Le chant d’amour d’Hugo à ses petits-enfants

Le Lucernaire a rendez-vous avec Hugo, un Hugo vieillissant qui aurait déposé les armes et troqué son habit d’homme de combat pour celui de doux grand-père rêveur. “Que voulez-vous ? L’enfant me tient en sa puissance ; / Je finis par ne plus aimer que l’innocence” nous confie le poète par l’intermédiaire de Jean-Claude Drouot, son double de théâtre. Les deux hommes nous invitent à porter un regard attendri sur l’enfance, à goûter une félicité amusée devant l’innocence du jeune âge. “L’art d’être grand-père”, le dernier recueil hugolien, est un grand chant d’amour de l’écrivain à ses deux petits-enfants, porté avec le talent qu’on lui connaît par le merveilleux Jean-Claude Drouot. Émotion et bonheur garantis.

La petite scène du Théâtre Noir, l’une des trois salles du Lucernaire, a revêtu pour l’occasion l’apparence d’un élégant et chaleureux intérieur : sous la lumière tamisée d’une bougie et d’une lampe à pétrole, un beau et grand tapis d’Orient, dans les tons rouges et bruns, un imposant fauteuil carmin et un tabouret assorti, un guéridon, un pupitre en bois ainsi qu’un vélo d’enfant fin 19ème. Sur le fauteuil repose une poupée et, sur le guéridon, un petit livre à la couverture de cuir rouge qui pourrait très bien être un recueil de poèmes, de ceux que nous nous apprêtons à entendre… Les couleurs et matières se répondent harmonieusement. Nous voici dans l’intimité bourgeoise d’un grand écrivain, Victor Hugo (1802-1885).

Seul en scène, Jean-Claude Drouot est ce Victor Hugo septuagénaire, cet “exilé satisfait” (1) qui, à Guernesey, puis à Paris, après bien des malheurs, trouve réconfort et consolation auprès de ses petits-enfants, Georges et Jeanne : “Moi qu’un enfant rend tout à fait stupide, / J’en ai deux ; George et Jeanne ; et je prends l’un pour guide / Et l’autre pour lumière, et j’accours à leurs voix…”

Les années qui précèdent la publication de cet ultime recueil en 1877 n’ont, en effet, pas été tendres avec le vieux poète : mort de sa femme, Adèle Hugo, en 1868, disparition prématurée de ses deux fils, Charles, en 1871, et François-Victor, le traducteur de Shakespeare, en 1873, et celle, blessure toujours vive, de son aînée adorée, Léopoldine, en 1843. À ces décès, s’ajoute en 1872 la démence déclarée de sa cadette, Adèle, qui se voit internée dans une maison de santé. Jeanne et Georges, les enfants du défunt Charles, s’avèrent alors l’ultime joie de l’illustre aïeul : “Moi dont le destin pâle et froid se décolore, / J’ai l’attendrissement de dire : Ils sont l’aurore. / Leur dialogue obscur m’ouvre des horizons…” En leur présence, la “forteresse” Hugo est tout amour et bonté, le loup devient agneau : “Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis. / Je les regarde, et puis je les écoute, et puis / Je suis bon, et mon cœur s’apaise en leur présence. / J’accepte les conseils sacrés de l’innocence…” L’auteur des “Misérables” est un grand-père tendre et attentif, totalement entiché de ses petits-enfants auxquels il est tout acquis : “L’adorable hasard d’être aïeul est tombé / Sur ma tête, et m’a fait une douce fêlure.”

