Une fois le de cujus parti ad patres, il convient de régler le sort de sa dépouille (pour peu gratifiant qu’il soit, le terme n’en est pas moins approprié). La forme classique de l’inhumation se présente comme l’introduction du cercueil en chêne massif aux six poignées argentées, orné, sur le couvercle, d’un symbole religieux, dans le caveau de famille. Ce qui présuppose une certaine assise sociale. D’autres variations existent, emballages plus modestes, en sapin, bambou, carton, papier mâché, pour une tombe de rencontre. Mais, notable ou purotin, le défunt réintégrera le Grand Cycle de l’Azote,
seule perspective d’éternité scientifiquement validée. Sous l’action de la décarboxylation bactérienne, et de huit escouades d’insectes qui, de Caliphora vomitaria à Tenebrio obscurus, se succéderont sur le cadavre.
Des esprits inventifs, férus d’écologie, ont mis au point d’autres rituels. L’humusation, enfouissant le mort posé à même le sol, sous un amas de paille, de feuilles mortes et de copeaux de bois- en une petite année, il va se transformer en compost propre à servir d’engrais. Plus technique, la promession, où, par un bain dans l’azote liquide, le macchabée, prenant la rigidité de la pierre est réduit en poudre à l’aide de vibrations. Même résultat avec la liquéfaction, après marinade dans une solution de soude et de potasse.
Si quelques États, de par le monde, se sont aventurés dans ces fantaisies funèbres, la
France n’offre, comme alternative à l’inhumation, que le crématorium. Plus de trente pour cent de nos compatriotes font désormais ce choix. Au début du siècle dernier, il procédait d’une intention militante. Au nom du dogme de la résurrection de la chair, l’Église interdisait un tel recours. Alors, après avoir toute une vie d’homme manifesté contre l’obscurantisme clérical en s’enfilant une entrecôte pur bœuf chaque vendredi, le libre penseur parachevait son combat par l’incinération. Point d’orgue, bras d’honneur terminal, dernier soufflet sur la calotte ! Depuis le concile Vatican II mettant fin à la prohibition (1963), le geste sacrilège est tombé en désuétude. Au reste, qui diantre, de nos jours, se préoccupe d’emmerder le curé. Source d’ardentes querelles, le sujet prête désormais moins à débats que la présence d’un fumeur au restaurant. Sauf pour le judaïsme et l’islam, mais ceci est une autre histoire.
En dépit de son bilan carbone, l’incinération donne aux obsèques une tonalité résolument moderne. Compte tenu du coût du marbre ou du granit, et de l’achat d’une concession funéraire, elle se révèle d’un excellent rapport qualité/prix. Livrable en deux heures après un passage à 850°C, le produit de la prestation, récolté dans une sorte de grosse gélule, a l’avantage d’un encombrement réduit, compatible avec un sac de sport.L’intéressé peut organiser de son vivant un devenir particulier. Le romancier Henry de Montherlant (1895-1972) choisit la dispersion à Rome, sur les ruines du temple de la Fortune virile. Gabin fut ventilé en mer d’Iroise, du haut d’un bâtiment de la Royale. Un dénommé Gene Roddenberry inaugura, le 22 octobre 1997, les funérailles spatiales, largué d’une navette Columbia.
Les employés des pompes funèbres filent volontiers l’anecdote. Ainsi, telle veuve demandant à unir dans un même récipient son mari et un teckel nain, également regrettés. Ou cette firme, plaçant sur demande les ultimes scories dans un pied de lampe, le disparu demeurant ainsi, pour sa descendance, une lumière. Quelques sociétés, par extraction du carbone du mâchefer terminal,fabriquent des «diamants commémoratifs», à sertir sur bague, ou pendentif.
L’urne pouvait également prendre place dans un salon, ou sur une table de nuit, entretenant ainsi le souvenir, tout en évitant la ballade régulière au cimetière. Mais à la succession postérieure commençaient les problèmes. Que faire de la relique ? Certains conteneurs s’étant ainsi retrouvés balancés à la décharge, Jean-Pierre Sueur, àl’époque sénateur du Loiret, s’est ému. Sa loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire vise à éviter de tels égarements. «Les restes des personnes décédées» doivent être traités avec «respect, dignité et décence». Ce qui est quand même assez clair. Bien sûr, si l’on ne peut plus les conserver par devers soi, les cendres peuvent encore être dispersées en pleine nature ( «sauf sur les voies publiques»), sous réserve d’une déclaration à la mairie de naissance, précisant la date et le lieu, pour inscription sur un registre. Il y a là une certaine marge de manœuvre. Elle a permis à une pincée d’un mien ami de trouver place, clandestinement, dans le dix-huitième trou de son parcours de golf favori.
Attendu qu’il n’est pas de petits profits, deux entreprises se sont spécialisées dans la
récupération d’éventuels métaux après crémation. Celle-ci produit deux types de résidus, le «calcius», c’est-à-dire la partie minérale des os, remis à la famille, et divers matériaux non combustibles, récupérés pour être revendus… À vue de nez, une centaine de tonnes par an. Un projet de décret souhaitait légaliser leur appropriation par les opérateurs, ne serait ce que pour récupérer les taxes y afférentes. Las, le Conseil d’État vient de le retoquer ( cf Déchets Infos 31 mars 2021), estimant qu’appartenant au «patrimoine du défunt», ils reviennent à ses ayants-droit…. Bon à savoir, avant d’aller chez le notaire.
Jean-Paul Demarez
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… Et ce n’est pas une des moindres contradictions de l’Eglise que d’autoriser aujourd’hui, sans conséquence pour « l’avenir » du défunt, ce qui était prohibé avant Vatican 2 sous peine de damnation éternelle… sans qu’on ait d’ailleurs jamais bien compris sous quels traits et à quelle époque d’une vie passée la résurrection de la chair d’un défunt devait se manifester. Le clergé d’avant Vatican 2 aurait-il raconté des fadaises? Vive les dogmes à géométrie variable!
Réjouissant ce mode d’emploi des restes d’une vie, qu’on espère bien remplie.
Je me souviens qu’un « sollicitor » britannique (métier à mi-chemin entre le notaire et l’avocat), avait eu à régler la succession d’une vieille aristocrate décédée. Il était bien embêté car, sur la cheminée de la défunte, trônaient alignées les urnes de ses servantes décédées. Il se devait de retrouver les familles de ces servantes afin de leur remettre ces cendres, ce qui n’est pas forcément très aisé. Faute de quoi, il devait les garder chez lui…
Une idée de collection ?
Et c’est ainsi que les cendres de Dorothy Parker ne trouvèrent leur dernière demeure que plus de 50 ans après la mort de celle-ci…