Dans la gestion de notre cher et vieux pays, l’Administration, relevant du A majuscule, a volontiers recours à des «organismes chargés de lui donner un avis préalable», couramment dénommés « commissions ». Le législateur en impose parfois l’usage. Le plus souvent, elle en prend l’initiative, dès lors qu’elle pense y trouver un intérêt. Bien évidemment, dans des conditions qu’elle a soin de définir, pour conserver la maîtrise du processus. La plupart du temps, l’avis rendu n’engage même pas ceux qui l’ont exprimé…
Le Général De Gaulle avait souligné le grand cas qu’il faisait de ces rouages essentiels de la démocratie administrative, en évoquant «les comités Gustave, Théodule ou Hippolyte» (discours à Orange, 26 septembre 1963). Ils n’en présentent pas moins, pour la puissance publique, des avantages indéniables. Il s’agit, le cas échéant, de recueillir la position de spécialistes dans un domaine complexe. L’avis présentera un probable effet parapluie, si d’aventure l’institution judiciaire venait à s’en mêler. Le ministre se félicitera alors d’avoir su, quand il le fallait, «se ranger à l’avis des experts».
Ce peut être dans le but de se défausser d’une éventuelle responsabilité. Le Président Clémenceau en avait théorisé le principe : «quand on veut enterrer une décision, on nomme une commission». L’institution se révèle également précieuse pour désamorcer un sujet devenant brûlant. Son intervention suit alors les étapes ainsi décrites par Georges Clémenceau : «un problème, une commission, un rapport, un tiroir». Ceci afin de laisser du temps au temps. Certaines initiatives ont, du point de vue des effectifs, frôlé l’extravagance, ainsi la Convention citoyenne pour le climat, avec ses cent cinquante participants. Mais, d’un point de vue procédural, une commission se compose généralement d’une vingtaine d’individus des deux sexes, respectant la parité, soigneusement sélectionnés, périodiquement rassemblée autour d’une table en U pour éclairer le char de L’État.
Dès le décret n°2006-672 du 8 juin 2006, la réglementation, dans sa grande prévoyance, retenait la possibilité de conférences téléphoniques ou audiovisuelles. Aussi n’y eu t il pas source de recours en annulation lorsque la pandémie au virus SARS-CoV-2 imposa l’alternative plaisamment dénommée distanciel/présentiel. Lors des réunions en présentiel, aussi diversifiés que soient les thèmes abordés, l’origine socio-professionnelle des présents, son niveau d’intervention dans l’organisation de l’exécutif, toute commission comporte, outre un président à voix prépondérante flanqué d’un vice président, les personnalités suivantes (chacune ayant son équivalence au féminin) :
– le routinier : il tient absolument à sa place, déterminée en raison de considérations mystérieuses, influences astrales, forces telluriques, proximité de la porte ou du radiateur, qu’il occupera, séance après séance. Il a observé cette même attitude depuis l’école élémentaire. Pour un peu, il entrerait en salle en rang par deux, bras croisés.
Arrive toujours en avance pour défendre son territoire. S’est retenu jusqu’alors d’y graver son nom, au canif.
– le scribe : dès la première minute, penché en avant, il consigne inlassablement les propos tenus dans un carnet à couverture cartonnée. Plus moderne, dans sa version informatisée, il fait glisser ses doigts sur le clavier de son ordinateur. On s’est interrogé sur le but poursuivi par cet inlassable graphomane. Est-ce pour avoir de la lecture lors de ses nuits d’insomnie ? Quel ouvrage fracassant prépare t il ? Renseigne t il secrètement un syndicat, un parti d’opposition ou une association de consommateurs? Nul n’en saura jamais rien.
– le contradicteur : il a fait sienne la devise du Méphisto de Goethe, «je suis l’esprit qui dit non !» Recherchant le dissensus, il se pose en s’opposant. N’hésite pas à démolir sa position antérieure dès qu’il la voit reprise par un autre. La plupart du temps, le réflexe majoritaire est tel que ses arguments se noieront dans la masse des approbations, au moment du vote. Le modérateur veillera à le neutraliser par quelques papouilles sur l’ego avant que l’atmosphère ne s’envenime.
– le muet : catégorie de loin la plus fréquente. Certains auront assisté pendant des années à de nombreuses commissions sans jamais exprimer la moindre opinion. Leur présence n’en est pas moins sollicitée, car elle simplifie la conduite des séances. Ne sont pas forcément totalement anodins, le silencieux se révélant parfois redoutable grenouilleur de couloirs.
