Si la période actuelle nous contraint malheureusement à une vie culturelle essentiellement “virtuelle” avec visites, conférences, découvertes de spectacles… par écran interposé, les MOOC (“Massive Open Online Courses”), ces sessions de formation en ligne le plus souvent gratuites et ouvertes à tous, ne datent pas du confinement. Mises en place, à l’origine, par les universités et les grandes écoles à l’attention de leurs étudiants, elles se sont généralisées ces dernières années et les institutions culturelles n’ont pas hésité à s’en emparer avec talent et inventivité. Il y a cinq ans, nous en faisions une première expérience ainsi que l’objet d’une chronique dans Les Soirées de Paris (1). Depuis, les sujets n’ont cessé de se multiplier (l’impressionnisme, Picasso, la photographie, la bande dessinée… pour n’en citer que quelques-uns), rendant ainsi l’histoire de l’art accessible à tous d’une manière tout aussi ludique qu’intelligente.
“Peintres femmes à travers les âges”, le MOOC proposé actuellement par la RMN-Grand Palais et la Fondation Orange, et disponible jusqu’au 23 mai dans sa version animée, non seulement ne déroge pas à la règle, mais s’avère également une belle entrée en matière à l’exposition “Peintres femmes 1780-1830. Naissance d’un combat” qui devrait prochainement ouvrir au public au Musée du Luxembourg. Le virtuel en attendant la réalité, rien de tel qu’un MOOC pour parfaire ses connaissances et éveiller sa curiosité…
Quid de la place des femmes dans l’histoire de l’art ? Pas grand-chose à vrai dire. Pourtant, comme le soulignait déjà en son temps l’écrivain et naturaliste romain Pline l’Ancien (23-79 apr. J.-C.), “Des femmes aussi ont peint”, citant notamment l’exemple de Lala de Cyzique, particulièrement célèbre pour ses portraits à Rome au début du Ier siècle av. J.-C. Minoritaires certes, mais néanmoins présentes et plus nombreuses que nous le pensons. Si depuis les années 70, les mouvements féministes s’évertuent à leur rendre justice, il faut reconnaître que les femmes artistes apparaissent très tardivement dans l’histoire de l’art. Méconnues, dépréciées ou reconnues de leur vivant mais tombées dans l’oubli – quand leurs œuvres n’ont pas été tout bonnement attribuées à d’autres ! –, elles ont été largement effacées des récits officiels.
Celles qui ont réussi à s’imposer artistiquement de leur vivant, jusqu’à faire, pour certaines, une brillante carrière, ont dû livrer un véritable combat, comme le rappelle le sous-titre de l’exposition qui se tiendra au Musée du Luxembourg. Elles ont dû affronter le poids des préjugés, les femmes étant alors fermement invitées à se cantonner au rôle que leur attribuait la société de l’époque, à savoir celui d’épouse et de mère. Dans les milieux les plus cultivés, si la pratique artistique, signe d’une bonne éducation, était encouragée, elle ne devait néanmoins pas sortir de la sphère privée, la sphère publique étant réservée aux hommes. “Une peintre amateure reste une femme. Une peintre professionnelle devient une artiste, et ça change complètement la perception.” fait remarquer Martine Lacas, commissaire de l’exposition “Peintres femmes, 1780-1830, Naissance d’un combat”.
Par ailleurs, un problème de taille se posait pour les femmes, celui de la formation, d’où une majorité d’artistes femmes, filles de peintres formées dans l’atelier paternel. Les corporations et Académies, sans leur être formellement interdites, étaient, dans les faits, réservées aux hommes et l’enseignement du dessin de nu considéré, bien évidemment, tout à fait contraire à la bienséance.
Ces dernières années, des expositions d’envergure, au succès retentissant, ont tenté de redonner quelque peu de visibilité aux artistes femmes : “elles@centrepompidou” en 2009 (2), un accrochage des collections du musée national d’Art moderne exclusivement dédié aux artistes femmes qui fit date, Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1755-1842) en 2015 au Grand Palais ou encore Berthe Morisot (1841-1895) en 2019 au Musée d’Orsay. Nonobstant, cette réhabilitation en est encore à ses balbutiements et qui saurait, par exemple, citer seulement dix femmes peintres de l’Antiquité à la fin du XIXème siècle ? Qu’évoquent pour nous aujourd’hui Sofonisba, Rosalba, Lavinia, Artemisia, Josefa ou encore Angelika ?
