Vivian Maier mania

Un petit cercle percé de trous est placé sur un mur au sein de la vaste rétrospective consacrée à Vivian Maier au Musée du Luxembourg. Et ce n’est pas une photographie. Il ne s’en échappe qu’un son, capturé par l’artiste en 1978, soit une conversation entre deux enfants dont elle s’occupait à Chicago ou encore un extrait d’une discussion avec la grand-mère d’une fillette dont elle avait eu la charge entre 1967 et 1974. Cet enregistrement démontre que cette femme venue à la célébrité par surprise, après sa mort, cherchait d’autres moyens d’attraper ce qui l’intéressait, autrement que par ses appareils photographiques comme un Rolleiflex, un Leica ou ses caméras 8 et 16 millimètres. Ce n’est évidemment pas le clou de l’exposition. Nous sommes là pour admirer les tirages effectués sur le tard par son découvreur John Maloof, portraits, autoportraits et scènes de la vie quotidienne aux États- Unis.

Avant tout, il reste nécessaire de rappeler les faits. Vivian Maier est née en 1926 à New York. À moitié française par sa mère, elle va vivre quelques années en France dans les Alpes de Haute Provence après la séparation de ses parents. En Amérique, elle travaille comme vendeuse avant d’entamer une longue carrière de nourrice à domicile parmi différents foyers. C’est en 1951, après un bref intervalle en France, qu’elle acquiert à New York un appareil Rolleiflex, un formidable boîtier, chéri des collectionneurs et produisant des clichés carrés. Durant toute sa vie de gouvernante, aimée des enfants qu’elle contribue à éduquer, elle va se livrer à sa passion de la photographie dans la plus grande discrétion. Elle prend plusieurs milliers de photographies -cent vingt mille dit-on- mais, faute de moyens, son travail ne dépassera pas la plupart du temps le stade du négatif. La fin de sa vie aurait pu être miséreuse si les enfants de la famille Gensburg (onze années auprès d’eux) ne l’avaient retrouvée pour l’assister financièrement. Elle meurt en 2009 dans une maison de repos. Sans savoir que deux ans auparavant, un jeune agent immobilier avait acquis son trésor pour pas cher  et entreprit de le valoriser tout en enquêtant sur sa vie.

Le résultat est aujourd’hui heureusement visible dans cette très généreuse exposition, laquelle va durer jusqu’au 16 janvier au Musée du Luxembourg. Son œuvre se hisse au niveau des plus grands et n’est incidemment pas sans rappeler pour ceux qui la connaissent, celle du génial Stanley Kubrick lequel n’avait pas fait que du cinéma. On y découvre de l’inédit et notamment des films jamais montrés jusqu’alors. Mais c’est son travail en noir et blanc qui est sans conteste le plus remarquable. Qu’il s’agisse d’autoportraits ou de scène de rue son œil nous offre ce que notre regard ne saisit jamais ou presque. C’est là l’essence même du métier de photographe. Quand elle fixe un alignement d’hommes portant chapeau et lisant le journal dans les transports en commun (Chicago 1957), elle plaque sur un format carré tout ce que doit comporter un bon cliché en matière de lumières et de perspectives. Elle capte l’instant avec un incroyable instinct, une inspiration parfaite dont s’il faut en croire la légende, elle n’appréciera que rarement le résultat sur papier.

De la même façon lorsqu’elle saisit trois personnages dans la rue en train de se partager la lecture d’un journal. Le quotidien déployé, trois attitudes différentes sans compter une lumière très pure, on touche ici à une certaine perfection. Et le musée a eu la bonne idée de projeter en grand cette photo (qui fait aussi l’affiche de l’événement) parmi quelques autres sur un mur. On ne l’en apprécie que davantage. Un signe qui ne trompe pas dans la réussite d’une exposition, c’est lorsque le visiteur revient sur ses pas, jusqu’à l’entrée, afin de refaire le parcours et mieux s’imprégner de ce qu’il a vu, tout en se promettant d’y revenir.

Elle était invisible, elle photographiait les invisibles (y compris son propre anonymat) et c’était en outre une bonne personne d’après les témoignages collectés. Dans le catalogue il y est dit qu’elle a eu l’occasion d’effectuer ses propres tirages à Highland Park mais avec une certaine « désinvolture, peu soucieuse du contraste, des gammes de gris ou de la densité des noirs ». Tout le contraire de ceux qui nous sont proposés depuis le 15 septembre. Et c’est bien le moins que l’on pouvait faire afin de lui rendre un juste et vibrant hommage, en restituant son travail avec tout le soin possible.

