Il était une fois, dans la capitale de l’Empire Austro-Hongrois, en 1900, un artisan, fabricant d’instruments médicaux, nommé Erwin Perzy. En ce temps là, les demeures étaient éclairées au gaz de ville, mais l’électricité faisait son apparition. Pour mieux concentrer la lumière des ampoules installées dans les blocs opératoires, Perzy tenta divers dispositifs, notamment des globes remplis d’eau, faisant office de loupe. Dans lesquels il introduisit des paillettes de mica, afin d’obtenir une luminosité plus importante. Mais cela n’entraînait qu’un bref scintillement, l’implacable loi de la gravitation faisant rapidement choir au fond les particules. Tenace, notre héros réitéra l’expérience en utilisant cette fois des grains de semoule. Lesquels s’imbibant lentement voletèrent comme neige tombant du ciel, avec un résultat meilleur. Fin de la première étape.
L’un de ses amis, marchand de babioles près de la basilique Maria Zell, lui avait demandé s’il n’aurait pas une idée, lui permettant de se différencier de la concurrence, vis-à-vis des badauds de passage. À ses moments perdus, il lui bricola quelques miniatures en étain représentant l’édifice. Intéressante diversification de sa fabrique d’outils chirurgicaux. Et, deuxième étape, se produisit le déclic : il plaça une reproduction dans une sphère équipée de son agencement, et exécuta un mouvement rotatif du poignet. Alors apparu une scène hivernale. La première boule à neige (Schneekugel) était née.
Dès lors, il orienta son commerce vers une nouvelle direction : le souvenir touristique.
À la basilique Maria Zell s’ajoutèrent la grande roue du Prater, la cathédrale Sankt Stephan, le Rathaus, la Hofburg…. Tous les monuments viennois à portée de main, sur un socle gravé, avec la neige à la commande. Une clientèle était toute trouvée. L’être humain est doté d’une étrange propension à acquérir de menus babioles témoignant, à l’intention de ses connaissances, de son passage en tel lieu. Ce qui fait dire par La Fontaine à l’un des deux pigeons : «j’étais là, et quelque chose m’advint, vous y croirez être vous-même» ;
Perfectionniste, afin d’améliorer la ressemblance avec le blizzard, les Perzy consacrèrent leur énergie à la composition la plus idoine des flocons. Ils inventèrent une recette brevetée, gardée secrète et déposée, comme il se doit dans un coffre fort.
Les esprits avertis savent ainsi faire la différence entre une boule signée Perzy, ou les flocons virevoltent à l’envie, et la production de masse made in China, ou ils tombent tels des parpaings d’un échafaudage.
Deux guerres mondiales passèrent par là, la firme Perzy poursuivant son activité mémorielle dans son usine de la Schumanngasse. Puis vint 1945. L’armée américaine occupa l’Autriche.(à l’occasion, revoir le film « Le 3e homme », comme un documentaire) Ce qui constitua pour ces producteurs a big piece of chance. Des GIs leur commandèrent, au moment de Noël, des trucs nouveaux, destinés à leur famille, restée là bas, et qui n’avait qu’un intérêt relatif pour les merveilles viennoises encore debout.. Ce furent un sapin, un chalet, un bonhomme de neige…..Vif succès outre Atlantique, demandes croissantes, ouverture d’un marché à l’export. Depuis, l’entreprise a poursuivi son essor, toujours depuis la même rue. S’est ouvert le musée de la plus vieille manufacture de boules à neige au monde. Dans sa boutique, se vendent, à l’intention des chionosphérophiles le meilleur de sa production.
Mais une ombre fâcheuse à cette belle histoire vient d’être portée par François Morel et son fils Valentin, dans leur Dictionnaire amoureux de l’inutile (Plon 2020). Selon eux, ce «produit phare de tous les magasins de souvenirs» serait une invention française. Elle apparaîtrait dans le paysage lors de l’Exposition universelle de 1878. Les auteurs l’affirment sans citer leurs sources. Toutefois, la même information figure sur le dictionnaire Wikipedia. Sept verriers, dont le nom reste inconnu, auraient présenté des boules à neige à cette occasion. La référence avancée est un rapport de commissaires venant des États Unis, à l’occasion de l’évènement. Rapport, bien entendu, hors de portée de nos modestes moyens d’investigation. La question reste donc en suspens. Il s’avère néanmoins désolant de voir la boule à neige rangée par ces deux éminents auteurs au rang d’objets inutiles. Tout chauvinisme mis à part, la primauté des Perzy ne saurait être contestée qu’avec des éléments de preuve tangibles.
Et, en y regardant de plus près, la boule à neige n’est pas anodine. Elle a pu entraîner chez certains sujets une dérive mégalomaniaque. Effectivement, à force de déclencher le blizzard à volonté sur le Taj-Mahal ou le Sacré Cœur de Montmartre, l’individu au psychisme fragile finit par se prendre pour l’anti-cyclone des Açores. Pire, il s’est vendu, dans les années 2000, en Italie, une boule à neige représentant Jean Paul II, les bras étendus en croix au dessus du dôme du Vatican. On ne saurait exclure que des malfaisants aient sciemment nuit à la santé de ce saint homme de pape, à l’instar du féticheur transperçant d’aiguilles une poupée d’argile, en faisant tomber sur ses épaules chancelantes des tempêtes de neige. Car, on le sait bien, le risque zéro n’existe pas.
Jean-Paul Demarez
Excellent !
Remarquable …comme toujours documenté dans la distanciation.Un conseil :choisir avec précaution les cibles criblées de flocons car les WOKE VEILLENT !