Apollinaire en position orbitale

Tout ça parce qu’il y aura trente ans cette année, un astronome belge découvrait une nouvelle planète mineure dans la lointaine ceinture d’astéroïdes trouvant sa place entre Mars et Jupiter. La trouvaille de Eric Walter Elst, en août 1991, sera baptisée Guillaume Apollinaire. On ne pouvait rêver mieux pour celui qui avait quelques accointances spirituelles avec les étoiles au point de prôner dans un prologue fameux, leur rallumage dans les plus brefs délais. L’astéroïde en question a ainsi été sorti de l’anonymat glacé des plus grands boulevards périphériques qui soient. La position orbitale de la ceinture offre un point de vue unique sur Mars, Vénus, la Terre, Mercure avec Jupiter dans le dos. L’astéroïde Guillaume Apollinaire est de fait le monument le plus lointain à la mémoire de l’écrivain. Éric Walter Elst a en tout cas été bien inspiré en choisissant Apollinaire après avoir totalisé près de 4.000 baptêmes du même genre au cours de sa longue carrière.

Comment en arrive-t-on à, si l’on peut dire, découvrir une… découverte. Tout d’abord en s’intéressant aux personnalités disparues il y a cent ans cette année. Dans la liste figurait Enrico Caruso. Or il se trouve que bien malgré lui, le célèbre ténor italien a donné son nom à un cratère de 31 kilomètres de diamètre sur Mercure. En poussant quelque peu le bouchon, on s’aperçoit alors que Mercure est balisée par de nombreux cratères principalement répertoriés par des noms d’artistes ou d’écrivains: Mozart, Beethoven, Cézanne, Vlaminck, Derain, Dali, Delacroix, Disney, Faulkner, Gauguin, Picasso, Scott Joplin, Jack Kerouac, Matisse, Thelonious Monk et bien d’autres… la liste comporte plus de 400 noms. Deux sondes spatiales ont étudié Mercure, lesquelles ont permis de bien la cartographier: Mariner 10 et Messenger. La suivante sera la sonde BepiColombo,  avec une mise en orbite autour de cette planète d’intellos, prévue vers décembre 2025.

Cependant lorsque l’on édite une revue inspirée par Guillaume Apollinaire on ne pouvait que s’étonner d’une certaine absence. La plupart de ses amis disposaient en effet d’une sorte de domaine plus ou moins circulaire sur Mercure et pas lui? Et dans l’espace alors, où le moins que l’on puisse dire est que les objets célestes que l’on se contente d’immatriculer ne manquent pas?

Nous avons donc fait appel à un professeur d’astronomie de l’université d’Antofagasta au Chili. La réponse de Christian H. R. Nitschelm a été presque instantanée (c’est la magie des liaisons électroniques)  pour nous révéler que certes Guillaume Apollinaire n’avait pas de cratère nominatif mais, c’est peut-être mieux encore, un astre à lui tout seul. Et ce monsieur Nitschelm en avait à dire sur la (rare) question des cratères en général et Apollinaire en particulier. Selon lui et avec un certain parti pris, c’est « certainement une lacune, car, autant les politiciens et autres militaires destructeurs n’ont aucun droit à avoir des astéroïdes ou des cratères nommés à partir de leurs noms (ces gens ont fait du mal à l’humanité et ne méritent aucunement la considération des scientifiques), les poètes, comme les artistes, les musiciens, les scientifiques et médecins disparus et plus généralement ceux qui œuvrent pour le bien de l’humanité, sont souvent récompensés de cette manière ». L’astronome déplore à ce titre que des personnalités politiques comme Lénine ont eu droit à un astéroïde (planète mineure découverte le 2 avril 1916 à Simeis par l’astronome russe Sergueï Beljawsky) ou certains religieux.  En revanche, il retient favorablement Teilhard de Chardin (1881-1955) ou encore l’abbé Georges Lemaître (1894-1966), tous deux savants patentés et reconnus pour leur approche moderne de la science, indépendamment de leur foi.

Et Christian H. R. Nitschelm d’ajouter qu’il serait tout à fait légitime de suggérer à l’Union Astronomique Internationale ou encore auprès de l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Éphémérides, une attribution de volcan à Apollinaire. Néanmoins, cela mérite le temps de la réflexion. D’autant qu’en la matière, les urgences ne sont pas courantes. Et puis encore une fois, comparé à un cratère charbonneux  quelque part dans le système solaire, un bon petit astéroïde doté d’une « excentricité de 0,196 et d’une inclinaison de 6,36° par rapport à l’écliptique » selon sa fiche technique, c’est déjà énorme. Merci à vous Enrico Caruso d’être né en 1921 et par voie de conséquence de nous avoir incidemment remis sur la piste aux étoiles.

 

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Source image et certains éléments techniques: Wikipedia
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7 réponses à Apollinaire en position orbitale

  1. Hormiguero dit :

    Magnifique découverte ! Une de plus que l’on doit à Philippe Bonnet. Merci de nous les faire partager.

  2. Daniel Marchesseau dit :

    Toujours ce talent cher Philippe Bonnet pour nous donner à (sa)voir . Merci

  3. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Ah merci vraiment :
    d’autant que « rallumer les étoiles » a été diversement interprété…

  4. Claude Debon dit :

    Quelle bonne nouvelle! Ses prophéties étaient toujours justes: « Et je m’éloignerai m’illuminant au milieu d’ombres/ Et d’alignements d’yeux des astres bien-aimés » (« Cortège »). C’est dans le prologue des Mamelles qu’il appelait à rallumer les étoiles, mais dans l’admirable calligramme « Voyage », au ciel inversé, il évoque « la douce nuit lunaire et pleine d’étoiles » où désormais il est sur orbite. Merci, Philippe, pour cette découverte très émouvante.

  5. Joël Gayraud dit :

    Mais alors, qu’attend-on pour avoir un astéroïde Marie Laurencin, une comète Jacques Vaché, un volcan Arthur Cravan !

  6. Laurent Vivat dit :

    Les poètes, bienfaiteurs de l »humanité; mais oui, c’est exactement ça…

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