Le MOOC “Peintres femmes à travers les âges” propose un tour d’horizon des plus instructifs et fort bienvenu de la peinture au féminin, de la Renaissance au XXème siècle. Nous y découvrons ainsi nombre de femmes talentueuses, dont la renommée n’avait parfois rien à envier à celle des hommes. Nous découvrons aussi avec surprise qu’elles sont légion et que, pour la plupart, leurs œuvres nous sont inconnues alors qu’elles furent extrêmement célèbres en leur temps : Sœur Plautilla Nelli (1524-1588), Sofonisba Anguissola (1532-1625), Lavinia Fontana (1552-1614), Artemisia Gentileschi (1593-1662), Josefa de Obidos (1630-1684), Rosalba Carriera (1675-1757), Angelika Kauffmann (1741-1807), Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), Constance Mayer (1775-1821), Rosa Bonheur (1822-1899) … Leur nombre est impressionnant.
Le MOOC, composé en trois grandes parties – “De l’autoportrait au portrait”, “A la conquête de la peinture d’histoire” et “De la figuration à l’abstraction” – suit un fil chronologique pour nous présenter artistes et œuvres. La lacune était immense et l’enseignement, passionnant !
Cours en ligne sous forme de présentations vidéo, conférences, documentaires, articles de presse, interviews, émissions radiophoniques… permettent à chacun d’acquérir à son rythme, de manière variée et ludique, des connaissances, d’approfondir, s’il le désire, les sujets via la rubrique “en savoir plus”, de présenter ses œuvres préférées ou même de participer par le biais d’activités de création diverses, et bien évidemment de tester ses connaissances à travers les quiz qui clôturent chaque séquence, en attendant, le 3 mai, l’arrivée du Super Quizz qui permettra de reprendre toutes les notions abordées depuis le début. Chaque participant valide son parcours avec des badges et accumule des points de participation. Une attestation vient certifier les acquis. Par ailleurs, les enfants ne sont pas en reste puisqu’un espace du MOOC, la section MooKids, est dédié aux 8-12 ans. Contenus, ressources, activités et mini-quiz sont ainsi adaptés pour les plus petits, l’histoire de l’art étant plus que jamais un jeu d’enfants !
Le Musée des Beaux-Arts de Limoges, avec sa future exposition “Valadon et ses contemporaines. Peintres et sculptrices, 1880-1940”, mettra également les femmes à l’honneur. Et le combat sera définitivement gagné, comme le dit si justement Martine Lacas, lorsque la question ne se posera plus de savoir si une œuvre a été peinte par un homme ou par une femme, lorsque cette définition par le genre aura été totalement abandonnée. “C’est une question qu’on se pose peu quand on aborde l’œuvre d’un artiste homme. (…) on n’essaie pas de détecter les traits de sa masculinité quand on aborde son œuvre. Le but est qu’on ne se pose plus ces questions quand on aborde l’œuvre d’une femme. Mais il y a encore du travail à faire. Une des perspectives qu’on a essayé de mettre en place – il est simplement sémantique, mais il est important – c’est le fait de ne pas avoir dit “femmes peintres”, mais “peintres femmes”, c’est à dire de faire passer la fonction, le travail artistique avant la définition par le genre. Mais il ne devrait pas être nécessaire d’accoler ce terme de “femme”. On ne dit pas “peintres hommes”, on ne fait pas des salles destinées aux peintres hommes. Le but est de faire la même chose en ce qui concerne les créatrices.” CQFD.
Isabelle Fauvel
(1) Shakespeare, c’est l’histoire d’un MOOC…, chronique du 11 février 2016
(2) Camille Morineau, alors conservatrice au musée national d’Art moderne au Centre Pompidou et initiatrice de cet accrochage, a créé, en 2014, l’association Aware (Archives of Women Artists Research and Exhibitions) qui a pour but de réhabiliter les femmes artistes modernes et contemporaines
MOOC Peintres femmes à travers les âges (disponible jusqu’au 23 mai 2021 dans sa version animée)
Image 2: Judith Leyster (1609-1660) Autoportrait vers 1630
Image 3: Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1755-1842) Autoportrait de 1790