Almodovar à la peine

Le plus conciliant des programmateurs d’une chaîne de télévision n’aurait pas accepté un scénario aussi indigent, mais, on l’aura compris, c’est une façon de parler, car on a vu pire. Cependant, la signature de Pedro Almodovar valant -à juste titre- son pesant d’or, son dernier film a quand même débarqué dans les salles obscures. Que l’on juge du menu: deux mères qui accouchent en même temps suivi d’une inversion (oups) des bébés et l’on a à peu près tout dit. Jusqu’au moment où, ô surprise, grâce aux bienfaits des tests génétiques, l’une se rend compte que ce n’est pas le bon. Et l’autre qui entretemps est tombée amoureuse de la première, ce qui nous vaut au passage une petite scène saphique, récupère le sien. Avec d’autant plus d’énergie que celui qu’elle avait commencé à élever est mort rapidement. C’est donc l’histoire de Janis (Penélope Cruz) et Ana (Milena Smit). Cette trame fort peu originale, dépourvue de toute audace, nous devons la suivre deux heures durant. Comme le disait une spectatrice à la fin de la projection: « Le générique est bon ». Sur le plan strictement graphique, il faut être juste, c’est vrai.

Beaucoup de critiques ont foncé tête baissée dans le panneau. Probablement conditionnés il est vrai, par la brillante filmographie d’Almodovar, lequel nous avait habitués à tellement mieux. Lors de son avant-dernier opus,  « Douleur et gloire » (2019) on avait bien décelé quelques petites faiblesses, mais nous étions déjà prêts à tout pardonner à l’auteur de « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça » (1984), « Femmes au bord de la crise de nerfs » (1987), « Attache-moi » (1989), « Kika » (1994), ou encore « Volver » (2006). Autant de joyaux plein de surprises, d’audace et d’originalité, c’est-à-dire tout ce qui manque cruellement à « Madres paralelas », en français « les mères parallèles ». Vu la faiblesse de la proposition, l’histoire a été enrichie d’une vague histoire de fosse commune à expertiser, là où avaient été enterrées des victimes de la guerre civile, à l’époque franquiste. L’on sent bien qu’en cuisine quelqu’un s’est dit que le plat manquait de consistance et décision a été prise d’épaissir la sauce.

Rien n’y fait, le signal de satiété se fait cruellement attendre. Le talent des acteurs comme la virtuosité des prises de vue, ne sauvent pas -ne pouvaient pas sauver- l’ensemble. « Remarquablement interprété par Penélope Cruz (…), le film permet au cinéaste d’explorer un peu plus le mystère de la maternité », pouvait-on lire dans le Parisien juste avant la sortie. Le mystère de la maternité? Allons-donc, il naît à peu près 250.000 bébés par jour dans le monde et le secret de l’accouchement dans la douleur est percé depuis bien longtemps. Ana et Janis transpirent, crient et contractent les mâchoires à s’en casser les os,  juste avant la délivrance. Le tout, filmé en gros plan, donne juste envie de passer à autre chose. Les Cahiers du Cinéma quant à eux, se montrent un peu plus réservés en écrivant: « En faire autrefois trop, puis s’en fatiguer jusqu’à devenir peut-être blasé, prendre le chemin de l’insouciance puis de la mondanité ou du maniérisme : surprenante manière dont Almodóvar en arrive à son propre squelette, celui de son art, de ses tics, celui de l’histoire qui l’a forgé, celui qui au-delà, ADN ou os, constitue son corps. »

L’auteur vient de fêter ses 72 ans mais ce n’est pas une excuse. « Madres Paralelas » n’est pas sans rappeler le film « Somewhere » de Sofia Coppola sorti en 2010/2011, un puits d’ennui joliment cadré. Mais pardon, de Almodovar, autrement plus inspiré en tant que cinéaste, il était permis d’attendre beaucoup mieux. Par indulgence, on pourra toujours évoquer le dépouillement, le retour aux choses essentielles et se contenter des belles images. Un autre spectateur dans la salle faisait remarquer que Penélope était devenue trop maigre en écho à celle qui jugeait le générique réussi. Le genre de commentaires que l’on n’entend guère lorsqu’un film nous laisse admiratifs, voire grisés sur nos sièges. Comme le disait le réalisateur Julien Duvivier: « Il faut trois choses pour faire un bon film, d’abord une bonne histoire, puis une bonne histoire, et enfin une bonne histoire”, principe que Hitchcock (et d’autres) avait également théorisé. Il serait bien que Almodovar s’en rappelle. Nous attendrons donc la séance de rattrapage.