– l’habitué : délégué au titre de la structure représentative à laquelle il appartient, et dont il vient défendre, bec et ongles, les seules revendications, il connaît, dans le moindre secrétariat d’Etat ou sa notoriété le mène, l’emplacement des toilettes et des distributeurs de boissons. Se repère à son assurance de vieux routier, voire à la connivence des huissiers.
Et, pêle-mêle, l’amuseur, échangeant des billets avec ses voisins, l’abscons, alignant des gribouillis indéchiffrables ou des figures géométriques, l’insupportable détenteur de portable en activité, collé à ses e-mails, le rêveur, voguant silencieusement sur son imaginaire, l’amoureux, perdu dans ses fantasmes, le lèche-cul, léchant l’un, léchant l’autre et un peu plus tout détenteur d’influence. Sans oublier le novice, ignoré de tous, aux embarras de puceau. Les personnes ayant eu l’opportunité de siéger dans une commission font, pour la plupart, le même constat : sa performance s’avère inversement proportionnelle au nombre de participants. Là encore, Clémenceau avait son idée, radicale: «une commission, pour être efficace, ne doit compter que trois membres, dont deux sont absents».
Jean-Paul Demarez
Illustrations: ©PHB
Bien remarqué, bien écrit et bien vrai !
merci
Criant de vérité! On sent l’observateur expérimenté..L’inutilité croît avec,comme dit ,le nombre de participants mais aussi avec l’ambition du « thème « (il ne faut rien attendre d’une commission devant produire un rapport sur par exemple :la société sera-t-elle la même après la pandémie ? Les jeunes demain. )
Ces commissions donnent la possibilité à ceux qui les créent de placer des copains, dont le plus souvent on n’attend pas leurs lumières, ni qu’ils fassent quoique ce soit, à part émarger et se faire rembourser des notes de frais et déplacements.
Mitterrand avait placé ainsi une amie artiste, qui n’avait pas beaucoup de ressources, au CESE (Conseil économique, social et environnemental) dont la cour des comptes ne cesse de vanter l’inutilité. Il semble qu’elle n’y ait jamais mis les pieds.
Que penser aussi du haut-commissaire au plan, poste créé sur mesure pour le président de MoDem… Wikipédia nous dit que « le haut-commissaire au plan est chargé d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’État et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels ». A peu de chose prêt c’est aussi la fonction du CESE…
Que l’administration française ne soit pas au mieux, surtout depuis qu’elle est dirigée par des ultra-libéraux qui voudraient tout privatiser et surtout pas que l’Etat intervienne pour corriger les inégalités ou simplement dire le droit, je suis d’accord.
De là à hurler avec les loups, pas d’accord…
Le contrôleur général des prisons, par exemple, ou le Protecteur des droits, ce ne sont pas des comités Théodule… S’il y a des lieux pour pantoufler (administrativement) ou pour enterrer les dossiers, certes…
Mais un État efficace et moderne doit s’appuyer sur des structures légères et capables de traiter de tous les problèmes. Rétablir le plan c’est une bonne idée que ce soit un enfumage macronien c’est bien possible. Mais jadis le plan a accompagné la modernisation de la France par ses rapports (qu’on se rappelle le Rapport Nora-Minc sur l’informatique….
Le Conseil économique et social (devenu CESE) était moqué quand Mitterrand y nommait Georgette Lemaire ou Gilberte Bérégovoy, mais on y rendait un rapport annuel qui comptait…
Si vous voulez voir comment marche une commission d’enquête sort d’ici peu « Debout les femmes » de Gilles Perret et François Ruffin. Celui a été nommé rapporteur d’une commission d’enquête sur les femmes travaillant dans les maisons de retraite ou faisant le ménage dans les bureaux, ces invisibles qu’on a vu aux « premières loges »pendant les confinements… Il voulait qu’elles obtiennent un statut.
Pour lui mettre les bâtons dans les roues on lui adjoint un co-rapporteur en la présence du Marcheur Bruno Bonnell. L’entreprise, vouée à l’échec, ne l’a pas été totalement car les deux hommes ont auditionné ces femmes, ont porté leur parole dans l’Assemblée…
Bref, on peut ricaner, mais ça travaille quand même et avec bonne volonté dans les commissions…
Je pense qu’on va vers une élection suffisamment pourrie pour ne pas trop s’amuser à dénigrer la fonction publique. Notre État ne doit pas vaciller ni tomber comme un fruit mûr dans des mains qui, elles, ne laisseront jamais enquêter sur quoi que ce soit mais feront passer leurs lieux communs pour des vérités !
Il y a des milliers de fonctionnaires prêts à se dévouer à la cause publique si on ne la foule pas du pied pour faire un bon mot…