Quand il partait à la guerre, le soldat français pouvait emporter dans l’une de ses poches un manuel lui servant de source spirituelle entre deux coups de feu. Celui-là date de 1882, l’année où incidemment, Jules Ferry fit voter une loi sur la suppression de la morale religieuse à l’école. Rédigé par un aumônier militaire, il ressemble peu ou prou à celui que détenait Guillaume Apollinaire et qui sera mis en vente aux enchères le 18 juin chez Pierre Bergé, pour 100 fois plus cher que le premier, vu qu’il porte un précieux autographe. L’une des particularités de cet opuscule est qu’il ne contenait pas d’éléments précis relatifs à ce pourquoi le soldat est fait: tuer son ennemi. À tout le moins, il offrait le secours de la religion notamment en ce qui concerne le principe d’immortalité, ce qui en l’occurrence était bien adapté avant l’heure du combat.
Mais pas seulement. « Le petit manuel du soldat » avait pour but d’éclairer le combattant sur quelques principes intangibles. On a tendance à l’oublier mais si la Vierge Marie s’est retrouvée enceinte, ce bon Joseph n’y était pour rien. La page 11 expliquait en effet que le Saint-Esprit en était entièrement responsable, par un « miracle de la toute puissance de Dieu ». C’est la fameuse opération du Saint-Esprit, laquelle faute de mieux, a réglé bien des mystères, clôturé bien des dossiers, par la suite. Et par ailleurs bien inspiré Apollinaire qui écrivit un jour à Madeleine via un poème fameux: « Si je songe à tes seins le Paraclet descend, ô double colombe de ta poitrine ». Ce faisant, il s’écartait un brin des recommandations de la morale religieuse, mais c’était quand même bien de citer cette partie de la Trinité dont l’omnipotence se raréfie. On ne sait d’ailleurs si Apollinaire a fini par être directement accueilli au ciel puisque si l’on en croit le bréviaire du militaire, l’espace céleste est réservé à « ceux qui meurent en état de grâce », ayant respecté en tout point les commandements divins. Heureusement pour lui, se remémore-t-on, qu’il était encore prévu un purgatoire destiné à expier les péchés véniels dont on aurait oublié de se confesser. Pour les autres c’était direct l’enfer, « lieu de tourments et de supplices qui ne finiront jamais » par opposition au paradis où la rigolade est garantie permanente en plus d’un état d’apesanteur enviable. C’était là tout l’intérêt de bien se comporter au combat, c’est à dire et y compris, en aimant l’ennemi dont on dispersait gaiement les entrailles au sabre, à la baïonnette, la mitrailleuse ou au canon.
Nous sommes face ici à une littérature religieuse incroyablement désuète. Qui professait notamment qu’il existait un « état plus parfait et plus agréable à Dieu que le mariage », soit celui de la « virginité chrétienne et du célibat religieux ». Encourageant. L’ouvrage comporte également un certain nombre de commandements un peu lourds à exécuter comme celui de sagement contourner toutes les choses « conduisant à l’impureté », tels les « tableaux, les livres, les spectacles déshonnêtes, les danses, les mises immodestes, l’intempérance dans le boire et le manger ». Sans compter le tabou des sept péchés capitaux qu’étaient alors « l’orgueil, l’avarice, la luxure, l’envie, la gourmandise, la colère et la paresse », ce qui fait beaucoup dans une journée fût-elle militaire. Heureusement que le manuel nous fournissait la piste inverse, d’une blancheur virginale et constituée de « l’humilité, du détachement des biens de la terre, la chasteté, la charité, la tempérance, la douceur et la vigilance chrétienne ». Cependant il était conseillé à ceux qui auraient choisi le marché des péchés capitaux de faire en sorte que Dieu ne soit pas au courant. Par exemple en faisant diversion, ce qui est une spécialité toute militaire, pouvant arranger le lecteur-troupier.
La seconde partie du manuel était écrite par un jésuite qui lui aussi tentait de guider le soldat sans pour autant lui dire là encore, comment une conscience chrétienne pût se satisfaire de dégommer un ennemi que l’on doit en parallèle couvrir d’amour. Cet aspect de la mission militaire -abattre celui d’en face- était constamment évité ,ce qui peut se comprendre et, croit-on pouvoir conclure, à la toute fin c’est Dieu qui ferait le tri. L’homme de la Compagnie de Jésus reprenait par contre en d’autres termes que l’aumônier militaire les conseils de probité morale. Car sauf en cas « de nécessité », il ne fallait pas fréquenter les lieux de perdition comme les cafés ou cabarets. Et si le soldat entendait d’autrui quelque blasphème du genre « la putain de sa mère », il devait séance tenante prononcer la formule magique: « Que le saint nom de Dieu soit béni! Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. »
Voilà ce qu’il était possible de comprendre entre les lignes d’un jésuite plus finaud que l’aumônier. Le péché était en effet concevable à condition de l’absoudre dans la foulée. Par exemple en effectuant un petit signe de croix rapide, après avoir ajusté de son fusil Chassepot modèle 66, l’ennemi tant aimé.
PHB
C’est réconfortant que la guerre se fasse saintement, en aimant son ennemi. En somme l’opposé de la Guerre Sainte.
Il semble que le Paraclet descendait des seins de Madeleine plutôt que de ceux de Lou, seins dont Apollinaire rêvait à cette époque, sans les avoir vus. Et les a-t-il jamais vus?
Bonne journée
Vous avez bien raison, c’est Madeleine effectivement, funeste erreur, merci. PHB
Bonjour,
Dans tout ça, que faut-il penser des BMC?
Traduction:
bordels militaires contrôlés.
Bien à vous.
Bien que ne les ayant pas fréquentés, les « BMC » ne seraient-ils pas plutôt des « bordels militaires de campagne »?
C’est ce qu’on appelle un dérapage (verbal) contrôlé.
Apollinaire a-t-il jamais vu les seins de Madeleine ? En tout cas, elle lui en donne une description alléchante !