 

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3 réponses à Almodovar à la peine

  1. Yves Brocard dit :

    C’est vrai que « Madres Paralelas » n’est pas un grand film, encore moins un grand Almodovar. L’usure du temps… Comme Woody Allen, qui ne fait que des navets depuis pas mal de temps, et qu’une certaine critique (Télérama, Le Masque) encensent avant même avoir vu le film. Le fait de vouloir utiliser toujours les mêmes acteurs-actrices restreint aussi la palette des rôles.
    J’ai aussi été étonné de la taille de Penélope Cruz. Malgré ses talons haut perchés, elle fait toute petite et menue. Google nous dit qu’elle fait 1,68m, ce que j’ai du mal à croire, à moins que ce soit avec les talons.
    Néanmoins, dans le vide et la piètre qualité de ce qu’on peut voir au cinéma depuis le début de la pandémie, celui-ci avait quand même une certaine qualité. En sortant du visionnage, j’ai mis sur mon carnet « sympa ».
    Mais peut-être que tout se passe maintenant sur Netflix. Encore faut-il avoir une télévision.
    Bonne journée.
    PS : je n’avais pas vu l’affiche du film : cela donne soif, mais soif de quoi?

  2. Isabelle Fauvel dit :

    Tout à fait d’accord. « Douleur et gloire » était un film testamentaire très réussi et celui-ci manque cruellement de fond, comme s’il était difficile de poursuivre après un tel opus. Espérons qu’Almodovar retrouve l’inspiration et ne fasse pas une fin de carrière à la Woody Allen…

  3. Philippe PERSON dit :

    Je ne comprends pas qu’on puisse être déçu par les cinéastes qui ont la chance (et le ta lent) de faire des films pendant quarante ou cinquante ans.
    Il y a forcément des hauts et des bas et il ne faut pas tenir compte de la critique routinière d’autant plus routinière qu’elle a fait la carrière de certains cinéastes…
    Quand j’ai fait le premier article anti-Eastwood dans Le Monde Diplomatique, tout le monde m’est tombé dessus et depuis ses plus ardents défenseurs ont fini par admettre qu’il était toujours aussi réac et que son cinéma avait perdu sa vigueur d’antan.
    Idem pour Woody Allen ou Roman Polanski. Tous ces gens ont fait trop de films. Ce n’est pas si grave.
    Quand on les reverra dans le désordre, comme on peut revoir parfois des films de John Huston, on trouvera que les films qu’on n’aimait pas d’eux ne sont pas si mal que ça.
    Je le dis à dessein car j’ai dit beaucoup de mal de John Huston qui a fait pas mal de merdes souvent défendues par mes collègues… Mais quand même Le Faucon Maltais, Fat City, Gens de Dublin, Wise blood, etc, ça excuse le reste…
    Almodovar a perdu les pédales depuis qu’il vise vainement la palme d’Or. Cannes l’a tué car il n’a pas compris que les jurys sont souvent composés de professionnels de la profession qui ne sont pas cinéphiles et qui préfèrent un film à sujet dans l’actualité plutôt qu’un exercice de style réussi ou pas.
    Chez Almodovar, le sujet tient toujours sur un quart de page mais ce n’est pas grave…
    Je n’ai pas vu le dernier, puni que je suis pour un virus qui n’attaque pas dans les cinémas et les théâtres, mais il ne me paraît pas pire que les dix derniers…
    Quant à Woody Allen, je conseille à tout le monde de REGARDER son dernier film : c’est contrairement à ce qu’un de nos contributeurs dit sur les derniers Allen, un pur chef d’oeuvre. Un film pas du tout testamentaire, mais de jeune homme guilleret dans un corps de vieux monsieur assiégé par un passé pas très recommandable.
    Réussir un film aussi merveilleux qu' »Un jour de pluie à New York » nécessite d’avoir fait trop de films dont beaucoup de mauvais.
    La répétition finit par payer. Courage donc à Almodovar qui n’a pas dit son dernier mot..
    Au passage, je vous conseille tous d’aller voir le dernier film de Cheyenne-Marie Carron, La Beauté du monde, sorti hier. à 40 ans, elle a déjà tourné une bonne douzaine de films. Le dernier porte bien son titre. Totalement à l’écart du cinéma français, se battant toute seule et sans CNC, elle poursuit entêtée et passionnée un cinéma intelligent, pas consensuel pour un rond.
    j’espère qu’un jour, l’un d’entre vous brisera le mur de verre et parlera de cette vraie cinéaste et d’autres comme Thomas Bardinet, Clément Schneider, Eric Bu ou Judith Abitbol qui, à eux tous, ont fait une oeuvre pour le prix d’un effet spécial de dix secondes dans un film Marvel…

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