Dufy en suspension

Raoul Dufy ne leur avait certes pas facilité la tâche. Quand les liciers et autres petites mains habiles de Beauvais puis d’Aubusson, habitués à tisser des scènes classiques ont vu arriver le modèle peint par Raoul Dufy pour faire d’un panorama de Paris une tapisserie géante sur paravent, ils ont dû frémir, qui du genou, qui de la moustache, qui du sourcil. C’est d’abord en 1925 que Raoul Dufy (1877-1953) honore une commande du couturier Poiret pour une vue de la capitale à vol d’oiseau. Il l’adapte par la suite pour une commande par l’État d’un paravent. En coloriste chevronné il multiplie les nuances et on imagine sans peine le monstrueux travail des manufacturiers pour coller fidèlement au modèle. Cette œuvre singulièrement plaisante et planante, est sans aucun doute le clou d’une exposition qui devrait ouvrir « prochainement » au Musée de Montmartre comme indiqué prudemment sur l’affiche.

Cet ensemble n’est pas loin d’être merveilleux. Il a été réalisé en toute liberté par cet artiste nullement soucieux en l’occurrence des repères topographiques. Son panorama de Paris, totalement fantaisiste, naïf et absolument gai, absorbe notre attention jusqu’à une vraie sensation de « lévitation » comme il est dit, en suspension littérale ajouterons-nous. L’auteur du modèle et les manufacturiers se sont surpassés. Dommage que là où le paravent a été placé, la lumière est artificielle, de même que pour les fauteuils dans la pièce connexe, aux tissus également garnis de son talent. D’autant que la tapisserie, par définition ne craint pas les reflets. En tout cas, lorsqu’à l’époque, Dufy a vu le résultat pas encore lié à son paravent, il s’est fendu d’un compliment écrit en évoquant tout d’abord sa « joie complète » et en précisant faussement modeste qu’à partir de ses « esquisses plates et maladroites », le résultat l’avait comblé.

C’est la première fois qu’une thématique parisienne fait l’objet d’une exposition à partir des œuvres de Raoul Dufy. Déjà qu’un déplacement dans ce musée juché au faîte de la colline de Montmartre est toujours un bonheur, une séance bienfaisante, un moment de calme, la réunion de ces peintures, tapisseries, dessins, aquarelles, lithographies, photographies et autres bois gravés, constitue dès lors une forte motivation de déplacement. Du moins dès que nos autorités sanitaires nous auront donné un feu vert attendu de pied ferme par une population altérée.

Deux cents pièces composent la scénographie globale dont la fameuse « Fée électricité » en miniature. Le beau catalogue édité pour l’occasion nous raconte l’itinéraire de cet artiste à part, comme sa rencontre avec Apollinaire lors d’un dîner donné par Paul Poiret en 1909. D’une double collaboration entre les deux hommes déboucheront d’une part des bois gravés destinés à illustrer le recueil d’Apollinaire « Le bestiaire ou cortège d’Orphée » et d’autre part après la mort du poète et en guise d’hommage, une réédition (en 1926) du « Poète assassiné » que Dufy orne de 36 lithographies représentant Paris. Huit sont visibles au Musée de Montmartre.

Bien pensée, cette exposition nous balade dans l’univers parisien de Dufy. Et notamment face à sa peinture titrée  « L’atelier de la place Guelma », une bien belle huile dans l’esprit de « La vie en rose » où couleurs et perspectives savantes révèlent une disposition d’esprit et de l’âme à l’optimisme militant. Dans le catalogue, la conservatrice Saskia Ooms nous raconte que Dufy gardera toute sa vie l’atelier de la place Guelma à Montmartre qu’il loue en 1911, année où avec Poiret, il crée aussi boulevard de Clichy,  une entreprise d’impression de tissus joliment baptisée « La petite usine ».

Ce qui fait tout le charme de Dufy c’est d’abord son extraordinaire capacité à associer des tons, non seulement dans ses huiles mais aussi dans ses aquarelles, comme dans « La réception » où l’habituel côté pesant et guindé d’un pince-fesses est totalement évacué par l’évanescence du mélange de l’eau et des couleurs. En outre, sa capacité à élaborer des scènes aussi complexes, riches en détails et superpositions variées comme « La fée électricité » ou ses pseudo vues aériennes de Paris (ci-contre sur un fauteuil), révèlent indéniablement tout son génie de créateur. On n’en dira pas pas autant du portrait non daté qu’il a réalisé de lui-même et qui relève du massacre pur et simple. Mais c’était peut-être une façon de nous dire qu’il valait mieux le retrouver dans ses autres réalisations, bien plus parlantes, bien plus évocatrices des qualités intérieures de ce personnage.

 

PHB

« Le Paris de Dufy » au Musée Montmartre et possiblement visible en avril

Photos: ©PHB
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5 réponses à Dufy en suspension

  1. Pour ma part, je trouve Dufy assez superficiel. Trop d’œuvres ne valent pas mieux, à mes yeux, que d’aimables images tape-à-l’œil pour office de tourisme ou chaînes thermales à la mode.
    Sans doute aurait-il fallu, pour que son talent donne sa pleine mesure, qu’il soit confronté à d’autres sujets que ceux qu’il a peint.

    • Jacques Ibanès dit :

      Ce n’est pas tout à fait un hasard si Dufy a illustré aussi « La Recherche » de Proust. S’il ne fait pas de doute que le monde huppé qu’ils ont côtoyé tous deux est celui de la superficialité, je ne trouve pas que leur façon de l’exprimer par leur art le soit.
      Dufy, si communément qualifié de peintre de « la joie de vivre » a néanmoins beaucoup souffert dans son corps. Je vois son monde comme une politesse faite à la vie. Et j’y trouve de l’élégance. Son travail dans différents domaines plastiques outre le dessin et la peinture (meubles, tissus, décors) n’est pas selon moi celui d’un aimable faiseur. Il a su faire entendre parmi tous les créateurs de son temps qu’il a bien connus, sa musique singulière.

  2. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Aller à Montmartre avant la ruée touristique…et ne pas opposer Beaux Arts et Arts Déco
    ou Beaux Arts et Arts Bruts
    Vivement l’ouverture des deux musées !

  3. Laurent Vivat dit :

    J’ai fait, grâce à ce bel article, quelques recherches. J’ai trouvé des autoportraits, au demeurant assez élégants, mais pas celui, non daté, qui semble aussi mal réalisé. S’il est possible d’avoir quelques références / indications supplémentaires ? J’aimerais bien voir ce tableau raté ! Merci !

    • Le portrait en question est issu d’une collection privée si j’en crois l’album qui ne mentionne pas d’autres références. Merci de votre commentaire et de votre fidélité. PHB

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