Si aujourd’hui les images de la guerre nous sont devenues si familières, il n’en fut pas toujours ainsi. Il fallut l’invention et le perfectionnement de la photographie puis du cinéma pour que cela le devienne. Auparavant, peintres et dessinateurs accompagnaient l’armée tout comme aujourd’hui les « soldats de l’image » du service de L’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense) dont sont issues les photographies d’une exposition qui vient de débuter au Mémorial 14-18 Notre-Dame de Lorette. Elle met justement en lumière les liens qui unissent la mémoire et les images d’hier à aujourd’hui. Si les techniques sont différentes, elles concourent toutes au même résultat, informer ceux qui ne sont pas sur le théâtre des opérations, faire témoignage et alimenter les archives.
Mais au cours des conflits, et notamment la Grande Guerre qui fit de la photographie une arme de propagande, on est face à une réalité qui nous dépasse. Personne ne sera par ailleurs étonné de voir combien la guerre ressemble à la guerre d’un bout à l’autre de la planète et cela par delà les années qui séparent la guerre de 14-18 et la guerre du Donbass qui se déroule aujourd’hui aux portes de l’Europe, en Ukraine. En 2017/2018 le photojournaliste Édouard Elias y a photographié la guerre en travaillant sur les parallèles possibles entre 14-18 et le Donbass. Comme ses lointains prédécesseurs, il a ramené des images en noir et blanc de désolations et de ruines, de soldats très jeunes, de cimetières et de tranchées car depuis 2015 au Donbass, certaines conditions de combat se rapprochent de la guerre de position, caractéristique de la Première Guerre.
L’année 1915 marque la naissance du reportage photographique de guerre. Pour évoquer la Grande Guerre, là où prit naissance le XXe siècle, il suffit de 62 photographies pour regarder d’un œil neuf tous ces clichés que l’on croit connaître. Avec un parcours didactique en six étapes, le visiteur est invité à découvrir la place de la photographie dans les guerres et la création de la Section photographique des Armées (1915), le rôle des soldats photographes mais aussi celui des photographes amateurs dont les clichés constituent une formidable réserve sur la manière de voir la guerre. D’un côté, les officiels, des soldats à qui l’on demande de faire des clichés pour l’Armée et de l’autre, loin de la fabrique des héros, les soldats photographes amateurs qui ne s’embarrassent pas de la censure et ne font pas le même type d’images. Sont aussi évoquées les contraintes techniques et les différents moyens de diffusion de ces images (presse, cartes postales…) et l’héritage de la guerre de 14 chez les reporters de guerre d’aujourd’hui. Les photographies originales sur plaques de verre ont été numérisées et agrandies. Des extraits de films d’archives et des appareils photographiques complètent ce parcours de visite.
Lieu symbolique s’il en est, entre Lens et Arras, la colline de Notre-Dame-de- Lorette baptisée «la colline sanglante», en référence aux terribles combats qui s’y déroulèrent, abrite le Centre International d’Histoire de la Première Guerre mondiale qui regroupe la Nécropole nationale Notre-Dame-de-Lorette, le plus grand cimetière militaire français avec plus de 42.000 tombes (actuellement fermée pour cause de crise sanitaire), l’Anneau de la Mémoire et le Mémorial 14-18.
Puisque vous y êtes, prenez le temps de plonger dans le passionnant parcours du Mémorial. Un indispensable complément à la visite de l’exposition qui vous permettra d’approfondir les thèmes évoqués et d’avoir une pensée émue pour tous les artistes qui vécurent cet enfer et y puisèrent la force de réinventer l’avenir en cassant les codes du monde d’avant qui avait sombré dans la folie guerrière.
André Breton qui découvrit Freud et la psychanalyse en tant qu’infirmier au centre neuro-psychiatrique de Saint-Dizier, en 1916, fut de ceux-là. Troublé par ce qu’il y vécut avec les soldats traumatisés par l’expérience des combats, il écrivit à son ami Guillaume Apollinaire mobilisé comme lui: «Rien ne me frappe tant que les interprétations de ces fous. Est-ce que je ne rapporte pas de nos discussions le même trouble qu’eux ?». En 1918, année où il rencontra Aragon à l’hôpital du Val-de-Grâce, il aurait dû devenir médecin ou même psychiatre, une spécialité qui l’a un moment tenté, mais il choisit une autre voie, celle de la poésie puis du surréalisme.
Françoise Objois
Jusqu’au 11 novembre 2021, Mémorial 14-18, 102 rue Pasteur, Souchez. Entrée libre. Masques obligatoires. 03 21 74 83 15 – contact@memorial1418.com
Du mercredi au vendredi de 10h à 13h et de 14h à 18h, le samedi et le dimanche de 11h à 13h et de 14h à 18h.