Le fonds Cavaniol tout en haut de l’affiche

En soi et vu le contexte planétaire sur le sujet migratoire, cette vieille affiche de cinéma est déjà pleine d’intérêt. Parce que selon la revue Hommes & migrations, éditée par les services du beau palais de la Porte Dorée à Paris, le film « O Salto » est considéré comme le premier film sur l’immigration clandestine, en l’occurrence portugaise. Pour illustrer ce long métrage (1966) de Christian de Chalonge, la réalisation de l’affiche a été conçue en offset couleur. Et, selon la notice qui l’accompagne, par René Ferracci. Elle est l’une parmi 2000 autres qui vont constituer un fonds au sein du Musée de l’Histoire et de l’Immigration et peut-être même faire l’objet d’une exposition dès 2022. Le fonds s’intitulera le « fonds Cavaniol », du nom de son donateur. Une histoire démarrée il y a une vingtaine d’années…

… lorsque Hubert Cavaniol achète « par hasard » aux Puces de Clignancourt, « une affiche de cinéma évoquant la frontière ». Un peu plus tard, au même endroit, il en découvre une autre, celle de « Contrebande au Caire » (Richard Thorpe, 1957). Collectionneur dans l’âme,  il soupçonne alors un abondant filon entre la matière douanière, migratoire, contrebandière et l’affiche de cinéma. Dès lors, il ne va plus s’arrêter, s’entêtant à chercher et compléter sans cesse, à travers une thématique qui n’intéressait personne, surtout sous cet angle. Il achète donc systématiquement, profitant même de ses voyages professionnels (en tant que responsable du prêt des œuvres au Petit Palais) pour fouiller la moindre brocante, de l’Angleterre jusqu’au Japon. Muni d’une liste, « l’outil indispensable dont ne se sépare jamais le collectionneur de vieux papiers », il glane des renseignements, comme à la Bibliothèque du Film rue Saint-Antoine ou sur IMDB, le site Internet qui une fois consulté, fait ressortir 2368 occurrences rien qu’avec le mot « contrebande ». Et cela sans compter les bords tirés vers le marché des vieux papiers de la Porte Champerret, la Bourse Photo-Ciné de Cormeille-en-Parisis et maintes échoppes d’acabits variés que Hubert Cavaniol fréquente inlassablement, avec la ténacité d’un drone et l’efficacité d’un radar. À chaque nouvelle affiche reprise à l’oubli, il la renseigne, de la date de conception jusqu’au synopsis du film dont elle vante l’attrait.

Lorsqu’un contact est pris avec le Musée de l’Histoire et de l’Immigration, la relation  s’établit alors par quelques prêts jusqu’à ce que Hubert Cavaniol finisse par proposer de tout céder, carrément. La responsable du département de la médiathèque, Stéphanie Alexandre, narre cette rencontre qu’elle situe en 2018. À chaque fois qu’elle lui posait la question « et celle-là vous l’avez? », la réponse était presque toujours oui. Ce que la revue Hommes & Migrations ne dit pas c’est que Stéphanie Alexandre est aussi allée mesurer le stock de Hubert Cavaniol à Villers-sur-Mer, pimpante commune du Calvados. Un trésor unique dont elle loue « la qualité, la pertinence et la rareté de certaines pièces ». Un rêve de directeur de musée puisque cette donation clés en main comporte évidemment le catalogue raisonné qui va avec.

Il sera peut-être possible de se procurer cette revue dès que les musées pourront enfin ouvrir leurs portes. Elle donnera à ses lecteurs un avant-goût du fonds Cavaniol avec 23 affiches publiées, largement documentées et commentées. Cela va de « O Salto » à « Élise ou la vraie vie », « Touki Bouki », « Le Bougnoul », jusqu’à « Dupont Lajoie » ce film de Yves Boisset tout à la fois réussi et consternant qui montre un violeur franchouillard désigner un immigré comme le coupable idéal. Comme pour « O Salto », l’affiche est signée René Ferracci. Une parmi 2000, souvent méconnues ou que le temps a oubliées.

Quant au collectionneur, il va peu à peu quitter ce domaine qui l’a occupé durant de nombreuses années pour défricher un terrain encore ignoré par ses pairs et donc tenu secret. Ce qu’il détaille volontiers au téléphone, c’est la petite histoire de la première affiche acquise. Il avait décidé de l’offrir à son épouse Béatrice qui occupait un beau bureau à la direction générale des douanes, à l’angle de la rue du Bac et de la rue Montalembert. Mais comme l’affiche parfaitement burlesque présentait le film « Vous n’avez rien à déclarer » avec Dary Cowl en couverture, elle avait dû, bien « désolée », décliner ce cadeau qui cadrait mal avec la sainte rigueur des lieux. Ce qui n’est certes pas le cas du Musée de l’Histoire et de l’Immigration qui vient de rentrer une collection dont l’exhaustivité la rend inestimable.

PHB

Hommes et Migrations, revue trimestrielle, numéro 1326 (juillet-septembre 2019) 15 euros
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3 réponses à Le fonds Cavaniol tout en haut de l’affiche

  1. Christian de Salonges ? Vous êtes sûr ?
    Christian de Chalonge doit se retourner dans sa tombe…

  2. DANIEL MARCHESSEAU dit :

    Merci de cette très intéressante découverte – par vous – et de cette confirmation, preuves en mains, de cette perspicacité bien connue qui honore notre cher Hubert Cavaniol.

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