Boulevard Raspail, à deux pas du quartier de Montparnasse, la galerie Camera Obscura est un lieu bien connu des collectionneurs et amateurs de photographies. Au rythme de cinq expositions par an, de splendides tirages, souvent d’époque, signés d’artistes faisant référence en ce domaine, se succèdent régulièrement sur ses murs : Willy Ronis, Saul Leiter, Marc Riboud, Sarah Moon, Michael Kenna, Claudine Doury … Les clichés vintage de Bernard Plossu tout juste décrochés, la galerie met cap vers l’Est avec trois artistes contemporains, d’univers fort dissemblables, l’Américain Mickael Ackerman, né en 1967, l’Australien Max Pam, né en 1949, et l’Italien Paolo Roversi, né en 1947, avec, pour points de convergence, l’Inde et le Yemen. Un dépaysement artistique et géographique des plus salutaires en ces temps où voyager en des terres éloignées semble mission impossible.
Au départ de cette exposition se trouvent trois livres de photographies : “Going East” (1992) de Max Pam (ci-dessus), “End Time City” (1999) de Mickael Ackerman et “Al Mukalla” (1993) de Paolo Roversi. La petite sélection présentée ici, à peine une quarantaine de tirages, tous en noir et blanc, tente de retracer l’esprit de chacun d’entre eux tout en nous donnant à découvrir trois univers artistiques différents.
“Going East”, devenu aujourd’hui un classique de la photographie de voyage, rassemble vingt années des pérégrinations de Max Pam en Asie. Celui-ci a tout juste 20 ans quand il décide de quitter son Australie natale pour prendre la route. Cette expérience s’avèrera non seulement décisive, mais indissociable de sa démarche créative et personnelle puisqu’elle fera de lui un photographe. Bernard Plossu, qui a bien saisi le personnage, dit à son propos : “Sacré Australien ! Parti jeune de son pays, attiré immédiatement par l’Inde, il est en plein dans les années de la mouvance hippie ! Traversant depuis Londres le Moyen-Orient via l’Irak, s’arrêtant dans les villes afghanes, on the road, comme quelques années avant Nicolas Bouvier et Marc Riboud l’avaient fait, eux aussi ! (…) Son truc, si l’on peut dire, sa mission, son destin presque, c’est l’Asie. De l’Inde à la Chine via Bornéo, il est allé partout, déserts, montagnes, neige, gurus, villes, sages et prostituées, misère et tropiques, tout a été son terrain de photographie.”
Les photographies de Max Pam sont éminemment reconnaissables car celui-ci a l’amusante particularité de mêler photographie et écriture dans ses tirages, laissant le texte courir sur un ou plusieurs côtés, voire tout autour de l’image. L’expérience de voyage n’en est que plus vivante et personnelle.
De l’observatoire astronomique Jantar Mantar de New Delhi, en Inde (1971) aux bikers de Tarim, au Yemen (1993), en passant par la mosquée de perles à Agra, en Inde (1980) et des acrobates de rue devant le Rex hotel de Bombay (1989), c’est la vie même dans ces contrées lointaines qui semble se déployer sous nos yeux, à travers monuments et personnages.
Avec “End Time City”, Mickael Ackerman nous livre une vision quasi fantomatique de Bénarès (Varanasi), où la mort, lorsqu’elle n’a pas encore frappé, semble rôder en permanence. Considérée comme la capitale spirituelle de l’Inde, cette cité de l’État de l’Uttar Pradesh, dans le Nord, attire les pèlerins hindous qui viennent se baigner dans les eaux sacrées du Gange et célébrer les rituels funéraires. Chez Mickael Ackerman, les sujets, qu’il s’agisse de simples passants ou de chiens errants, semblent comme “attrapés” par l’appareil photographique, au détour d’un geste, d’un mouvement, d’une rue sinueuse…, donnant parfois la sensation d’une course poursuite. Le gris flou, le grain explosé des images accentuent cette sensation de furtivité et de morbidité.
Photographe de mode à la réputation internationale, Paolo Roversi nous montre ici (et ci-contre) un versant tout autre de son travail. “Al-Mukalla” est en quelque sorte le livre “secret” du photographe, fruit d’un voyage au Yemen en janvier 1993. Réalisé en neuf exemplaires seulement, tous calligraphiés de sa main, et composé uniquement de douze tirages, cet ouvrage est tout aussi précieux que rare. Ses images sépia du désert, de ses occupants et de ses habitations sommaires sont d’une infinie douceur. Elles nous disent le parfum et la poésie d’un voyage dans une Arabie intemporelle.
Si l’espace réduit de la galerie ne permet pas d’exposer un grand nombre de tirages, leur qualité les rend d’autant plus appréciables. Et les collectionneurs y trouveront certainement leur bonheur. Une fois de plus, pousser la porte de la galerie Camera Obscura s’est avéré une riche idée. En attendant de retrouver cet été le talentueux photographe japonais Masao Yamamoto (1), la galerie consacrera son exposition de printemps, comme elle en a pris l’initiative l’année dernière, à d’autres disciplines avec cette fois-ci le dessinateur Jean-Baptiste Née et la céramiste Jane Norbury(2). De nouvelles découvertes en perspective…
Isabelle Fauvel
(1) Du 3 juin au 31 juillet 2021
(2) Du 8 avril au 29 mai 2021
“Going East” jusqu’au 3 avril 2021 à la galerie Camera Obscura 268 Boulevard Raspail 75014 Paris