C’est sans doute un indice de sa popularité en Belgique. Ce ne sont ni des « Oscar » ni des « César » qui récompensent chaque année les meilleurs artistes belges de cinéma, mais des « Magritte ». La cérémonie existe depuis dix ans et la plupart des grands réalisateurs, acteurs ou techniciens belges se sont vus remettre ce trophée. La récompense, une sculpture du designer bruxellois Xavier Lust, est inspirée d’une affiche que Magritte avait réalisée pour un festival de cinéma en 1958.
Autre signe montrant que la Belgique célèbre comme il faut le peintre de «L’Empire des lumières» : trois lieux ouverts au public lui sont consacrés. Le plus important, le musée Magritte, place royale à Bruxelles (on ne peut être mieux situé) présente plus de 230 œuvres et, en l’absence de covid, accueille une moyenne de 300.000 visiteurs chaque année.
On peut aussi se rendre, à Bruxelles, dans le quartier de Jette, rue Essegen, pour découvrir l’appartement que René et sa femme Georgette occupèrent de 1930 à 1954, aujourd’hui transformé en musée. À Châtelet, près de Charleroi, la maison où le peintre passa son adolescence est devenue un lieu de visite. Toute la ville s’est d’ailleurs pourvue d’un mobilier urbain rappelant les œuvres les plus emblématiques du peintre, notamment cette fameuse pipe qui n’est pas une pipe tout en étant une pipe (voir Les Soirées de Paris du 4 septembre 2015).
Il existe une partie bien particulière de l’œuvre de Magritte qui intéresse spécialement les collectionneurs, à défaut de passionner les amateurs d’art. Il s’agit des illustrations de partitions que l’artiste réalisa entre 1924 et 1936. Ces productions étaient sans doute essentiellement alimentaires, le peintre parlant lui-même d’un «travail imbécile», mais leur nombre est suffisamment important pour que le catalogue en soit établi par le libraire bruxellois Tristan Schwilden. Une bonne soixantaine de partitions ont été répertoriées. Chacune est détaillée, avec indications précises des différences d’une édition à l’autre (les collectionneurs adorent les différences). La première fut publiée chez Schott en 1924. Magritte avait illustré de façon saint-sulpicienne la romance pour piano, ou violon et piano, «Prière à mon ange» de Toussaint-Masson. On y voit une petite fille à genoux, les mains jointes, au pied de son lit. Elle est signée «Magrit» sans « e » comme deux autres partitions de la même année. (Magritte reprendra ensuite son vrai nom ou ses initiales MR, devenues «emair»). L’auteur reçut la somme de 50 francs belges. Il en fut tellement heureux qu’il offrit le lendemain une de ses toiles à la maison d’édition.
Parcourir ce catalogue (ci-contre) est une plongée rafraîchissante dans un monde révolu, tout à la fois désuet et charmant. Les musiques populaires de l’époque, ce sont les fox-trots, les one-steps, les tangos, les javas, les valses (parfois hawaïennes), les charlestons. Les titres sont plus évocateurs encore. Parmi celles que Magritte a illustrées (de façon très conventionnelle) : «Chanson gothique», «Moulin d’amour», «Pampanas», «Suprême beauté», «Au pays des mosquées », «Floraison printanière », « Elle danse le charleston », ou encore «Elle a mis son smoking». Nous ne résistons pas au plaisir de citer des extraits de cette dernière composition de 1926, en omettant charitablement d’en citer l’auteur : «Elle a mis son smoking / Pour aller au dancing / Elle a mis son falzar / Pour aller au plumard / Et moi pour lui plaire / Pour la satisfaire / J’ai mis tout mon bazar au clou».
Un autre titre de la même année, «Oh moi je n’savais pas ça», intrigue par le nom du compositeur : Magritte. Non pas René, mais Paul, un de ses frères cadets (cinq ans les séparent). Né en 1902, ce Paul avait consacré sa vie à la musique ( «la littérature on s’en fout» avait-il déclaré, avant de s’illustrer dans la poésie avec un talent certain). Il fit carrière sous le pseudonyme à consonance forcément nord-américaine, «Bill Buddie». Parmi ses créations : «J’me saoule dans les bars», «Baby my baby»… et (enfin) un titre qui fera date dans l’histoire du surréalisme belge : «Marie trombone chapeau buse». Le texte est en effet signé d’un grand nom du mouvement, le poète Paul Colinet et, pour une fois, l’illustration de René Magritte porte en germe les toiles surréalistes futures. Colinet qualifiera d’ailleurs cette partition, particulièrement recherchée des collectionneurs, de «décisive rareté».
Quant aux musiques elles-mêmes, elles ont presque toujours sombré dans l’oubli. Pour ceux qui voudraient lutter contre cette amnésie collective, il existe un enregistrement fort intéressant des musiques de salon illustrées par René Magritte, sous le titre «Magritte’s Blues», par le Tivoli Band, collection «Musique en Wallonie» (1). Ce CD de 2008 ne sera peut-être pas facile à trouver, mais il est sans doute moins rare que les partitions elles-mêmes.
Gérard Goutierre
Merci pour cet hommage à une facette de Magritte, inconnue de moi, et tout à fait intéressante à découvrir .
…et j’ai pour ma part trouvé le CD. Merci pour le tuyau!
Merci pour toutes ces informations qui donne l’envie de retourner à Bruxelles et qui m’ont rappellé les partitions illustrées (le plus souvent une photo plus ou moins imprécise de la « vedette « en sépia et le plus souvent en bleu-gris )vendues dans les rues.De plus votre article confirme l’adage bien connu :la FAIM justifie les moyens !
Rappelé ne prend qu’un L…1000 excuses.dupuis