PHB

 

« Vivian Maier » du 15 septembre 2021 au 16 janvier 2022, Musée du Luxembourg

Photos de l’expo: ©PHB
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5 réponses à Vivian Maier mania

  1. Yves Brocard dit :

    Je suis l’un des visiteurs qui « revient sur ses pas, jusqu’à l’entrée, afin de refaire le parcours et mieux s’imprégner de ce qu’il a vu, tout en se promettant d’y revenir » voir cette magnifique exposition. Il y avait déjà beaucoup de monde pour la première journée.
    Incidemment, la Cour de justice du Comté de Cook, près de Chicago, doit prochainement décidé du sort des ayants droit sur l’œuvre de Vivian Maier. Deux héritiers ont été identifiés et doivent se partager le pactole de l’exploitation des reproductions (de très grande qualité comme vous l’avez souligné), que l’on dit faramineux, avec John Maloof et son partenaire. Une fois cela réglé, on verra alors peut-être plus d’œuvres.
    Pour ceux qui veulent connaître la vraie histoire de Vivian Maier, je recommande à nouveau (voir votre article du 25 janvier 2019) le livre « Vivian Maier, A photographer’s life and afterlife » écrit par l’universitaire Pamela Bannos, spécialiste de la photographie. Elle a fait des recherches approfondies sur sa vie et analyse aussi finement son art et l’évolution de cet art. Ce livre révèle une histoire beaucoup plus complexe et riche que celle qu’a dessinée John Maloof. Bizarrement il n’a pas encore été traduit en français, alors qu’on peut le trouver en italien.
    Il est d’ailleurs escamoté des biographies, vous ne le trouverez pas cité dans le catalogue de l’exposition, ni proposé dans la boutique du musée…
    La mairie de Paris a eu l’heureuse idée de donner le nom de Vivian Maier à une rue du 13e arrondissement, aux côtés de ceux de trois autres photographes : Berenice Abbott, Dorothea Lange et Gisèle Freund, rien que cela ! Elle entre ainsi dans la cour des très grandes.

  2. philippe person dit :

    À chaque fois qu’on parle de Vivian Maier, à commencer par le film qui lança l’affaire, je suis sceptique… Comment une nounou pouvait-elle s’acheter des appareils de photos aussi chers, utiliser des milliers de pellicules pas données non plus…. et en plus louer un garde-meuble pour les entasser…
    Bref, dès que j’ai vu en projection de presse le film « À la recherche de VM », je n’y ai pas cru. J’ai l’impression qu’un jour la supercherie éclatera…
    Bon, on sait aussi que c’est le tirage qui fait la qualité de la photo… Donc bravo aux tireurs…
    Malheureusement, pour l’heure, je ne peux pas aller voir l’expo puisqu’il il faut désormais montrer patte blanche sanitaire. Que vous le fassiez tous sans problème me navre… et que vous ne compreniez pas que certains refusent de se soumettre à cet odieux chantage me rend encore plus triste.
    Ah ! la servitude volontaire ! Pour consommer de la culture !

  3. anne chantal dit :

    Monsieur Philippe Person, ne pensez pas qu’ à vous, pensez aux autres !
    Qui parle de chantage ?
    Essayez de vivre votre présent le mieux possible , au lieu d’extrapoler sur un avenir brumeux;; vous serez dans le mode positif !, et enfin fréquentable…
    Vivian Meier l’avait compris, Elle.

  4. Agnès Guillot dit :

    Cf. ma réponse dans ce même sens dans les commentaires de
    https://www.lessoireesdeparis.com/2021/08/27/festival-davignon-bonheurs-2021/

    • philippe person dit :

      Je ne voulais pas vous accabler, mais bon, puisque vous insistez
      (méchamment !) : vous auriez dû mettre les âges des disparus…
      Histoire que je vous rappelle que le covid ne touche que des gens en « passe » de mourir dans les deux ans à venir covid ou pas. Le Covid a sûrement hâté leur mort mais ce n’est pas le Sida qui nous a privé de jeunes gens comme Koltès ou Lagarce.
      Bref, on se doute que quelqu’un comme Obaldia, avec qui j’ai encore déjeuné il y a moins d’un an, est possiblement une victime du covid. Donc, malheureusement pour moi pour qui cet homme est toujours une lumière à 103 ans, je ne l’ai plus rencontré en « vrai ».. Vous voyez que je prends soin des « grands » du théâtre ! Quelqu’un qui vaut largement 90 % de vos morts chéris !!!

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