Mémoire (devoir de)

Relevons tout d’abord cette fausse synonymie associant commémorer et célébrer. Une célébration constitue une commémoration, mais elle ajoute à cette évocation d’un fait passé une touche nettement positive, festive ou louangeuse. La commémoration stricto sensu se veut factuelle, dépourvue de tout sentiment. On se borne à mentionner. Bien que commémorer soit déjà marquer de l’intérêt. La confusion entre ces deux verbes a causé la disparition du Haut comité des commémorations. Après avoir inscrit dans son inventaire annuel, en 2011, la commémoration du décès de Louis Ferdinand Céline, il venait de récidiver, en 2018, en retenant ceux de Charles Maurras et de Jacques Chardonne. Liquidé, sous la pression de l’opinion publique et des réseaux sociaux, entités qui ne font pas dans la dentelle.

Si la commémoration de personnages funestes, ayant toutefois laissé leur nom dans la chronique du temps, présente un intérêt pédagogique supérieur à l’amnésie, il est évident qu’une institution publique ne saurait paraître les célébrer. Et le distingo sémantique souligné plus haut sera dénoncé comme «un insupportable sophisme» (Libération 1er février 2018) dissimulant un hommage sournois. De fait, sur le site des Éditions du patrimoine, le scribe de service présentant l’institution entretenait-il la confusion : «chaque année, le Haut comité des commémorations nationales sélectionne et propose à l’agrément du ministre de la Culture, une centaine d’anniversaires susceptibles d’être célébrés au nom de la Nation» Eh oui, célébrés ! le nigaud.

Donc, exit le Haut comité. À sa place, une nouvelle instance, France Mémoire, chargée d’établir, à l’intention du pouvoir politique, une cinquantaine de «faits et personnalités
dignes d’intérêt une année donnée» (le Figaro 22 février 2021). Différence avec le prédécesseur, elle dépend non de la rue de Valois mais de l’Institut (image d’ouverture). Elle n’engagera par conséquent qu’elle-même. Exactement ce que les électriciens dénomment un fusible.
En 2021, deux dates s’offrent à la polémique : le 150eme anniversaire de la Commune de Paris (18 mars 1871), et le bicentenaire de la mort de Napoléon.

En ce qui concerne la Commune, le débat sera simple. Elle représente une ligne de fracture toujours active. Les élus de gauche entendront la célébrer. La droite se bornera à éventuellement commémorer, du bout des lèvres. Au reste, qu’on le veuille ou non, historiquement, les évènements se sont bien produits.

La date de la mort de Napoléon a pu être sujette à caution. À l’article Bonaparte, Pierre Larousse, en son Grand dictionnaire universel du XIXeme siècle, précise : «Général de la République Française, né à Ajaccio (ile de la Corse) le 15 aout 1769, mort au château de Saint Cloud, près de Paris, le 18 brumaire an VIII de la République Française, une et indivisible (9 novembre 1799)». Depuis, l’unanimité s’est faite sur le 5 mai 1821, en sa résidence de Longwood House.

Bien qu’il demeure largement populaire, le personnage, au regard des susceptibilités contemporaines à l’aune desquelles se juge une réputation, a tout faux. Tout au plus, si l’on en croit ses dernières confidences au baron Gourgaud, échappe-t-il à l’accusation d’islamophobie ? Finaud, sentant bien le terrain miné, le président Chirac s’était abstenu de toute manifestation officielle lors du bicentenaire d’Austerlitz.

Le sujet du présent billet n’est pas d’énumérer, dans un souci de commémoration équitable, le bilan en blanc, noir, et toutes les nuances de gris de celui qui fut, n’en déplaise à Pierre Larousse, empereur des Français. Nous nous bornerons à évoquer son passage de la façon la moins compromettante possible, futile, par le lit et l’assiette.
Or donc, le grand homme était un amant lamentable. L’une de ses maîtresses, au temps du Consulat, avançait discrètement la pendule, pendant leurs rendez vous, afin d’abréger d’autant la durée des ébats ( Mémoires inédits de Mademoiselle George Plon ed.)
Il a cependant laissé son nom à une position érotique dite « Napoléon sur les remparts».
Les chroniques le rapportent, il mangeait comme il baisait, vite et mal. Mais son souvenir plane sur l’une de nos traditions culinaires, le poulet à la Marengo. S’agissant de la chorégraphie amoureuse, lectrices et lecteurs se reporteront à leur documentation personnelle. Quant au plat, en voici l’origine ……

