La Chaux-de-Fonds, berceau de l’industrie horlogère suisse et de Le Corbusier

Autant dire que les premiers pas à La Chaux-de-Fonds, perchée à 1000 mètres dans le Jura suisse, peuvent s’avérer déroutants. Ici, ni vieux centre médiéval, ni ravissantes places carte postale, et pas plus de bâtiment contemporain qui en jette. La troisième ville de Suisse romande (38.000 habitants) a été construite selon un plan en damiers avec de larges avenues alignées les unes au-dessus des autres et bordées d’immeubles de taille similaire. Un peu comme une ville américaine mais sans y ressembler !

Quand on sait que La Chaux-de-Fonds (canton de Neuchâtel) a été le centre mondial de l’horlogerie pendant plus de 100 ans ainsi que le berceau de Le Corbusier, on peut être désappointé. Et pourtant, son urbanisme original qui ne s’apprécie pas au premier regard est exceptionnel ! Il témoigne du développement de l’industrie horlogère en reflétant les besoins d’organisation rationnelle de sa production. C’est donc tout un pan de l’histoire industrielle mondiale qu’il retrace, ce qui lui a valu une inscription au Patrimoine de l’UNESCO en 2009.

Au XVIIIe siècle, la mutation de La Chaux-de-Fonds, qui n’était jusqu’alors qu’un bourg agricole, commence avec la fabrication de dentelles et d’horloges qui s’est propagée le long du Jura. En 1794, le village est ravagé par un incendie. Une opportunité unique de le reconstruire en l’agrandissant conformément à des critères «idéalistes» favorisant le développement d’une industrie amenée à prendre de plus en plus d’importance.

Son plan actuel, le plan en damier Junod de 1834, répond à ces critères. Il doit permettre d’éviter la propagation des incendies en distanciant les habitations nouvelles, des immeubles de location qui servent à la fois de logements et d’ateliers à domicile, avec, pour chacun, un jardin potager à ses pieds. Il faut aussi favoriser l’ensoleillement de chaque logement pour les activités horlogères en orientant toutes les façades Nord-Sud et en les parant de nombreuses fenêtres. Et, dans les montagnes du Jura suisse où l’enneigement est important, il importe de prévoir les espaces nécessaires au déneigement ce qui explique la grande largeur des rues. Avant que n’apparaisse la fabrication mécanisée dans des manufactures de petite taille, fin XIXe, l’activité horlogère était morcelée. Chaque ouvrier ou artisan était spécialisé dans une tâche, souvent exercée en famille. Il était donc très important que les voitures à cheval puissent, même au cœur de l’hiver, aller rapidement d’un bout à l’autre de la ville récupérer les différentes pièces dans les ateliers familiaux avant de procéder à leur assemblage.

L’industrie horlogère prospère au XIXe siècle comme en témoignent les données suivantes. Entre 1850 et 1910, la population triple entrainant l’expansion de La Chaux-de-Fonds pour accueillir les nombreux migrants venus y travailler. En 1870, près de la moitié de sa population œuvre directement dans l’industrie horlogère. Et vers 1900, 55% de la production horlogère mondiale provient de La Chaux-de-Fonds. Comme le dira Marx : «La Chaux-de-Fonds peut être considérée comme formant une seule manufacture horlogère.» (Das Kapital, 1867).

Une école d’horlogerie et d’arts appliqués y est fondée dès 1865. Charles-Edouard Jeanneret (futur Le Corbusier) y sera à la fois élève de 1904 à 1906 puis enseignant. Né à La Chaux-de-Fonds en 1887, il en fera sa résidence principale pendant 30 ans, années entrecoupées de stages et séjours à l’étranger. Après avoir collaboré à la construction de différentes villas (villa Fallet, villa Stotzer, villa Jaquemet…) à La Chaux-de-Fonds de 1906 à 1908, il y ouvre son propre cabinet d’architecture en 1912. Sa première réalisation sera la Maison blanche (ci-contre) construite la même année pour ses parents. De style néo-classique, elle rompt totalement avec le style régional art-nouveau (dit «style sapin») des villas auxquelles il a précédemment collaboré. Elle recourt aux expériences qu’il a faites à Paris auprès des frères Perret et à Berlin auprès de Behrens ainsi qu’à ce qui l’a marqué pendant ses voyages en Allemagne et dans les Balkans. Elle est pour lui un laboratoire où il peut tester idées et matériaux. La Maison blanche annonce ce qui définira le style Le Corbusier et notamment le plan libre, le toit-terrasse, les fenêtres en bandeau, l’inscription de la maison du dedans au dehors dans son environnement. Dans le cas de la Maison blanche, un cadre verdoyant magnifique.

