Imaginons Cézanne sortant de sa tombe pour se trouver nez à nez avec les 22 toutes nouvelles éoliennes de 125 mètres de haut (soit 3 fois la hauteur de Notre-Dame-de-la-Garde, la Bonne Mère de Marseille) bouchant l’horizon de sa chère Sainte-Victoire !
Imaginons Proust venu voir tante Léonie à Combray (soit Illiers, Eure-et-Loir), constatant avec effarement que le clocher de Saint-Hilaire, tout comme le côté de Méséglise et de Guermantes, sont cernés de toutes parts par ces éoliennes défigurant les paysages et les perspectives si chers à son cœur et à son œuvre ! Vingt-huit éoliennes, réparties en quatre parcs, atteignant 150 mètres de haut, doivent être implantées dans un rayon de cinq kilomètres au nord, sud-est et sud-ouest de la maison de tante Léonie, devenue Musée Proust ! Et ce ne sont que deux exemples parmi bien d’autres, puisque ces ventilateurs géants se sont répandus un peu partout ces dix dernières années, dépassant le nombre de 9 000 engins sur tout le territoire. Sans oublier les parcs éoliens posés ou flottants sur la mer au petit bonheur…
Or qu’est-ce qu’une éolienne ? Voyons par exemple celles installées il y a quelques années à Moyon, dans la Manche : 85 mètres de hauteur, pales de 41 mètres de long, socle incluant 40 tonnes d’acier, le tout pesant 425 mètres cubes de béton. Autant dire que ces engins à vent défoncent l’écosystème sur des kilomètres pour s’implanter, puis produisent de fortes nuisances sonores, déciment les oiseaux alentour, impliquent des coûts d’entretien prohibitifs, tout ceci pour générer une énergie forcément aléatoire.
Mais depuis une dizaine d’années, les «bonimenteurs de l’éolien» se sont répandus un peu partout sous prétexte d’écologie et d’énergie propre. Ravageant paysages et monuments, ils s’en donnent à cœur joie, se remplissant les poches sans que l’État semble beaucoup s’émouvoir de cette ruée vers l’or éolien.
Alors comme d’habitude, il revient au vaillant particulier et aux associations de défense du patrimoine de tenter de s’opposer à ce raz de marée éolien. Car les promoteurs n’ont aucun souci patrimonial : il leur suffit de repérer une aire libre pour se jeter dessus sans autre forme de procès. Ont-ils jamais entendu parler de Proust et encore moins lu «La Recherche» ? Ont-ils jamais vu l’un des quelque quatre-vingt tableaux de la Sainte-Victoire peinte par Cézanne, peuplant les musées du monde entier ?
Peu leur importe, sus à l’or soi-disant vert éolien !
Ces dernières années, pratiquement toutes les autorisations de parcs éoliens terrestres ou maritimes ont fait l’objet de recours auprès du Conseil d’État, si bien que les autorités ont fini par confier les contentieux aux cours administratives d’appel.
Dans ce nouveau combat de David contre Goliath, on retrouve l’une des associations de défense des paysages et du patrimoine les plus actives au niveau national, récemment rebaptisée «Sites et Monuments» (ancienne SPPEF), qui s’est illustrée notamment dans la défense des Serres d’Auteuil. Autrement dit, huit années à bagarrer devant les tribunaux pour tenter d’empêcher la fédération nationale de tennis et la mairie de Paris d’amputer et défigurer l’un des plus beaux jardins de Paris. Mais le coup de grâce aux dépens du jardin a été finalement été donné par le Conseil d’État, justement, peu enclin à tendre l’oreille aux arguments du vulgum pecus. La plupart de ses membres ne sont-ils pas nommés par le gouvernement ?
Il faut dire que «Sites et Monuments» possède quelque expérience, sa fondation remontant à 1901, et son acharnement demeurant intact. Elle mène donc le combat pour tenter de désenclaver tante Léonie de la menace éolienne (avis de la préfecture attendu), tout comme elle veut rendre à Cézanne ce qui appartient à Cézanne.
