“Ascenseur pour Pékin”, sorti en ce mois de septembre, est le premier roman, autobiographique qui plus est, d’un jeune comédien de 33 ans, Clovis Fouin. Sans filtre, d’une plume alerte et drôle, le jeune homme y raconte son métier, son existence de saltimbanque des temps modernes. Si les mémoires d’actrices et d’acteurs sont légion, c’est en général au soir de leur vie que les artistes choisissent de confier leurs souvenirs. Mais Clovis a décidément tout pour se démarquer (à commencer par son prénom) et une expérience peu banale à relater : en 2015, il s’est retrouvé à remplacer au pied levé la star américaine Adrien Brody, aux côtés de l’ancien champion du monde de boxe Myke Tyson et le roi du film de baston des années 1990 Steven Seagal, dans un film d’action patriotique chinois. Un choc culturel et artistique de taille ! Et un livre à l’image du personnage : plaisant et cocasse.
Clovis Fouin, que les habitués du Festival de Fontaine-Guérin (1) connaissent bien, au point de le désigner simplement par son prénom, est un des piliers de la Troupe du Nouveau Théâtre Populaire depuis sa création il y a 13 ans. Pas plus tard que cet été, il maniait donc la langue de Molière sur les tréteaux angevins dans un hommage au Maître (2), à travers trois de ses pièces – “Dom Juan”, “Le Tartuffe”, “Psyché” – ainsi qu’une radio-théâtrale. Il y était tour à tour Pierrot, Monsieur Loyal, Agénor ou encore un inénarrable Mazarin au fort accent italien. Sa veine comique et son talent de composition faisaient de nouveau pleinement merveille.
Son actualité artistique étant décidément bien remplie, il sera, en novembre, le Duc d’Albany sur la scène du Théâtre de la Porte Saint-Martin, aux côtés de Jacques Weber et François Marthouret, dans une production du “Roi Lear” de Shakespeare mise en scène par Georges Lavaudant. Excusez du peu ! Alors quelle trajectoire lui a-t-il fallu suivre pour en arriver là ? Mais avant tout, et c’est l’incroyable aventure contée dans “Ascenseur pour Pékin”, par quel étrange hasard un beau jour de juillet 2015, jeune comédien de 26 ans sans le sou, habitué du théâtre public et des actions culturelles, s’est-il retrouvé à s’envoler en classe affaires pour “Chinawood”, le Hollywood chinois ?
Tout commence, en réalité, en septembre 2006. A 18 ans, un bac économique et social en poche, Clovis a décidé de se lancer dans une carrière de comédien. Il suit les cours de la classe libre du Cours Florent et erre dans les couloirs de l’ANPE spectacle. Tandis qu’il scrute les petites annonces, un directeur de casting lui propose “à la sauvage” de passer un essai pour la publicité d’une sauce kebab. L’essai passé, il en passe un deuxième, avec le réalisateur cette fois-ci. Puis l’affaire s’arrête là. Huit années s’écoulent, au cours desquelles Clovis tente le Conservatoire, se marie, écume castings et auditions, obtient des rôles dans le théâtre subventionné, monte des spectacles à petits budgets, joue à Avignon, interprète les méchants dans des séries policières (cicatrice oblige), tourne au cinéma avec René Féret et Jean-Pierre Mocky, lorsque le directeur de casting de l’ANPE refait soudain surface. Cette fois pour lui proposer un rôle de méchant Américain dans un film d’action patriotique chinois tourné au Soudan aux côtés des stars Myke Tyson et Steven Seagal. La proposition semble à peine croyable !
Après lui avoir un temps préféré Adrien Brody, les Chinois, devant le désistement de ce dernier, donneront finalement le rôle à Clovis. Et c’est ainsi que le jeune Français se trouvera embrigadé dans une aventure au long cours des plus kafkaïennes. “China Salesman” (3) se tournera finalement à Pékin, puis en Mongolie, et non plus au Soudan, et Michael, le personnage interprété par Clovis, s’avérera tout compte fait un agent secret québécois. Conscient d’avoir tourné une daube sans nom, c’est avec une plume toujours très caustique que Clovis nous narre ses aventures en Chine et les péripéties d’un tournage pourtant bien encadré par le parti communiste. Un scénario rocambolesque et peu crédible, une production totalement inepte dominée par le mauvais goût, un tournage qui semble ne jamais devoir finir…
Mais si cette aventure peu banale est au cœur de ce récit, tout le sel de ce roman vient du style plein d’humour et de la belle franchise dont fait preuve l’auteur pour nous raconter ses jeunes années de comédien. Les échecs, les humiliations, les exigences ineptes… deviennent, pour le lecteur, de beaux moments de rigolade. Le romancier n’a pas son pareil pour retranscrire des personnages hauts en couleurs et souligner l’absurdité et la bêtise de nombre de situations. On rit beaucoup. D’ailleurs, il ne se ménage pas non plus et n’hésite pas à se ridiculiser lui-même, maniant l’art de l’autodérision comme personne, ce qui donne des scènes hilarantes, telle sa rencontre avec le réalisateur Bruno Dumont. Ce dernier prépare un film et souhaite faire sa connaissance. Pour adhérer le mieux possible à l’univers du cinéaste, le jeune homme se fabrique une apparence toute caricaturale de “cas soc” (ndlr, cas social), avec la panoplie complète (blouson, jogging, baskets, chaîne en argent et tonne de gel dans les cheveux), accent racaille en prime. Lors de leur conversation, le réalisateur lui confie préparer un film sur Camille Claudel et rechercher un comédien pour interpréter son frère, le poète et dramaturge Paul Claudel. Revirement immédiat et terriblement périlleux de Clovis au cours de l’entretien, qui revient trois jours plus tard, vêtu d’un duffle-coat et de mocassins à glands, petite moustache naissante, lui réciter des extraits du journal du diplomate.
La drôlerie n’empêche pas la tendresse et la figure du père, brocanteur qui a bien roulé sa bosse, est tout aussi comique qu’attachante. Avec un tel géniteur, difficile de tomber dans la banalité… Autre figure qui, bien qu’esquissée avec beaucoup de pudeur, court en filigrane tout au long du roman : l’épouse comédienne, celle qui écoute, comprend et soutient.
Avec “Ascenseur pour Pékin”, Clovis Fouin se montre aussi bon narrateur qu’interprète et c’est un bonheur de le lire. Ses tribulations étant loin d’être terminées, nous espérons pouvoir continuer à les suivre.
Isabelle Fauvel
Merci de nous avoir fait découvrir ce beau personnage.
Sur le tournage en Chine, Melvil Poupaud a vécu une expérience similaire qu’il raconte dans « Voyage à Film City ».