Et tout particulièrement de Jeanne, la benjamine. Devant ce nourrisson de dix mois, le géant de la littérature, l’homme engagé n’est que miel et sourires, goûtant une béatitude complète. De magnifiques poèmes (“La sieste”, “Chant sur le berceau”) nous le montrent charmé, veillant sur l’enfant endormie, dont il se fait ange gardien, ou encore prêt, pour lui plaire, à lui décrocher la lune (“la lune”) : “Je veille. Ne crains rien. J’attends que tu t’endormes. / Les anges sur ton front viendront poser leurs bouches. / Je ne veux pas sur toi d’un rêve ayant des formes / Farouches ; / Je veux qu’en te voyant là, ta main dans la mienne, Le vent change son bruit d’orage en bruit de lyre. / Et que sur ton sommeil la sinistre nuit vienne / Sourire. / Le poète est penché sur les berceaux qui tremblent ; / Il leur parle, il leur dit tout bas de tendres choses, / Il est leur amoureux, et ses chansons ressemblent / Aux roses. (…).” Musical et rythmé, le verbe hugolien, plein de douceur, respire l’amour et la tendresse. Le texte est saisissant d’humanité et de beauté.

Des poèmes non dénués d’humour nous montrent, à notre plus grand amusement, le monument Hugo dépourvu soudain de toute autorité et incapable de gronder ou de sévir (“Une tape”), allant jusqu’à se faire tancer par sa belle-fille pour avoir porté en cachette des confitures à la fillette punie. Car le récit n’est jamais mièvre, mais coloré et vivant.
D’autres textes nous content, de manière presque anecdotique, ces moments d’intense complicité que sont les promenades et jeux au Jardin des Plantes ou aux Tuileries.
Jean-Claude Drouot (2) est cet imposant et attendrissant vieil homme au verbe si poétique qui nous parle et se parle à lui-même. L’acteur de bientôt 83 ans affiche une ressemblance étonnante avec l’auteur de “La légende des siècles”. Mais l’incarnation va bien au-delà de l’apparence physique. En véritable admirateur des textes et des mots du génie littéraire, le comédien se fait la parole intérieure d’Hugo. L’adéquation est parfaite. Le talent a rendez-vous avec le talent : un grand auteur avec un grand acteur, ou inversement, on ne sait plus très bien. Et les deux hommes, à travers la beauté des vers de l’un, et le jeu habité et tout en nuances de l’autre, nous font osciller entre les rires et les larmes.

L’un des derniers poèmes, “Mariée et mère”, dans lequel l’écrivain se projette dans un temps où il ne sera plus – “Voir la Jeanne de Jeanne ! oh ! ce serait mon rêve !” – est saisissant d’émotion. Tout comme cette fin, cette “Chanson de grand-père” que fredonne le comédien d’un air presque détaché : “Dansez, les petites filles, / Toutes en rond. / En vous voyant si gentilles, / les bois riront. / Dansez, les petites reines, / Toutes en rond. / Les amoureux sous les frênes / S’embrasseront…”

Une mise en scène légère et sans prétention, jouant habilement avec les éléments du décor, pour éviter tout statisme pesant, vient porter ce moment de grâce théâtrale.

Isabelle Fauvel

(1)  Poème d’ouverture du recueil.
(2)  Lire le  portrait de Jean-Claude Drouot dans Les Soirées de Paris à l’occasion de la parution des mémoires du comédien, “Le cerisier du pirate : de Thierry la Fronde à Jean Jaurès” (2015)

“L’art d’être grand-père” de Victor Hugo, adaptation, mise en scène et interprétation de Jean-Claude Drouot. Jusqu’au 2 janvier au Lucernaire 53 rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris, du mardi au samedi à 18h30, le dimanche à 15h. http://www.lucernaire.fr/a-l-affiche/4214-l-art-d-etre-grand-pere.html

Photos: ©Lot
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2 réponses à Le chant d’amour d’Hugo à ses petits-enfants

  1. Marie-Hélène Fauveau dit :

    merci pour cet article voilà un moment que je ne suis pas allée au Lucernaire…
    signé : une grand-mère mais qui s’interroge quelquefois sur l’innocence des enfants

  2. Lise Bloch-Morhange dit :

    Amusant et émouvant de retrouver Thierry-la-Fronde plus de cinquante ans plus tard en père Hugo!

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