« Metropolis » était à peine sorti sur les écrans qu’il inspira une œuvre profondément originale à l’artiste Pierre Gatier. D’abord par le traité moderne, gravure au burin et à la pointe sèche et ensuite parce qu’il avait surtout choisi de mettre en avant la salle où était projeté le film événement de Fritz Lang. C’est une spectatrice et une ouvreuse presque caricaturées qui font le premier plan (ci-contre) tandis qu’un feu d’artifice synthétique très identifiable occupe le second. L’imagier sage était pour l’occasion sorti de ses gonds ce qui n’était pas si courant. Pierre Gatier (1878-1944) fait l’objet actuellement d’une remarquable exposition au musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de l’Isle-Adam dans le Val d’Oise. Rien de proprement révolutionnaire chez cet homme, mais les quelque 130 œuvres exposées nous convoquent néanmoins par leur élégance insigne, une matière qui aurait quelque peu tendance de nos jours à se raréfier.
D’ailleurs voici ce qu’écrivait un certain Jean Paillard à propos de cet artiste que l’on a bien fait de remonter à la surface: « Il sut choisir ce qui fait à Paris son charme unique au monde, ce que toutes les autres capitales essaient de copier sans jamais se l’avouer, le raffinement délicat, la variété infinie des élégances. » C’était en 1910. Rapporté à 2021, on mesure toute la désuétude du propos. Mais il est bien vrai que Pierre Gatier, natif de Toulon avant de résider (et d’être enterré) dans le Val-d’Oise, a de toute évidence été fasciné par Paris et ses quartiers chics de la Madeleine à la rue de la Paix en passant par Saint-Cloud et les hippodromes. Chapeaux haut de forme pour les hommes, couvre-chefs extravagants pour les femmes, Paris avec ses grandes avenues, ses larges trottoirs, son harmonieux mobilier urbain, tout cela constituait un beau terrain de chasse pour un œil novateur, afin d’en figer les scènes, bien mieux que les photographies de l’époque.
Pierre Gatier appréciait les techniques modernes de gravure permettant la reproduction, il aimait notamment explorer les possibilités de l’aquatinte (au point d’en faire un livret didactique) afin d’obtenir des rendus pour le moins séduisants quoique apocryphes. L’exposition nous montre par endroits les différentes étapes visant à l’aboutissement d’une de ses eaux fortes et aquatinte, d’abord un dessin au crayon et pastel pour un « Monde la noce » puis son équivalent achevé en eau-forte et bon pour le tirage. Là nous voyons la rue de la Paix et ses élégantes avec une dominante de bleu, et la même ailleurs change son ambiance pour du jaune. Dans les deux cas, ce jeu interchangeable auquel ne se prêtaient pas les peintres, est réussi. Le genre n’était pas dérangeant, encore moins contre-culturel, mais il était plaisant et il l’est toujours.
Néanmoins cela ne contentait pas tout le monde. Dans le bel album vendu sur place, on peut lire sous la plume de Marianne Grivel (professeur d’histoire de l’estampe et de la photographie) que Camille Pissaro s’était agacé que l’on s’éloignât ainsi du pinceau, de la peinture à l’huile et de la palette, signifiant à son fils Lucien par courrier: « On ne s’occupe plus ici que d’estampes, c’est une rage, les jeunes ne font plus que cela. »
Chronologique, l’exposition nous mène sur les traces de Pierre Gatier ce qui nous conduit à bien comprendre ses changements de pied selon les époques, selon qu’il semblait avoir été au bout d’une technique ou qu’il quittait son environnement parisien. Il embarquera ainsi sur des bateaux militaires pour réaliser des marines et même apporter sa science de la couleur à la problématique sensible du camouflage. Avec le début de la Première guerre mondiale il passe au linoléum, matière plus économique et davantage facile à travailler. Par voie de conséquence, son style change complètement. Il devient plus sobre, plus sévère, non sans évoquer les bois gravés de Dufy pour « Le bestiaire » d’Apollinaire. Le changement est radical et là encore il joue avec les possibilités de la reproduction en proposant pour un même sujet, là une version noire, là une version bleue.
C’est après la guerre que Gatier franchit encore un cap en laissant tomber le linoléum pour se tourner vers le burin et la pointe sèche. Ce faisant il s’adapte au courant de la mode et c’est ainsi qu’il fera de « Metropolis » un sujet remarquable, un « Tea for two » qui le ramènera sur les voies d’une certaine élégance parisienne, une scène médicale étonnante où un garçonnet soigne sa peau aux rayons ultraviolets ou encore une scène de repos après le golf, fascinante de mobilité.
Cette exposition vaut bien la peine de prendre le train à la gare du Nord jusqu’à la vieille station L’Isle-Adam-Parmain inaugurée en 1846. L’intérieur des nouveaux trains de banlieue, climatisés, fait qu’on se croirait dans un Airbus, la place en plus. La ville est jolie, il fait bon s’y promener sur ses ponts, bader sur sa plage qui a toute une histoire ou sur les chemins qui longent l’Oise et ses différents bras d’eau. Le contexte est parfait. le musée est à deux pas de la gare. C’est le retour à Paris et son délabrement qui est plus difficile.
PHB
« Pierre Gatier, de l’élégance parisienne aux rives de l’Oise », musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq, l’Isle-Adam, jusqu’au 3 octobre
Merci de nous faire connaître cet artiste. J’ai cependant du mal avec votre conclusion « partisane », j’allais écrire « parisane »… Vous rentrez de la banlieue la plus chic, la moins encline à se mixer socialement… et vous comparez avec Paris. Bravo la rigueur intellectuelle…
Pour les lecteurs des Soirées, je rappelle que le maire de L’Isle Adam est le fils de Michel Poniatowski, le prince Axel (s’il est l’aîné des Ponia), et qu’on est loin de la misère de la porte de la Chapelle et du boulevard de Stalingrad.
Si l’État voulait que Paris rayonne, je vous ai expliqué une fois, que c’est lui qui a l’argent pour la plupart des monuments et infrastructures parisiennes et qu’il est responsable de la politique à l’encontre des migrants. S’il laisse dépérir Paris, c’est sans doute pour nuire à not’brave maire réélue contre son gré, qui,elle, fait ce qu’elle peut en laissant les milliardaires installer leurs collections d’art là où ils l’entendent… Cela donne la Bourse du Commerce Pinault, la fondation Arnault ( Arnaut qui installe Dior à côté de Vuitton sur les champs). Voilà un Paris qui rutile et qui n’est pas à l’abandon ! Bien au contraire !
Et l’on attend la résurrection bobo chic de la Samaritaine !
Bernard Arnault , la fondation Arnault , François Pinault
même combat avec l devant t .
Pierre Gatier fut un remarquable aquarelliste, chroniqueur de la vie parisienne, mais aussi peintre de la marine. Il est amusant de penser qu’il travailla à la dissimulation des navires. L’ article est très riche et intéressant maisje suis en accord avec Monsieur Person à propos de la conclusion, Paris n’ a rien d’ une » ville en ruines », mythe développé par les poètes ainsi que l’ écrit Giovanni Macchia.