Le Corbusier construira une seconde villa marquante, la villa Turque, sa dernière œuvre chaux-de-fonnière. Cette villa (ci-dessous), construite en 1916-1917 pour le fabricant d’horlogerie Anatole Schwob, doit son surnom à son aspect extérieur. Avec sa corniche néo-grecque, son toit plat, son revêtement de briques vernissées ocre, elle peut faire penser à un bâtiment turc. Là encore, l’ensemble constitue un plan libre sans murs porteurs avec une façade sud largement vitrée et un toit-terrasse.

C’est après la construction de la villa Turque, que Le Corbusier quittera définitivement La Chaux-de-Fonds pour Paris. Toutes ces villas se trouvent sur les hauteurs de la ville, un endroit champêtre magnifique. Hormis la Maison blanche (ouverte vendredi, samedi, dimanche plus le lundi en été), elles ne sont que visibles de l’extérieur car habitées.

S’il vous reste de l’énergie après avoir parcouru la ville en tous sens à la recherche de de ses trésors architecturaux et artistiques, vous pourrez terminer votre visite par ses trois musées : le musée des beaux-arts, le musée de l’horlogerie et le musée de la vie paysanne sans négliger son centre d’art contemporain, le Quartier général, installé dans les anciens abattoirs, classés en 1906.

Lottie Brickert

À noter : L’office du tourisme propose des visites d’ateliers horlogers, des visites guidées de la ville ainsi que des brochures très bien faites pour découvrir en individuel ses richesses artistiques, architecturales et industrielles (circuit art nouveau, circuit horloger, circuit Le Corbusier).
Photo d’ouverture: collection de la Bibliothèque de l’école polytechnique de Zurich, publiée sur Wikimédia Commons
Photos suivantes: ©Lottie Brickert

 

 

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5 réponses à La Chaux-de-Fonds, berceau de l’industrie horlogère suisse et de Le Corbusier

  1. Il y a un esprit chaux de fonnier ! ville ou les courants socialistes voire utopiques étaient présents. C’est aussi le ville natale de Blaise Cendrars ( un collège porte son nom) et une exposition sur la 3 D a lieu en ce moment!
    Les capitaux Cartier sont venus chambouler l’arrivée à la Chaux de Fonds avec ce bâtiment et d’autres .À côté de la poste se trouve un petit musée d’histoire naturelle qui fait le bonheur des enfants ! La vie y est moins chère qu’en Suisse Allemanique .
    Votre présentation de cette ville me rappelle de bons souvenirs! Merci beaucoup

    • Raymond dit :

      Des fonds Cartier attirés à la Chaux-de-Fonds, on peut trouver une certaine cohérence à l’investissement. Souhaitons toutefois que cela ait profité aux chaux-de-fonniers. À défaut, il conviendrait de remettre les pendules à l’heure

  2. Hormiguero dit :

    Une petite pensée pour Frédéric Louis Sauser, dit Blaise Cendrars, né à La Chaux de Fonds le 1er septembre 1887, quand même…

  3. Lise Bloch-Morhange dit :

    Depuis la publication de sa correspondance en 2015, on ne peut plus aujourd’hui parler de Le Corbusier sans évoquer son antisémisme virulent, ses louanges de Hitler et Mussolini et sa collaboration au régime de Vichy. Ce qui remet toute son oeuvre en perspective…

  4. GRISSOT dit :

    Une ville et une chronique réglées comme des horloges 🙂

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