien. C’est seulement un an plus tard que sa dépouille y a été correctement inhumée (ci-contre) aux côtés de Corot et de Charles-François Daubigny (1817-1878), autre artiste avec lequel il était lié. Tandis que Baudelaire voyait en Daumier un acteur majeur de l’art moderne, Curt Schweicher l’a qualifié dans son livre de « chaînon » évident entre  Rembrandt, Goya ou Rouault. Comme le dit fort justement l’auteur,  ce « peintre et rebelle » avait « des ancêtres et des descendants ».

On sort bien souvent instruit des promenades au Père Lachaise. Pour paraphraser quelque peu le poète Rainer Maria Rilke, on y est de surcroît « encadré par l’invisible », côtoyé par les anges. L’idée que l’on s’y repose en paix ne serait donc pas tout à fait juste. Par affinités, ces gens font salon. Certains soirs se mêle à la brume, la fumée de leurs pipes.

 

PHB

Photos: ©PHB
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11 réponses à Daumier et Corot, en bon voisinage

  1. Leurs pipes qu’ils ont cassées !
    Merci pour ce bel article pour le moins « reposant » !

  2. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Merci pour cet article…et le rappel du Père Lachaise…
    Heureuse personne qui trouve des livres inspirants dans les brocantes !

  3. Philippe PERSON dit :

    La dernière fois que je suis allé au Père Lachaise, c’était pour la crémation d’Etienne Chicot, ce magnifique acteur qui était aussi une magnifique personne. En repartant, sans trop savoir où j’allais, je suis tombé sur l’endroit où venait d’être enterré Jacques Higelin… J’étais seul face àu carré où reposait un être que j’avais tant écouté…
    C’est ça le Père Lachaise, on y croise des gens que l’on a connus, d’autres qu’on a aimés…

  4. AS dit :

    Merci encore une fois, cher Philippe. Nous ne nous sommes jamais rencontré, mais au fil des années et de vos articles qui nous font rêver, sourire, tomber dans un peu de nostalgie, nous émeuvent parfois, j’ai le sentiment de vous connaitre.

    Votre opus sur Daumier, Corot et le Père Lachaise est une petite merveille.

  5. Martine PULMAN dit :

    Toujours inspiré Philippe, dans les rapprochements inattendus pour rappel de l’histoire de grands maitres déjà presque oubliés, en dehors de Corot ! Merci pour ce petit
    moment poetique.

  6. Arcturus dit :

    Belle évocation de deux phares de l’art romantique. Juste une petite précision : il ne faut pas confondre la Monarchie de Juillet avec la Seconde République; celle-ci commence en février 1848, avec la chute du roi-citoyen.

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