Haute résistance

Ce gai couloir restitue à la perfection l’atmosphère funèbre du film « L’armée des ombres » de Jean-Pierre Melville. Pour la première fois, le centre de commandement de la résistance parisienne est ouvert au public, sous le Musée de la Libération de Paris, place Denfert-Rochereau. C’est là, à vingt mètres sous terre, que le Colonel Rol-Tanguy avait établi son PC secret durant la seconde guerre mondiale. Outre son bureau à partir duquel il coordonnait les actions de la Résistance, on y trouve différentes pièces qui abritaient un secrétariat ou encore un central téléphonique clandestin. En marge de cette découverte, la collection permanente du musée montre également une carte des souterrains de l’arrondissement, établie par un interne en médecine, lesquels corridors permettaient de circuler au nez et à la barbe de l’occupant. Ce lieu fascinant n’est à vrai dire pas complètement le sujet du jour puisque c’est une exposition temporaire qui fait le haut de l’affiche avec les projets de statue à l’effigie du chef résistant Rol-Tanguy commandés par l’écrivain Aragon au sculpteur Giacometti.

L’action débute en 1946 après les événements.  Louis Aragon (1897-1982) était membre du Parti communiste, Alberto Giacometti (1901-1966) était sympathisant, il n’en fallait pas davantage pour que le projet germât. Quant à Henri Rol-Tanguy, né à Morlaix en 1908 et décédé en 2002 à Paris, c’est un héros multi-cartes, d’abord engagé en 1937 dans les brigades internationales d’Espagne puis résistant dès 1940 au sein des organisations communistes avant de grimper progressivement les échelons jusqu’aux plus hautes responsabilités et finalement décoré par de Gaulle de la Croix de la Libération. Des artistes comme Picasso ou Matisse sont alors sollicités par l’association des amis des Francs-tireurs et partisans français (FTPF, branche armée de la résistance communiste) et c’est probablement dans ce cadre nous explique-t-on, que Aragon a demandé à Giacometti de faire un portrait de l’homme considéré comme le libérateur de Paris.

Henri Rol-Tanguy fera preuve d’une grande patience car Giacometti lui demanda comme à ses autres modèles de se plier à de longues heures de pose. Le libérateur sorti de l’ombre confiera à ce sujet: « J’avais l’impression que ses mains, sur le portrait qu’il réalisait étaient posées sur mon visage. Une véritable communion en résultait. Une identification avec sa propre tension créatrice, à son œuvre. » L’artiste quant à lui estimait que son modèle disposait d’une « très belle tête » et loua dans un courrier  sa « vivacité et son intelligence », soit un échange de compliments très correct.

L’exposition nous montre à ce sujet un carnet de croquis préparatoires ainsi que huit petites sculptures qui ont pu être authentifiées. Il nous est également donné à voir un projet de portrait sculpté, toujours par Giacometti, de Gabriel Péri, journaliste au quotidien L’Humanité et fusillé parmi soixante-quinze otages au Mont-Valérien en 1941. Avec l’architecte américain Paul Nelson pour le socle, Giacometti soumet un projet de maquette qui sera finalement rejeté. Car sa représentation d’un homme qui marche aurait trop évoqué, par sa maigreur, les rescapés des camps de concentration. Alors qu’en 1946, l’artiste montrera bien un dessin et une sculpture de Rol-Tanguy lors de l’exposition « Art et Résistance » au Palais de Tokyo.

On ne perd jamais son temps à visiter ces hauts lieux de l’histoire de France en temps de guerre. Le travail réalisé en l’occurrence par Giacometti, les collections permanentes du musée et surtout la visite du PC souterrain de la Résistance, font office de rappel immunitaire au bénéfice de nos libertés démocratiques. Sans compter une pensée pour les femmes et hommes de l’ombre que le sacrifice héroïque n’aura pas sortis de l’oubli et ceux encore plus anonymes qui subirent les représailles de l’occupant en payant une addition exorbitante. Il est bon quoiqu’il en soit qu’un lieu chérisse cette part de France qui n’avait pas abdiqué, toutes obédiences confondues.

PHB

« Rol-Tanguy par Giacometti », jusqu’au 30 janvier 2022 au musée de la libération de Paris, place Denfert-Rochereau

Photos: @PHB

 

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