Coup d’envoi de la saison lyrique à l’Opéra Comique avec «Fidelio», unique opéra de Beethoven, rare à Paris, qui sera saisi sur le vif vendredi 1er octobre par Arte, lançant ainsi sa propre saison lyrique enrichie de nouveautés. On sait que Beethoven s’est directement inspiré du livret d’un opéra-comique français post révolutionnaire créé au théâtre Feydeau le 19 février 1798, signé par Bouilly musique de Gaveaux, intitulé «Léonore ou l’amour conjugal-Fait historique espagnol en deux actes et en prose mêlée de chant». L’unique opéra beethovénien s’inscrit dans cet idéal de liberté révolutionnaire et de dévotion conjugale bien dans l’air du temps, allant jusqu’à un certain féminisme (loi de septembre 1792 établissant le divorce «par le consentement mutuel des époux»). Toutes ces idées chères au compositeur lui donnèrent du fil à retordre, divers livrets se succédèrent, une première représentation date de 1805 mais fut suivie de constants remaniements
(avec notamment plusieurs ouvertures nommées Léonore I, II, III), jusqu’à la version finale donnée à Vienne en 1814.
Inspiré parait-il par un épisode réel de la Terreur, Bouilly préféra situer l’action dans une Espagne fantasmée, et Beethoven reprit l’idée : quelque part en Espagne, des prisonniers politiques sont détenus au secret dans une place forte par la volonté du tyran Pizzaro. Léonore, la femme du prisonnier politique Florestan emprisonné depuis deux ans, particulièrement haï du tyran pour avoir tenté de le renverser, se déguise en homme et se fait engager par Rocco, le directeur de la prison, comme son assistant sous le nom de Fidelio, dans l’espoir de découvrir si son amour est détenu là et tenter de le sauver. Mais voilà que la fille de Rocco, Marcelline, se sent de plus en plus attirée par le nouveau venu, si bien que l’histoire démarre comme une comédie virant rapidement au drame à cause de la terreur absolue que fait régner Pizarro.
La nouvelle production de l’Opéra Comique ne manque pas d’atouts voire de stars, à commencer par l’impétueux maestro français Raphaël Pichon de 36 ans, familier de la salle Favart, avec sa célèbre formation baroque Pygmalion sur instruments anciens et son chœur. Il situe tout simplement «Fidelio» dans la lignée de «La flûte enchantée» de Mozart («singspiel» ou pièce chantée) apparue quatorze ans plus tôt. Il y voit la même initiation conduisant les héros de l’obscurité à la lumière, et musicalement, s’en tient, à un quintette final près, à la dernière version de Beethoven de 1814. Il a pris l’excellente initiative de dérouler l’œuvre en deux heures sans entracte, afin de resserrer l’intrigue, nous faisant passer de la lumière glauque des bureaux de la prison (premier acte) aux ténèbres des cachots pour finir à l’air libre (second acte). Autant dire qu’il ne partage pas l’opinion de ceux qui considèrent que l’unique opéra beethovénien tient plus de l’oratorio que de l’œuvre lyrique, pour lui il s’agit d’une œuvre visionnaire à tous points de vue.
La première s’est déroulée le 25 septembre dernier, avec l’annonce que la soliste interprétant Fidelio-Léonore, souffrante, assurerait le rôle sur scène en mimant les paroles, tandis qu’une consœur chanterait depuis la fosse d’orchestre. Dans la salle comble, des cris de déception furent aussitôt suivis d’applaudissements frénétiques, le public d’opéra se comportant généralement comme un enfant gâté. Le procédé, qui n’est pas inédit, s’est révélé tout à fait fiable, témoignant de la grande solidarité unissant les protagonistes de cet art total, si interdépendant, si complexe, qu’est une représentation d’opéra. Puis maestro Pichon attaqua l’ouverture avec une fougue plus beethovénienne que mozartienne, et conserva cette intensité de bout en bout, se régalant dans les trios et les chœurs vibrants, très présents vers la fin. Manquant parfois de nuance, il nous donnait le sentiment que la fosse, et même la salle, étaient trop petites pour un tel souffle.
Que ce soient Pizzaro (la basse tchèque Gabor Bretz), Rocco (le bariton allemand Albert Dohmen), Marcelline (la soprano norvégienne Mari Eriksmoen) ou Fidelio (la soprano australienne Siobhan Stagg et sa doublure chantante Katherine Broderick), tous assurent aussi bien scéniquement que vocalement, sans éclat particulier.
Il faut dire que la mise en scène du cinéaste Cyril Teste ne les aide pas, les laissant la plupart du temps chanter alignés à l’avant sans aucune gestuelle, ou alors occupés à d’obscures tâches dans un triste décor minimaliste. On connaît la grande idée de Teste, qui est de laisser son cameraman se déplacer sur scène, les images vidéo étant projetées en direct en fond de scène, on l’a déjà vue à l’œuvre ici même dans le «Hamlet» d’Ambroise Thomas en 2018, mais ce procédé ne peut pas être tenu pour une mise en scène d’opéra.
Mais nous avons un Florestan de rêve, familier du rôle, l’un des plus fantastiques ténors du moment, le natif des Ozarks dans le Missouri, Michael Spyres, qui ne cesse de réaliser exploit sur exploit. Après avoir été successivement in loco Rodolphe lors de la résurrection de «La none sanglante» de Gounod en 2017, puis un «Postillon de Longjumeau » d’Adam éblouissant en 2019, le voilà qui change de registre. Il apparaît au bout d’une heure, au lever de rideau du second acte, pour exécuter un air réputé inchantable, la longue plainte de Florestan, et dès le premier mot, un «Gott !» déchirant, tenu très longuement sur le souffle, emplissant la salle entière, on passe dans une autre dimension. À lui seul il vaut le déplacement, comme on dit, et le public ne s’y trompe pas, qui lui fait une ovation à la fin de son grand air, comme au baisser de rideau final.
Lise Bloch-Morhange
Opéra Comique. «Fidelio» de Beethoven les 25, 27, 29 septembre , 1er et 3 octobre 2021
ARTE redémarre sa saison lyrique en direct de la Salle Favart le vendredi 1er octobre à 20h
Je trouve que la critique de Lise Bloch Morhange rend très bien compte de cette très belle soirée, avec ce Fidelio que je n’avais jamais entendu.
Le parti pris devenu systématique d’encombrer la scène d’images énormes et violentes gâche l’ouverture, que j’aurais bien aimer entendre en me laissant porter par la musique plutôt que dans une atmosphère de commissariat de police brutal.. Par contre, la conduite de la suite, en particulier dans les scènes en prison fait monter une tension progressive très intéressante, même si on connait le happy end…. . L’enchantement musical commence avec le premier quatuor »rossinien » qui se forme voix par voix , et le choeur « pré » final est sublime . Tous les chanteurs étaient bons, peut être plus particulièrement les hommes