Les jours de combats, le général ne s’alimentait que lorsqu’il sentait la victoire assurée. Dunan, son cuisinier, plaçait, à intervalle régulier, un nouveau poulet à rôtir, afin d’avoir toujours une volaille à point. Le 14 juin1800, à Marengo (ci-contre détail par Lejeune), la précaution fut inutile. Les Impériaux, dans une bataille indécise, s’étaient emparés des fourgons de l’intendance. Mais, au milieu de l’après midi, la cavalerie de Desaix fait basculer le sort des armes. Le général Bonaparte commande alors son repas. Drame. Rien en vue à la popote. Dunan envoie les fourriers battre la campagne à la recherche d’aliments. La récolte est maigre : trois œufs, quatre tomates, six écrevisses, une poulette, de l’ail, de l’huile. Avec un morceau de pain de soldat, il fait frire des croutons, fait revenir la bestiole, sauter les œufs, fondre les tomates, déglace à l’eau rehaussée d’un peu de cognac et pose les écrevisses sur l’ensemble pour les cuire au fumet.

Bonaparte se régala : «tu m’en serviras comme cela après chaque bataille». Mais le maître-queue n’était pas totalement satisfait. Il reconsidéra la préparation, remplaça l’eau par du vin blanc, supprima les écrevisses, ajouta des champignons. Son patron préférait avec les écrevisses. Elles demeurent par conséquent dans la recette telle que la transcrit Paul Bocuse in « La cuisine du marché ». Notre mirobolant roi des fourneaux a cru bon d’ajouter des truffes… Fantaisie superfétatoire… Comme si on trouvait des truffes, en juin, sur un champ de bataille !

Jean-Paul Demarez

 

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5 réponses à Mémoire (devoir de)

  1. Yves Brocard dit :

    En parlant des ébats amoureux de Napoléon, j’ai souvenir d’avoir lu que, étant toujours très pressé, il faisait « préparer » la dame par un de ses généraux et, au dernier moment, lorsque la dame n’en pouvait plus, il se substituait au « préparateur », sans que la dame s’en rende compte.
    A Sainte-Hélène, les généraux l’accompagnant dans son exil, se devaient de mettre à la disposition de l’ex-Empereur, leurs épouses. Ainsi fut-il fait par le marquis de Montholon. Son épouse Albine donna alors naissance à une petite fille baptisée Napoléone Marie Hélène Charlotte. Il est dit que Montholon, est-ce pour remercier l’Empereur ou pour rejoindre son épouse repartie en France, l’empoisonna en versant de l’arsenic dans ses bouteilles de vin. Triste fin.
    A sa mort, Albine fut mise dans un cercueil vitré, conservé dans une chapelle de Montpellier. Je n’ai malheureusement pas réussi à y accéder. L’Histoire dit qu’Hitler demanda qu’elle soit transférée aux Invalides aux côtés de son ex-amant (dont il était admirateur), mais il fut répondu aux SS venus la chercher que le cercueil était perdu…
    Par contre je n’ai rien trouvé pour expliciter comment se pratique la « position érotique dite « Napoléon sur les remparts» »…
    Bonne journée

    • person philippe dit :

      Si tout cela est vrai, je donne raison à ceux qui voudraient faire un procès posthume à ce triste « sire »…
      Tous ces courtisans prêts à « offrir » leurs compagnes en plus alors qu’ils sont dans le néant de Saint-Hélène, bravo pour « la légende impériale » !
      Tous ces profiteurs de la Révolution devraient disparaître de nos rues, à commencer par les Maréchaux des boulevards parisiens.
      On comprend pourquoi la tradition fait de « nos » présidents des corrompus pour les uns, des jouisseurs invétérés pour les autres…
      Tiens, si Madame Hidalgo était de gauche, pourquoi ne remplacerait-elle pas le boulevard Ney par le boulevard de la Commune… Des « méchants » qui n’ont même pas osé piquer le pognon de la Banque de la France !

  2. BARBEY dit :

    Encore un article savoureux des Soirées de Paris.
    C est décidément là qu’on peut trouver les derniers restes de l’élégance de l’écriture et de l’esprit français…
    merci de nous régaler chaque jour.
    CB

  3. Laurent Vivat dit :

    Bel article, où l’on redécouvre les dessous de Sainte-Hélène 🙂

  4. Leroy dit :

    Il me semble que la posture érotique nommée « Napoléon sur les remparts » correspond à ce qu’on appelle parfois « branlette espagnole, balcon fleuri, collier de perles ». On saisira mieux où l’on veut en venir si l’on songe que l’empereur avait coutume, lorsqu’il suivait une bataille du haut des remparts d’une forteresse, de fixer sa lunettes entre deux créneaux…Richesse du vocabulaire érotique, aussi riche que celui de la cuisine. ( A vérifier dans toute bonne histoire des positions amoureuses comme celle de Perrine Cherchève et Anna Alter « Super positions – Une histoire des techniques amoureuses »- Poche)

    …)

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