Paul Klee, quasiment primitif

S’il laissa sa trace dans la plupart des mouvements artistiques de la première moitié du XXe siècle (même les surréalistes le revendiquèrent comme un des leurs), Paul Klee se prétendait «libre comme la musique». La musique, chez lui, c’est une affaire de famille. Fils de musiciens professionnels, il fut lui-même violoniste dans l’orchestre de Berne, et son épouse Lily, rencontrée à l’âge de 20 ans, était connue comme excellente pianiste. Si, selon ses propres mots, cette musique joua tout au long de sa vie le rôle d’une «amante», ce sont pourtant les arts plastiques qui l’emportèrent.

En cinquante ans d’exercice, il laisse une œuvre abondante, prolixe… mais l’artiste reste inclassable. Parce qu’il n’eut de cesse de retrouver la pureté du geste originel, son œuvre et les écrits qui l’accompagnent témoignent d’une quête vers l’absolu. Cette préoccupation est née très tôt: «J’aimerais être comme nouvellement né, ne rien connaître de l’Europe, absolument rien, ignorer les écrivains et les modes, être quasiment primitif»  écrivait-il en 1905, alors qu’il n’avait que 22 ans.  C’est avec cette obsession qu’il s’intéressa particulièrement aux formes primitives de l’art et aux productions de l’enfance, aux peintures pariétales, à l’art extra européen, et à l’art des aliénés. Pour retrouver en somme  «l’art d’avant l’art».

L’exposition qui vient de s’ouvrir au LaM de Villeneuve d’Ascq  ( «Paul Klee entre-mondes») après avoir avoir été présentée pendant trois mois au centre Paul Klee de Berne sous un autre titre («Je ne veux rien savoir») met clairement en évidence, avec documents à l’appui, ces quatre sources d’inspiration.  Lorsqu’en 1911, il tente d’établir le catalogue raisonné de ses œuvres, il n’hésite pas à y intégrer ses propres dessins d’enfant, considérant qu’il s’agit là de «ce qu’il a fait de plus important». Par la suite, il s’inspirera des dessins de son fils unique Félix en notant que, pour un enfant, le dessin est «une nécessité biologique».

Cette même obsession le conduit à s’intéresser à l’art des fous, ou si l’on veut être politiquement correct, «l’art des aliénés» (la notion d’art brut n’existe pas encore). Il n’y avait pas plus libre et plus anti-conventionnel que ces productions, étudiées, voire imitées par Klee… ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être catalogué plus tard par les nazis comme un «artiste dégénéré». L’art rupestre est une également une source importante d’inspiration. La prédominance des lignes, la simplification des formes des peintures découvertes sur les parois des grottes préhistoriques ne pouvaient que séduire l’artiste. Le voyage qu’il fit avec son épouse Lily à Carnac en 1928 ne fut pas sans conséquences : dix ans plus tard, des œuvres de Klee furent intégrées à l’exposition Prehistoric Rock Pictures  organisée en 1937 au musée d’art moderne de New York (Moma).

S’il s’est abreuvé à toutes les sources, la démarche artistique de Klee n’a cependant jamais dévié de sa recherche permanente de pureté créatrice  Dans le célèbre revue Le Bulletin de l’Effort moderne de 1925, à propos de la première exposition personnelle de Klee à Paris (galerie Vavin-Raspail), un critique inspiré résumait ainsi l’art du peintre :  «j’ai déjà vu cela sur les noix de coco des forçats, les bois de renne et les peintures préhistoriques, les cylindres égéens, les œufs d’autruche des Orientaux, les peintures des Bushmans du Cap, les papyrus aztèques péruviens, les bizarreries des peintres de la Renaissance et les tissus ​égypto-coptes. N’empêche, le planétaire qui a pondu tout cela est un Monsieur, et sa ponte a de la qualité».

Avec quelque 120 œuvres accrochées aux murs du LaM de Villeneuve d’Ascq, on apprendra beaucoup sur cet artiste majeur que le public français conna​î​t finalement assez peu. L’exposition, riche et documentée, demande cependant de la part du visiteur une certaine motivation : l’artiste  se limitant toujours au petit format, les œuvres de Paul Klee sont tout sauf spectaculaires.   Et c’est au spectateur de faire la démarche pour pénétrer dans ce monde si singulier et qui touche au plus intime.

Gérard Goutierre

Photo (1): Büste eines Kindes (Buste d’un enfant), 1933. Zentrum Paul Klee, Berne. Ph. DR © Adagp Paris 2020
Photo (2): Abendliche Figur (Figure du soir), 1935, aquarelle sur papier, 48 x 31 cm. LaM Lille Métropole. Ph  Philip Bernard. ©Adagp Paris 2020

Musée d’Art moderne, Villeneuve-d’Ascq
Du mardi au dimanche  10 h-18h
Jusqu’au 27 février. Tél. 06 20 19 68 68

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4 réponses à Paul Klee, quasiment primitif

  1. Yves Brocard dit :

    Merci pour cette belle présentation de Paul Klee et de l’exposition. Peintre, comme vous le dites, peu connu, surprenant et énigmatique. Elle donne envie de faire le voyage à Villeneuve-d’Ascq, mais ces temps de froidure et de cinquième vague poussent à le décaler à des temps plus propices.
    Bonne journée

  2. Alain-maurice Boutry dit :

    Je me demande s’il n’a pas surtout cherché dans la peinture une sorte d’équivalent à la musique.

    • Yves Brocard dit :

      Votre remarque est particulièrement intéressante. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

  3. anne chantal dit :

    Très joli texte sur l’oeuvre de Paul Klee; Ce poète de la toile (ou du papier ) restera unique et inclassable; un véritable artiste que je vénère .. merci à vous .
    Qui va me booster pour grimper tout en haut des hauts de France ?

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