Le monde et ses couleurs

Le monde pour horizon, l’humain au cœur de l’objectif et une palette de couleurs vives pour signature, tel est l’univers artistique de Steve McCurry. Le photographe américain, né en 1950 à Philadelphie, se définit, en réalité, comme un “storyteller”, un “conteur visuel”. S’éloignant du photojournalisme de ses débuts, l’artiste s’affranchit de toute contrainte et revendique une liberté totale dans la réalisation de ses clichés. Poète d’images et non plus reporter. “In search of elsewhere”, l’exposition monographique qui lui est actuellement consacrée à la Polka Galerie, revient sur les plus grands succès du photographe voyageur. Une plongée vertigineuse dans un univers de toute beauté !

“J’ai toujours été attiré par l’ailleurs, j’ai toujours voulu voir d’autres parties du monde par moi-même. Je pense que voyager, voir le monde et découvrir la planète sur laquelle nous vivons est peut-être l’une des choses les plus importantes que nous puissions faire.” déclarait en 2019 Steve McCurry lors d’une interview au Leica Camera blog. Tel est, en effet, le credo de l’artiste. “À la recherche d’un ailleurs” (“In search of elsewhere”) assurément.

À 19 ans déjà, Steve McCurry avait passé une année à parcourir l’Europe. Puis, après des études de cinéma effectuées à la Pennsylvania State University et deux années à s’ennuyer ferme dans un journal local, il avait acheté un billet simple pour l’Inde. Ses deux mois de pérégrinations se transformèrent vite en années. Car si, à l’époque, le jeune homme ignorait encore le métier qu’il souhaitait faire, il savait qu’il serait indéniablement lié au voyage. L’intervention militaire de l’URSS en Afghanistan en 1979 fut l’élément déclencheur. Déguisé en pachtoune et barbu, le jeune homme avait pu franchir clandestinement la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan et pénétré, juste avant l’invasion soviétique, dans les zones contrôlées par les moudjahidins. En témoin privilégié, il photographia donc pendant trois semaines le conflit naissant. Ses images furent ensuite publiées dans le monde entier et lui obtinrent le prestigieux Prix Robert Capa Gold Medal 1980. Sa carrière était lancée.

Près d’une trentaine de clichés, pris entre 1979 et 2019, à l’argentique, puis au numérique, illustrent ici la quête de l’artiste pour l’ailleurs. Le Brésil, le Japon, la Birmanie, le Népal, le Pakistan, l’Afghanistan, le Tibet, la Chine, le Maroc, Madagascar, l’Éthiopie… et puis l’Inde qui revient encore et toujours, au fil des années, et dont Steve McCurry semble un amoureux inconditionnel. Le monde est soudain à la portée de notre regard.

Une embarcation emplie de fleurs voguant de bon matin sur le lac Dal dans la vallée du Cachemire, un homme courant à l’aube après son ombre sur la Colline des Deux Frères, face à l’Atlantique, au Brésil, une barque figée dans un paysage de neige des plus somptueux au milieu d’un étang à Yokohama, au Japon, la station thermale de Nyuto Onsen si joliment enneigée, au pays du soleil levant… Les premières photographies qui nous accueillent au rez-de-chaussée de la galerie nous saisissent tant par la beauté de leur cadrage que par la douce quiétude qui en émane. La nature y est prépondérante (la mer, le lac, le ciel, la neige…), dans des teintes claires, et la figure humaine, anecdotique, voire même totalement absente. L’ailleurs est ici paisible, d’une beauté silencieuse, presque glaciale. Ces photographies, en tout point sublimes, ne sont pourtant pas réellement représentatives du travail de l’artiste pour qui l’humain et la couleur sont au centre du travail.

En effet, au sous-sol, nous sommes soudain éblouis par une explosion de couleurs. Plus vives les unes que les autres, éclatantes, presque criardes sur les murs blancs, elles semblent se répondre d’une œuvre à l’autre. Rose, rouge, bleu, jaune, vert… Les tirages, tous de grand format, sont d’une beauté à couper le souffle ! Il faut dire que le papier utilisé par l’artiste – le Fuji Flex Crystal Archive – a la propriété de faire ressortir la vivacité des couleurs tout en apportant une brillance exceptionnelle au tirage. L’effet est saisissant.

Une procession de nonnes bouddhistes vêtues de leur traditionnelle robe rose devant une bâtisse rouge et bleue, un jeune garçon courant à Jodhpur dans une ruelle de la “cité bleue” dont les murs sont ornés d’empreintes de mains couleur sang, un groupe de femmes voilées de rouge blotties les unes contre les autres lors d’une tempête de poussière dans le désert du Thar au Rajasthan (ci-contre), des moines novices, eux aussi vêtus de rouge, jouant devant un monastère en Inde, des drapeaux de prière colorés suspendus dans les montagnes du Tibet, une femme dans une burqa jaune canari devant un mur de tuniques bleu vif à Kaboul, un garçon le visage couvert de poudre rouge participant au festival de Ganesh Chaturthi à Bombay…  Et même si le bruit court que Steve McCurry retoucherait parfois ses photos, cela n’enlève rien au choix des sujets, à la beauté des cadrages et à l’harmonie des couleurs. En un mot, à son talent.

De ces clichés émane également un profond intérêt pour l’être humain, une volonté d’aller à la rencontre de l’autre, une bienveillance certaine… Les regards des sujets, d’une belle intensité, attestent d’ailleurs de cette relation de confiance. Steve McCurry maîtrise on ne peut mieux l’art du portrait, c’est le moins que l’on puisse dire. D’ailleurs, n’est-il pas l’auteur de cette remarquable photographie de l’Afghane aux yeux verts (ci-dessous), entrée dans la légende après avoir fait la couverture du magazine National Geographic en juin 1985 ?
Si l’exposition nous fait voyager, elle nous raconte aussi la “condition humaine”. Et si chaque photo a son histoire, l’artiste est indéniablement un formidable conteur. A voir absolument !

Isabelle Fauvel

“In search of elsewhere – Steve McCurry” jusqu’au 30 avril 2021 à la Polka Galerie 12 rue Saint-Gilles Cour Venise 75003 Paris

En novembre 2020, Steve McCurry a publié un livre de photographies “In Search of Elsewhere : Unseen Images” (Laurence King Publishing)

Photos par ordre d’apparition: « Men Playing Chess », « Dust Storm ». Rajasthan, India, « Sharbat Gula », Afghan Girl. Peshawar, Pakistan, 1984″
© Steve McCurry, Courtesy Polka Galerie
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Une réponse à Le monde et ses couleurs

  1. Marie-Hélène Fauveau dit :

    merci beaucoup pour ce message coloré
    les musées sont fermés mais on peut heureusement aller dans les galeries…

    ps reproche-t-on aux peintres leurs retouches et repentirs ?

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