Les anti-éoliens de la France entière ont les yeux fixés sur les péripéties de ses démêlés avec les promoteurs de Provencialis, filiale suisse, qui viennent d’ériger sur la crête de la Sainte-Victoire 22 ventilateurs géants de 125 mètres de haut fichés dans des socles de béton de 500 tonnes. Car le déroulé des événements est stupéfiant.
Le 10 février 2020, le tribunal administratif de Toulon donne tort à Provencialis, «Sites et Monuments» ayant fait valoir que les permis de construire sont désormais caducs (ils remontent à 2008). Faisant fi du jugement, la filiale suisse entreprend tranquillement, en toute illégalité , les premiers travaux de défrichement. «Sites et Monuments» dépose un référé le 7 mai, mais hélas le 29 mai, un arrêté du préfet affirme que l’éventuelle décision d’arrêt du chantier «[devait] être réservée aux situations d’atteinte grave à l’environnement ou à la sécurité, ce qui n’est manifestement pas le cas.»
Merci monsieur le préfet ! Le 8 juillet, Le Canard Enchainé écrira que «Le préfet du Var ne manque pas de souffle» ! Il est vrai que les préfets sont plutôt du côté du business… Et si vous vous demandez s’il y a eu une véritable étude environnementale présidant au chantier, passez votre chemin ! En France, on agit d’abord, on étudie ensuite, quand c’est trop tard. Ainsi les Suisses de Provencialis ont-ils pu poursuivre leur saccage en toute illégalité mais avec la bénédiction préfectorale. Un cas d’école !
Les 22 ventilateurs géants se dressent bien désormais sur le site de la Sainte-Victoire (photo ci-contre), mais la messe n’est pas dite. Le 4 février dernier, une trentaine de personnalités publiait dans «Le Figaro» une tribune tout simplement intitulée «Les éoliennes qui défigurent le massif de la Sainte-Victoire doivent être démontées !». Parmi les signataires, l’ubiquiste Stéphane Bern, mais aussi Bernard Foccroule, directeur pendant de longues années du Festival lyrique d’Aix-en-Provence, Denis de Kergolay, président de French Heritage Society, Jean-Claude Casanova, directeur de la revue «Commentaire», Anny Duperey, comédienne, Andreï Makine, écrivain, Eric Roussel, historien, ou Julien Lacaze, président de «Sites et Monuments» (1), tous gens qu’on suppose avoir des affinités particulières avec Cézanne et sa sainte montagne.
«La politique du fait accompli va-t-elle être récompensée ?» interrogent tous ces gens, fustigeant la théorie des éoliennes comme productrices d’énergie verte alors qu’elles «fonctionnent en moyenne à 24% de leur puissance».
Un enjeu considérable, quand on pense au (très très) petit nombre d’équipements condamnés à la démolition ! L’affaire va venir sous peu devant la Cour d’appel de Marseille, saisie par Provencialis à la suite du jugement du 20 février 2020 donnant raison à «Sites et Monuments» sur la question du permis de construire. Lenteur de la justice…
La démolition serait pratiquement une grande première en France, une première exemplaire, une première inespérée à laquelle il faut croire !
Lise Bloch-Morhange
Bonjour Madame,
J’ai pleinement adhéré à votre défense des serres d’Auteuil, mais maintenant je ne suis pas convaincue de devoir lutter contre l’implantation des éoliennes quand celle-ci se fait loin des habitations. C’est une énergie totalement renouvelable. Le seul risque serait qu’elles tombent, ce qui est moins grave qu’une défaillance de centrale nucléaire et franchement, d’après votre belle photo de la Sainte-Victoire, je ne trouve pas qu’elles défigurent le site. Et puis, quoi, les paysages évoluent en fonction des activités humaines et je ne croient que nous soyons prêts à nous priver d’électricité. J’imagine qu’au Moyen âge, il devait bien y avoir beaucoup de moulins. Pardonnez-moi si en l’occurrence je ne me sens pas l’ardeur d’un Don Quichotte.
Merci de votre commentaire,
effectivement la photo n’est pas très probante, mais les choses se sont aggravées depuis.
