Comme dans beaucoup de capitales européennes, une foire du livre d’occasion et des vieux papiers se tient régulièrement à Bruxelles. Chaque premier samedi du mois, les amateurs se rendent au cœur du parc du Cinquantenaire, à quelques centaines de mètres du quartier de l’Europe. Ils viennent chiner auprès d’une quarantaine de libraires ou bouquinistes venus de la Belgique wallonne et flamande, mais aussi de France et des Pays-Bas. Ces «bibliophiles» ont le regard exclusivement tourné vers les étals où s’empilent documents rares ou livres précieux. C’est à peine s’ils prêtent attention à l’étonnante collection d’aéroplanes et d’aéronefs qui occupent le gigantesque espace. Cette spécificité de la foire aux livres de Bruxelles la rend unique au monde : elle se déroule au beau milieu du musée de l’aviation. Ce riche musée avait trouvé refuge il y a un demi-siècle dans les halles de 12.000 mètres carrés construites sous Léopold II pour l’exposition universelle de 1879.
D’abord «Galerie des Machines», cet espace hors normes dû à l’architecte belge Gédéon Bordiau s’est prêté à toutes sortes de manifestations – notamment des concours hippiques – avant d’accueillir en 1972 des avions de collection, ce que lui permettaient ses gigantesques dimensions.
Des machines volantes, civiles ou militaires, il y en a de toutes sortes, de toutes les époques. Près de 130 appareils. De vieux coucous dont on se demande comment ils pouvaient résister aux coups de vent. Un biplace de reconnaissance Caudron dont le premier vol remonte à 1914. Un autre biplace, anglais, qui frôlait le 200 kilomètres à l’heure en 1916. Un «Pou du ciel» entré dans les collections dès 1937. Un Gloster météor F 8, avion de chasse du Royaume-Uni utilisé en 1943. Une Caravelle qui rappelle les grandes heures de la compagnie belge Sabena. On nous indique encore comme «légendaires» le Spitfire, le Dakota ou le Mig 2. Tous ces appareils, dont certains gardent un parfum d’aventure très Saint-Exupéry, voisinent les uns avec les autres dans une apparente anarchie, le bâtiment de 170 m de long leur offrant une hauteur de 40 mètres.
Depuis 1985, à l’instigation de quatre ou cinq libraires bruxellois, ce lieu insolite est «prêté» une fois par mois aux professionnels du livre pour cette foire dont les visiteurs ne sont pas forcément amateurs de vieux coucous ou de belles carlingues. Le premier samedi du mois est ainsi devenu depuis près de quarante ans un rendez-vous immanquable, autant pour dénicher le livre rare ou la revue introuvable que pour rencontrer les libraires qui, au fil des ans, sont pratiquement devenus des amis. Quelles que soient leurs motivations, vendeurs et acheteurs, a priori antagonistes, ont en commun la même passion du livre, condition sine qua non, être un bon libraire autant qu’un bon collectionneur. Il est d’ailleurs connu qu’un libraire d’anciens a beaucoup de mal à cesser son activité et que la maladie de la collection de livres est pratiquement incurable.
Le salon de Bruxelles frappe par la diversité des objets imprimés mis en vente. On y trouve à peu près toutes les époques et tous les genres et la présence de 20 % de vendeurs flamands permet d’élargir considérablement l’offre européenne. Si les ephemera (tracts, imprimés divers prévus pour une durée de vie limitée) sont ici en grand nombre, curieusement on trouvera assez peu de bandes dessinées, alors que la Belgique a toujours tenu le haut du pavé dans ce domaine. Claude Decnop, président de l’association de bénévoles qui organise la manifestation, lui-même spécialisé dans la BD (il gère notamment les éditions de Bob Morane) ne donne pas de véritable explication. Peut-être qu’en Belgique le goût pour la bande dessinée est tellement vivant qu’on n’imagine pas qu’un album de BD puisse un jour rejoindre le cercle des livres oubliés.
Gérard Goutierre