Le palais de Chaillot sur coussins d’air

En piégeant l’air, l’homme a compris qu’il pouvait s’asseoir et même dormir dessus. Il lui fallait seulement s’équiper d’un gonfleur ou d’un compresseur, pour dresser en quelques minutes un fauteuil, ou former un matelas. En étendant le principe à une maison ou à un bureau, il était susceptible en outre de jouir par transparence du panorama extérieur, tout en restant à l’abri des intempéries. Il y a eu dans les années soixante et soixante-dix une mode du gonflage  touchant l’art, le mobilier intérieur, l’architecture. Abondance de la matière plastique et de l’air aidant, on pouvait voir chaque objet du monde en potentielle matière gonflable. C’était une façon de manifester la modernité. À travers « Aerodream », la Cité de l’Architecture abrite jusqu’en février, dans le spacieux (et rigide…) palais de Chaillot, une exposition pas loin d’être épatante en raison des multiples (re)trouvailles de cette époque-là.

La chronologie de la scénographie s’étale sur environ cent ans, en démarrant avec la guerre franco-prussienne de 1870, conflit durant lequel les aérostats offraient aux stratèges militaires des moyens d’observation inédits. Ce qui fait que par la suite, il a été imaginé des leurres (tanks, canons) bombés à l’air ambiant qui permettaient de tromper l’ennemi. Selon le même procédé qu’un hôpital de campagne opérationnel dans un temps très court, il a même été imaginé une base lunaire mais allez savoir pourquoi, le projet a été abandonné. Dommage, car cette forme de camping céleste a quelque chose de plaisant à imaginer. Une pompe, quelques sardines pour fixer l’ensemble, cela viendra peut-être.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle exposition a lieu à Paris. En 1968, le Musée d’Art Moderne avait créé un événement comparable intitulé assez directement « Structures gonflables », où la volonté de matérialiser un rêve d’avenir était manifeste.  Une revue baptisée « Utopie » ainsi qu’un groupe du même nom en était à l’origine. Il s’agissait de remettre en cause les valeurs traditionnelles et force est de constater que cette tendance n’a pas varié depuis que l’homme est passé de la grotte à la hutte et de la chaumière aux grands ensembles.

En 1967, l’architecte et penseur Hans Hollein (1934-2014) avait postulé que tout était architecture, prônant notamment d’abolir les frontières entre l’intérieur et l’extérieur. Deux ans plus tard, il donnait corps à cette prophétie en créant le « Mobiles Büro », soit un cylindre vertical, souple et transparent, qui permettait de bosser à l’endroit même où il avait été érigé, selon les besoins. L’usager de l’époque pouvait jouir de son environnement dès qu’il levait les yeux du clavier de sa machine à écrire. L’idée est restée au stade expérimental. Mais à l’heure où le travail à distance connaît un élan nouveau, ce concept hors les murs mériterait d’être réactualisé.

Cependant à parcourir cette étonnante exposition, il flotte (dans l’air évidemment), comme un parfum de désuétude qu’il est singulièrement bon de humer. L’ensemble prête à sourire mais dans le bon sens. Car l’ensemble est réussi en nous reconnectant à une séquence devenue vintage.

Parmi les surprises, figurent quelques extraits de films remarquables, notamment celui où l’on voit l’actrice Ursula Andress et l’acteur Marcello Mastroianni assis sur des coussins gonflables avec au fond un joueur de saxophone. Il s’agit d’une scène extraite du film « Decima vittima », de Elio Petri, sorti en 1965. Les couleurs, tout comme dans « L’homme de Rio » nous réjouissent en ce qu’elles nous rappellent les teintes parfaites des pellicules Kodachrome. Des projections pour ce long métrage sont d’ailleurs prévues lequel raconte un avenir urbain et dystopique où il faut tuer son prochain pour survivre et devenir millionnaire. Il est néanmoins regardable sur Youtube (1), la scène exposée au Palais de Chaillot intervenant à la 24e minute.

Il nous est dit sur place que le gonflable opèrerait un retour en grâce.  À l’occasion d’un défilé de mode, pour la collection Kenzo automne-hiver 2020-2021, il a ainsi été monté à Paris dans le jardin de l’Institut des jeunes sourds (5e arrondissement), une structure modulaire et gonflable dans laquelle mannequins et beautiful people pouvaient se mouvoir dans une atmosphère évanescente et branchée.  L’idée générale étant de se regonfler le moral ou, à tout le moins, de se le maintenir à pression constante, face aux fâcheux qui nous pompent l’air.

PHB

« Aerodream, architecture, design et structures gonflables ». Cité de l’Architecture, Palais de Chaillot, jusqu’au 14 février 2022

(1) Regarder la « Decima Vittima » en VO

Photos: ©PHB

 

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3 réponses à Le palais de Chaillot sur coussins d’air

  1. Oui, se remonter le moral – sans doute à propos du bilan carbone – dans une atmosphère évanescente et branchée. C’est effectivement assez gonflé !

  2. Yves Brocard dit :

    Merci pour cet article gonflé. Il me remet en mémoire l’installation que fit Anish Kapoor dans le cadre de Monumenta 2011 au Grand Palais. On pénétrait dans cet immense ballon rougeâtre via un sas maintenant la pression. Puis l’impression troublante de se retrouver dans la matrice mère. Les visiteurs en restaient muets ou parlaient à voix basse. Je crois me rappeler qu’il y avait un fond musical inspirant. La vue de l’extérieur de cette énorme baudruche remplissant le Grand Palais était aussi impressionnante. Comme les files d’attente pour vivre ce retour aux sources, sortes de cordons ombilicaux mouvants.
    Frédéric Bonnet, du Journal des Arts, titrait alors : Anish Kapoor s’empare du Grand Palais avec une installation à la fois monumentale et fragile, physique et mentale.
    J’en garde un souvenir émerveillé, et même ému.
    Bonne journée.

  3. Isabelle Fauvel dit :

    Pour rebondir sur le commentaire de M. Brocard, il s’agissait du Léviathan. Cette installation était aussi belle et impressionnante qu’inquiétante, provoquant chez les uns et les autres des sensations contradictoires (bien-être, oppression…). Bonne journée.

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