Le problème des éoliennes qui défigurent les paysages français et ne sont pas une bonne réponse au besoin d’énergie verte concerne peu à peu tout le territoire, sans oublier les côtes maritimes, donc il est difficile de faire l’impasse dessus.
Nous allons être de plus en plus concernés…
Bravo pour cet article.
Je rajoute, le paradoxe de l’écologie.
Des photos ont été diffusées dans la presse lors de l’enfouissement de milliers de morceaux de 870 pales d’éolienne dans le sol. Comme vous pouvez le voir dans la vidéo, les hélices arrivées en fin de vie ont été démontées en morceaux et ne peuvent être recyclées ni incinérées. Par conséquent, les morceaux sont destinés à polluer la terre pendant des millénaires.
Que penseraient Proust et Cézanne des éoliennes ? Tiens, c’est vrai, je ne m’étais jamais posé le problème de cette manière. Il est vrai que je n’ai ni la compétence ni l’érudition dont témoigne cet excellent article.
Mais deux questions amusantes me viennent à l’esprit :
1. Est-il vrai que, préfigurant le cubisme, Cézanne est allé vers une simplification et un dépouillement des formes, pour représenter le motif à partir de volumes simples (sphères, pyramides, facettes…) qui donnent à sa peinture ce côté à la fois épuré et monumental ? Mais alors, il aurait peut-être adoré les éoliennes, formes épurées et monumentales qui ornent nos paysages comme de nouvelles statues hiératiques tournant lentement leurs bras.
2. Proust ne souffrait-il pas d’un asthme particulièrement sévère qui a conditionné son oeuvre et influencé son style, son rythme, ses respirations? Il aurait peut-être apprécié qu’on se préoccupât de la pureté de l’air qu’il haletait avec tant de peine. Peut-être aurait-il écrit des pages magnifiques sur ces éoliennes qui l’aidaient à ne pas étouffer…
Bon, je m’arrête là parce que je suis en train de me rendre compte que c’est quand même vachement dur de faire parler après leur mort des artistes qui étaient des précurseurs de leur vivant !
Un siècle après leur mort, pour être précis !
Chère Lise,
bravo pour votre nouveau combat ! Je suis quelque part un écolo « dur ». Pour faire grincer les dents de ceux qui nous traitent de « khmers verts », je dis souvent que pour sauver la planète, je prône « les soviets, moins l’électricité ». Les Léninistes survivants me comprendront. Mais, comme vous, je ne crois pas que les éoliennes valent mieux que les centrales nucléaires. Dans les deux cas, il s’agit de « produire » coûte qu coûte (les déchets et les risques nucléaires pour l’énergie atomique, la pollution visuelle, sonore et la construction de ces grands arbres sans vie, moches, très moches même quand elles ne touchent pas le paysage cézannien. Je dirai que même le terroir le plus moche, ma Champagne pouilleuse pour ne citer qu’elle, est encore plus moche avec des éoliennes.)
Si on veut sauver la planète, il faudra moins produire et pas multiplier les champs d’éoliennes (qui vont pourrir aussi les paysages marins).
Comme vous, je crains que l’irraison d’état triomphe…
Je connais quelques conseillers d’états. Ce ne sont pas les pires des hauts fonctionnaires. Tout au contraire. Mais ils ont souvent la pensée de leur classe sociale et ses usages (pour votre malheur, ils jouent au tennis, même si l’un d’eux Frédéric Thiriez a dirigé la ligue professionnelle de foot et vise la FFF).
Pour les éoliennes, vous aurez peut-être plus de chance… Nos conseillers d’état appartiennent plutôt à la gauche classique (PS, radicaux) et à la droite parlementaire (Républicains, centristes). Donc pas très écolos dans l’âme. En plus, Orsay n’est pas très loin à vol d’avion du Conseil d’Etat (qui fait finalement face au Louvre). Ils peuvent être sensibles à la peinture et à Cézanne !
Merci pour cet article de qualité qui nous alerte sur le saccage en cours des paysages ruraux de France par les « dévoreurs de paysages ». Il faut réagir et arrêter ce massacre des paysages qui sont l’identité de la France, une France en voie d’enlaidissement accéléré. Quelle tristesse.