L’art, l’homme et la nature

La BnF expose actuellement Giuseppe Penone. Figure majeure de l’art contemporain dont l’œuvre est connue pour interroger la relation entre l’homme et la nature, l’artiste italien, né en 1947 dans le Piémont, et associé à l’Arte Povera (1), nous livre ici sa pensée autour de la trace, de la mémoire et de l’écriture. Une œuvre en particulier est au cœur de cette exposition, à laquelle elle a donné son titre : “Pensieri e linfa” (Sève et pensée). Réalisée spécialement pour l’occasion, il s’agit d’une spectaculaire installation formée de l’empreinte d’un acacia de 30 mètres de long et d’un texte manuscrit de l’artiste courant de part et d’autre de cette empreinte, une “œuvre-somme” en quelque sorte qui donne à voir la grande poésie qui caractérise la production artistique de Penone depuis plus de 50 ans.

Deux vitrines horizontales se faisant face présentent cette œuvre singulière faite de toile, de pigment végétal et d’encre. Giuseppe Penone explique la genèse de son œuvre : “Le point de départ de “Sève et pensée”, c’est la sculpture : un tissu de lin posé sur un tronc d’arbre et frotté avec des feuilles de sureau. L’action de ces gestes répétitifs de frottage révèle l’image sur le tissu. J’ai pensé que je pourrais associer à ce geste manuel celui de l’écriture. L’écriture est comme la sève qui irrigue la vie de l’arbre, elle porte un flux continu d’idées. J’ai commencé à écrire sur le tissu, sans préoccupation de forme en laissant venir naturellement les images et les pensées”.  Aucune ponctuation ne vient ralentir ce flux de la pensée, écrit en italien, qui semble ainsi couler tel le liquide nourricier qui circule dans les plantes.

L’ensemble est saisissant par sa beauté, sa simplicité, mais aussi le mystère qu’il recèle. Car que dit le texte ? Pour les curieux non-italophones, celui-ci a été traduit en français (2) dans un ouvrage d’une soixantaine de pages que l’on peut se procurer à la librairie même de la BnF. Penone y développe de façon très poétique, avec de judicieuses métaphores, le parallèle entre l’homme et l’arbre (les racines sont ainsi les organes pensants de l’arbre, la sève, le flux du sang chez l’être humain…), et nous parle de la vie et de notre relation au monde. “Sève et pensée” est une œuvre porteuse de sens autant que de beauté.

À chaque extrémité de l’œuvre-phare de l’exposition se trouvent deux œuvres non moins belles et intrigantes.  D’un côté, un gigantesque triptyque, réalisé en 2009, intitulé “A occhi chiusi” (Les yeux fermés). Une plaque de marbre blanc, dont les veines ont été dégagées par l’artiste, se trouve ainsi entourée de deux panneaux de toile, également blancs, portant l’empreinte agrandie de paupières fermées. Vues de loin, les paupières closes semblent dessinées au crayon et dégagent une impression de douce quiétude. Mais en s’approchant, on s’aperçoit qu’elles sont en réalité fixées sur le tissu par de longues épines d’acacia. La première impression se transforme alors radicalement… Car il y a un esprit de la matière, nous dit Penone, et l’œuvre sollicite autant la vue que le toucher.

À l’autre extrémité, dans des tons chauds et clairs, se dresse une sculpture monumentale composée de différents bois (mélèze, cèdre, sapin blanc, sapin rouge), douze “Alberi libro” (Arbres-livres) datant de 2017. Des “arbres-livres” ? Explication : dans le corps d’une poutre de bois, l’artiste dégage et sculpte l’arbre qui se trouve en son cœur. La partie non dégagée de la poutre, elle, forme, à la façon d’un livre ouvert, un berceau pour l’arbrisseau. Un livre ouvert qui n’est pas, par ailleurs, sans rappeler la forme du lieu où nous nous trouvons. (3) D’aucuns pourraient y voir aussi de jeunes arbres cachés dans les replis d’un paravent… Avec cette sculpture, l’artiste révèle non seulement la forme que revêt la matière, le bois, mais également la mémoire de la genèse de l’arbre. Ne jamais oublier d’où vient la matière, semble nous dire cette œuvre.

