Digressions savantes sur la chimie en cuisine

Pour avoir, en 1980, raté un plat, faute d’avoir respecté la recette, Hervé This, étudiant en sciences exactes, s’engagea dans un domaine d’études particulier, les «précisions culinaires». Il s’agissait d’interpréter, en termes physico-chimiques, les sentences et aphorismes transmis, de façon empirique, de chef à apprenti (cf Bernard Loiseau « Trucs, astuces et tours de main Hachette » 1993) ou répétés de grand-mère à jeune fille au dessus des fourneaux. À partir du concept de «gastronomie moléculaire», développé dans sa thèse (1995), il poussera jusqu’à l’invention de préparations nouvelles, fondées sur la connaissance des propriétés des ingrédients et des instruments susceptibles d’intervenir dans leur transformation. En poussant le bouchon à l’extrême, il sera désormais possible de créer des aliments à partir de composés chimiquement purs. Exercice ou s’illustrera le célèbrissime Ferran Adria, « le Dali de la bouffitude», si l’on en croit Périco Legasse, dans son restaurant El Bulli, sur la Costa Brava.

Parallèlement, avec un sens aigu de la vulgarisation, Hervé This va s’employer à de- crypter, en termes compréhensibles par les amateurs, les «Secrets de la casserole» (Belin 1993).  Le lecteur saura pourquoi la viande cuite au micro-ondes se montre immanquablement brune. La température de cuisson restant inférieure à 100°C, l’oxyhémoglobine dénaturée qu’elle contient conserve sa couleur peu appétissante.
Qui répand le thé sur la nappe en versant doit avoir conscience qu’il est victime de l’effet Bernouilli.

«On ne met jamais de jus de citron dans un roux» rappelle la cuisinière. Et pour cause, les acides chauffés en présence de chaînes d’amylose et d’amylopectine dissocient ces dernières en chaînes courtes liant moins l’eau. Conséquence, une sauce beaucoup moins onctueuse. «Vieille farine fait bon pain», tous les bons boulangers le savent. En ignorant que celle-ci contient des groupes thiols oxydés, favorisant la formation de ponts di-sulfure. Au cours du pétrissage, la pâte devient plus lisse et plus élastique.
«Combien de temps doit on cuire cette dinde ?», «ça dépend du poids !», répond le volailler. Le niaiseux ! Le temps de cuisson, proportionnel au carré du rayon du zozio, est déterminé par la formule t=(M/MO)2/3to-

Quel est le meilleur moyen de mêler l’huile et l’eau, liquides pourtant non miscibles ? La mayonnaise ! Un jaune d’œuf contient pour moitié de l’eau, le reste étant fait de lécithine, de cholestérol et de protéines. Grâce à leurs propriétés tensio actives, les molécules de lécithine attrapent l’huile par leur partie hydrophobe et l’eau par leur partie hydrophile. À condition de respecter la procédure, introduire l’huile en mince filet dans les composants aqueux et non l’inverse, en battant fortement le mélange.

Les gouttelettes d’huile, plus petites et plus nombreuses occupent alors toute la solution aqueuse disponible. Renvoyons à l’obscurantisme l’assertion selon laquelle, lors de ses indispositions passagères, une femme ne saurait exécuter une mayonnaise. Ce trouble physiologique n’a rien à voir avec les liaisons hydrophiles-hydrophobes. Une mayonnaise qui tourne (on dira qu’elle flocule) souffre d’un trop plein d’huile. Un peu d’eau fouettée arrangera l’affaire.

On prête au cuisinier du maréchal de Richelieu l’invention de la sauce (Larousse gastronomique 1997). Le 27 juin 1756, son maître prit aux Anglais la citadelle de Port-Mahon, faisant de l’île de Minorque un verrou maritime. En souvenir de cette victoire, ses soldats baptisèrent l’émulsion la Mahonnaise. Un glissement phonétique comblera par la suite le hiatus par un «yo». Pour d’autres, le nom serait une déformation de Bayonnaise, préparation réalisée dans la dite ville. Antonin Carême y voit une déformation du verbe «manier», caractérisant le mouvement continuel qu’elle nécessite.

Même si elle peut s’avérer d’une authenticité discutable, l’anecdote relative au maréchal de Richelieu a le mérite du pittoresque, les occasions de célébrer une supériorité militaire sur les maudits Goddams n’étant, à cette époque, pas si nombreuses. En outre, le héros du jour présente une personnalité peu banale. Arrière -petit- neveu du Cardinal, Louis François Armand de Richelieu (1696-1788) eut une carrière ébouriffante, aux multiples facettes, tour à tour militaire, diplomate, administrateur, politique. Élu à l’unanimité à l’Académie Française à l’âge de 26 ans, bien que quasiment illettré, il détient aujourd’hui le record de longévité sous la coupole. Ajoutons à cela un talent d’homme d’esprit au service d’une vie galante exceptionnellement durable. Ami de Voltaire, ils s’étaient partagé les bontés de Madame du Châtelet. Embastillé trois fois, (une fois pour duel, une fois pour complot contre le Régent, une fois pour une histoire de fesses). Marié trois fois : avec Anne de Noailles, puis avec Élisabeth de Lorraine-Harcourt, puis enfin, à 83 ans révolus, avec une veuve quadragénaire, Jeanne de Lavaulx. À ce propos, le lendemain de la nuit de noces, son aide de camp l’aurait interrogé : «alors, Monsieur le Maréchal, comment vous en êtes vous sorti ?». Réponse: «mon cher, m’en sortir n’était pas le plus difficile !»

 

Jean-Paul Demarez

Images: ©PHB

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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3 réponses à Digressions savantes sur la chimie en cuisine

  1. Yves Brocard dit :

    Un « record de longévité sous la coupole » pour un immortel, c’est la moindre des choses.
    Ne connaissant pas le mot « Goddam », google m’a donné l’explication : « The name originated during the Hundred Years War (1337–1453) between England and France, when English soldiers were notorious among the French for their frequent use of profanity and in particular the interjection « God damn ». Voilà qui est clair. Le même google donne comme traduction « putain de merde ». Chacun ses références.
    Bon finalement la «gastronomie moléculaire» semble expliquer beaucoup de choses (pas tout quand même); je vais me pencher là-dessus.
    Merci et bonne journée.

  2. Bernard Dupuis dit :

    Merci de nous faire savoir,dès le petit,déjeuner,que ce sont des ponts disulfures qui croquent sous la dent.Quant à la réjouissante grivoiserie finale…je me suis ,vu mon âge ,senti très proche du Maréchal (il est évident qu’il s’agit d’une citation apocryphe .Seul quelqu’un connaissant (ou espérant ) « la réponse « se serait adressé en ces termes au Maréchal. ..et en aucun cas un aide de camp ne se serait autorisé une telle familiarité.Si l’on devait se priver de toutes les citations apocryphes le plaisir de la conversation serait appauvri. Bonne journée.

  3. MR MARC WELSCHBILLIG dit :

    Invitez-vous des admirateurs à dîner ?

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