À parcourir, par pure situation de désœuvrement, le « Dictionnaire des termes techniques de médecine », il se déniche quelques découvertes réconfortantes. Dans cette 14e édition de 1947, acquise à Bordeaux en 1948 selon un mot laissé par sa propriétaire encore étudiante, on découvre par exemple une maladie qui a probablement disparu au moins dans l’usage parlé: le railway-brain. État d’hystéro-neurasthénie qui décrit « les troubles cérébraux consécutifs à un accident de chemin de fer ». Il est suivi du railway-spine caractérisé par des « troubles médullaires consécutifs à un accident de chemin de fer ». À noter que de nos jours, tout un chacun préfère parler de pathologie en lieu et place du mot maladie, c’est plus chic. En attendant l’arrivée du trottinette-brain qui fait l’actualité de nos trottoirs. Mais avouons qu’il pourrait être tentant et dans un esprit potache exacerbé par l’inactivité, d’appeler son médecin pour lui confier que l’on est sous le coup d’un railway-spine occasionné par une tentative de déplacement sur la ligne 13 du métro, trajet singulièrement réputé pour rendre les usagers zinzins.
Prétendre que l’on peut tuer deux heures rien qu’à parcourir le « Dictionnaire des termes techniques de médecine » serait un tantinet exagéré, mais la distraction se glane où le regard se peut. Cela aurait pu tomber sur « Britannicus », le volume juste à côté, mais c’était trop facile. L’ennui et même l’accablement invitent à ce genre de défi. Et justement, le mot accablement figure dans ce fort sérieux lexique. On y apprend que ce vocable vient du bas latin cadabalum qui voulait dire machine de guerre et puisque l’on évoquait à l’instant Britannicus, citons Racine qui faisait dire à Aggripine s’adressant à Burrhus : « C’en est fait, le cruel n’a plus rien qui l’arrête ; Le coup qu’on m’a prédit va tomber sur ma tête ; Il vous accablera vous-même à votre tour ». Remarquons qu’elle parle d’accablement et non d’abattement, car toujours selon le dictionnaire qui tient de fil directeur à la précaire missive du jour, l’accablement est une forme supérieure de l’abattement, chronique ou pas.
Aux lecteurs qui n’ont pas encore pris discrètement la tangente, nous avons réservé une trouvaille supplémentaire et même antinomique avec les affections précédemment citées. Les deux auteurs, Marcel Garnier et Valéry Delamare, signalent en effet l’euphorie comme un cas médical et non une forme souhaitable de bonheur. Le mot viendrait du grec et traduirait « l’état de confiance, de satisfaction » d’un sujet croyant bien se porter. Sauf que ce sentiment de bien-être, du moins en 1947 et selon les deux professeurs, viendrait au mieux des suites d’une sortie de convalescence, au pire d’une illusion due à la phase terminale d’une phtisie (maladie du poumon) ou plus classiquement d’une consommation de stupéfiants. L’euphorie, contrairement à ce que l’on croit par optimisme mal placé, serait le signe annonciateur de la maladie, ce qui fait comme le dirait le docteur Knock sous la plume de Jules Romains, que « les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent ». Ainsi s’envoleront toujours les honoraires, car avec ce dico, il y a toujours de l’ouvrage, des endoscopies qui couvent et des auscultations qui se perdent.
D’ailleurs comme le fait remarquer à l’auteur une bienveillante voix d’outre-tombe, chroniquer sur n’importe quoi dans Les Soirées de Paris relèverait de la pure graphomanie, ou encore, de la graphorrhée. C’est à dire « le besoin irrésistible d’écrire, se rencontrant dans certaines formes d’aliénation mentale, les mots se succédant sans suite logique ». La même voix chuchote encore avant de s’évanouir dans le secret des mondes parallèles, que la solution à bien des maux réside dans la pratique quotidienne du bain de siège, remède de grand-mère qui a toujours fait ses preuves à toute heure, au moins en ce qu’il permet de méditer sur la vanité des contrariétés qui s’acharnent à peser sur notre métabolisme de contribuable à jour (ou pas) de sa déclaration.
PHB
Le début de l’article m’a rappelé l’excellent ouvrage de Robert Beauvais : L’hexagonal tel qu’on le parle.
André Lombard
Je me souviens avoir passé du temps dans mon enfance plongé dans une encyclopédie de médecine avec force gravures que mes parents avaient achetée à un vendeur itinérant (l’un comme l’autre n’existent plus aujourd’hui). J’en trouvais les illustrations fascinantes… toutes ces représentations de viscères semblaient autant d’aliens venus de mondes lointains et inquiétants. Etrange, non le cheminement du souvenir ?
Ah ! J’adore l’utilisation du mot zinzin… encore quelque chose qui me ramène à l’enfance.
Un régal, comme toujours ! Vous pourriez écrire un article sur l’annuaire des P et T – vous en avez sans doute gardé un ! – ou sur celui des Chemins de fer – le Chaix ? – que votre verve nous réjouirait de même !
Non, non, je n’ai pas « pris discrètement la tangente » : vos billets aussi facétieux que surréalistes m’enchantent toujours ! A la suggestion du Chaix ou de l’annuaire des P&T, j’ajouterais volontiers celle de l’annuaire historique universel (n’importe quelle année depuis début du XIX eme ) : c’est une mine d’or
Donc ordonnance, « et une sévère »…
Pour la « graphorrhée », je veux bien vous prescrire une bonne saignée de mots, une purge grammaticale et, en toute bonne science, il faudra peut-être sentir ou même goûter quelques humeurs, acides ou alcalines, avant de vous autoriser à quitter votre écritoire.
Gardez donc la chambre jusqu’à ce que l’euphorie soit contagieuse mais ne sortez en Soirées, de Paris ou d’ailleurs, que muni de quelques billets attestant que les anti-corpus vous protègent des fâcheux.
Et surtout, protégez-nous des barrières de l’esprit.
Diafoirus, docteur référent essentiel.
Je crois que vous vous êtes fait plaisir en écrivant cet article ! Cela se sent à la lecture ..
Je voulais remercier le ou la charmant(e) collaborateur (trice) qui avait écrit un papier sur l’église Saint Serge,au fond d’un jardin, derrière les Buttes Chaumont..
Périple à bicyclette de cet après midi ( ce n’est pas tout plat ! ) et jolie découverte à l’arrivée, 93 rue de Crimée dans le 19ème . L’iconostase est magnifique.
Qu’on se le dise ..
Excellent, comme toujours !
Un vieux dictionnaire de médecine est tout aussi intéressant qu’un vieux manuel d’artillerie ! Merci pour cette délicieuse promenade littéraire dans le monde des maladies !