Plus loin, une installation faite de bronze et de pierres, “Pensieri di foglie” (Pensées de feuilles) (2016), vient là encore illustrer cette fascination de l’artiste pour la matière. Le bois, le marbre, le bronze, l’argile, la pierre… sont, pour Penone, des matières vivantes qu’il aime utiliser. Et tout particulièrement le bronze dont la patine, avec le temps, a la merveilleuse capacité d’imiter la végétation. Les arbres de bronze ne sont-ils d’ailleurs pas devenus sa signature ?

Le temps, l’empreinte, la mémoire… Toute l’œuvre de Penone repose sur ces notions. Ainsi “Leaves of grass” (Feuilles d’herbe, détail ci-contre), cette série de tableaux de 2013 inspirée de la couverture de la première édition (1855) du chef-d’œuvre éponyme du poète américain Walt Whitman (1819-1892), est-elle constituée uniquement d’empreintes digitales.  Pour réaliser ces tableaux de grand format, l’artiste a patiemment déposé la couleur verte avec son doigt sur la toile, comme autant d’empreintes laissées au fil du temps par les lecteurs successifs d’un livre. Jouer avec le végétal et le temps, explorer la matière et le monde par le toucher, tel est le credo de Giuseppe Penone. Cette exposition nous invite plus que jamais à le suivre dans ses réflexions artistiques et poétiques.

Isabelle Fauvel

Photos: Isabelle Fauvel

(1) Attitude révolutionnaire et mouvement d’avant-garde, l’Arte Povera (art pauvre) est apparu en Italie dans les années 60. Il implique le rejet de la société de consommation et accorde une grande importance à la nature, privilégiant ainsi les matériaux pauvres et les installations, des œuvres éphémères qui échappent par conséquent à l’industrie culturelle.
(2) “Sève et pensée” de Giuseppe Penone, traduction de l’italien par Jean-Christophe Bailly BnF Éditions 15 euros
(3) Pour rappel, la BnF François-Mitterrand est constituée de quatre tours en forme de livres ouverts.

“Giuseppe Penone, sève et pensée” jusqu’au 23 janvier 2022 à la BnF
François-Mitterrand Galerie 2 Quai François Mauriac 75706 Paris Cedex 13, du mardi au samedi de 10h à 19h, le dimanche de 13h à 19h. Tarif : 9 euros, Tarif réduit : 7 euros

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4 réponses à L’art, l’homme et la nature

  1. Ça attire encore du monde ce genre de truc ?

  2. Isabelle Fauvel dit :

    Cher Monsieur Lombard, ma réponse va vous faire plaisir : j’étais seule à visiter l’expo. Mais cela ne veut pas dire que ça n’intéresse plus personne. Les expos Tolkien et Nadar mises à part, j’ai souvent rencontré une belle tranquillité à la BnF. Je vous souhaite une agréable journée.

    • Philippe PERSON dit :

      Je connais beaucoup de gens qui n’ont pas de passe sanitaire ou ne veulent pas le montrer trouvant que c’est une atteinte aux libertés que de devoir le présenter pour voir un film, une pièce, une expo ou emprunter des livres, qui pourraient rentrer à cette expo puisque visiblement ils ne risquent pas de contaminer la terre entière comme les macronistes qui aiment trouver des bouc-émissaires veulent le faire croire…
      Et je me souviens d’une visite d’une expo art pauvre où le pauvre gardien passait son temps à dire aux gens « ne marcher pas sur l’oeuvre » (composée de feuilles et de tas de sables éparpillées dans la salle)
      Bref…

  3. Boulin dit :

    Merci pour cette invitation à découvrir cette exposition !
    Je ne connaissais pas cet artiste italien

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