Il y a vingt ans, le 19 février 2001, disparaissait Charles Trenet, à l’âge de 87 ans. Avec lui disparaissait aussi une certaine époque, celle de la douce France, le «cher pays de son enfance, bercée de tendres insouciances». Mais en même temps, le chanteur narbonnais, qui ne pouvait rien faire comme tout le monde, emportait tout un attirail composé, en vrac, d’une mer avec ses golfes clairs, d’un piano de la plage, d’une pharmacie au Canada, d’un kangourou, d’un facteur qui s’envole, d’un serpent python, d’un Grand Café et d’un jardin extraordinaire. Pendant les 67 ans de sa carrière, Charles Trenet aura marqué la chanson française de sa fantaisie, de ses trouvailles, de son swing, de ses espiègleries, de sa nostalgie parfois. Tous les grands du métier se recommandaient de lui. Gainsbourg, Higelin, Aznavour. Il fallait voir le regard d’enfant émerveillé de Brassens lorsqu’il formait avec lui un duo et reprenait des chansons que Trenet lui-même avait oubliées.
Cette carrière étonnamment longue connut certes quelques éclipses. Balayé par la déferlante yéyé, Trenet fut un temps relégué parmi les vieilles lunes. Il fera son grand retour en 1987 et pour le jeune public qui le découvrait au Printemps de Bourges, il redevint le chanteur-poète forcené du bonheur. Le soleil avait de nouveau rendez-vous avec la lune. Y avait d’la joie. Le cœur du public fit boum. Pour le contenter, ce public, il lui suffisait de puiser dans un corpus énorme : plusieurs centaines de chansons, sans doute un demi-millier. «Je fais des chansons comme un pommier fait des pommes» déclarait-il. Il chante soir et matin, il chante sur les chemins. À Douai, il se produit dans une salle de spectacles qui a gardé le nom de sa première vocation, L’Hippodrome. «J’ai plus de cinquante ans de carrière, dit Charles. C’est la première fois que je chante “Monsieur vous oubliez votre cheval“ dans un hippodrome».
Un hasard heureux nous a permis d’assister au concert qu’il donna le samedi 6 novembre 1999, salle Pleyel, alors qu’il était âgé de 86 ans. Les 2.500 personnes réunies dans la salle parisienne généralement réservée à la musique classique imaginaient-elles qu’il s’agirait de son tout dernier récital ? Ce fut le cas.Trenet devait quitter ce monde quinze mois plus tard.
S’il chante assis, prétextant avoir été renversé par un cycliste, la voix ne manifeste aucune fatigue. Le pied marque le rythme, imperturbablement. Tout y passe : « Revoir Paris », « Mam’zelle Clio », « Que reste-t-il de nos amours », « Le Revenant », « Le Soleil et la Lune », « La Folle complainte », « Il pleut dans ma chambre », « L’Âme des poètes »…Vingt chansons, autant de chefs-d’œuvre, interprétées d’une voix étonnamment jeune et claire. Il détaille le périlleux «Débit de lait, débit de l’eau» , écrit avec Francis Blanche, sans bafouiller une seule fois. Dans le public, les enfants ne sont pas les moins nombreux, ni les moins enthousiastes. La dernière chanson du programme, « Y’a d’la joie », sert de déclencheur à une ovation qui semble interminable. Trenet ne reviendra pas sur scène. C’est l’œuvre que le public applaudit.
Mais avec Trenet, il faut s’attendre à tout. Ayant tellement chanté les revenants, il a fini par le devenir. Cinq ans après sa disparition, un disque posthume proposait en 2006 onze chansons inédites, enregistrées pour la plupart au milieu des années 1990. Le titre de l’une d’elles donne son titre à l’album : «Je n’irai pas à Notre-Dame». Un ton doux-amer pour cette chanson qui a une histoire : un récital avait en effet été prévu dans la cathédrale parisienne. Les autorités religieuses s’y étaient opposées, sous prétexte des mœurs de l’artiste, de son homosexualité. Trenet en avait été blessé : «Je n’irai pas chanter la mer / Est ce vraiment un scandale / De la faire danser en l’air / Aux voûtes d’une cathédrale ? …/ Ai-je bien mérité le blâme, / d’offrir à Dieu quelques chansons ?»
Maintenant que s’est fissurée l’omerta couvrant les déviances coupables d’un certain nombre d’ecclésiastiques, on peut imaginer Charles Trenet un brin goguenard, tout là-haut dans son fauteuil de nuages.
Gérard Goutierre
Merci de nous rappeler cet anniversaire. Je ne sais s’il va être fêté par les média. Actuellement, je ne sais pourquoi, il n’y en a que pour Brassens.
Etant jeune, dans les années 70’s, j’avais entendu à la radio un critique (au bon sens du terme) musical expliquer que Trenet était un véritable poète, et que cela se traduisait dans ses chansons, où les mots qui se suivent sont inattendus, « poétiques ». Et que donc pour chanter ses chansons, il faut vraiment avoir appris les textes. Tandis que Brassens est plus « troubadour », les textes vont de soi une fois qu’on les a entendus, sont assez « simples » et donc faciles à mémoriser.
C’est d’ailleurs pour cela que dans les soirées estudiantines, Brassens était facilement repris en cœur par toute l’assemblée, au son d’une guitare grattée par l’un des convives. Mais ce n’était pas le cas de Trenet qui ne pouvait être chanté que par les quelques « happy-few », qui l’appréciaient et en connaissait les paroles, et la musique.
J’ai une autre hypothèse : l’école…
Brassens est au programme, est étudié comme un « poète » et pas comme un « chansonnier ». Pour bien des profs, pas la majorité, Trenet, c’est trop léger, trop « second degré ». On veut bien admettre quelques textes « surréalistes », mais le reste – souvent le meilleur pourtant – est, pour les sérieux, de la chansonnette…
Suffit aussi de voir le nombre de lycées et de collèges Brassens…
Et à Paris, il y a le parc Georges Brassens… pas Trenet. D’ailleurs, je ne sais même pas s’il y a une rue Trenet, lui qui mériterait une avenue…
Et pourtant, « Papa boit dans les pins, Papa peint dans les bois »… C’est quelque chose ! Et l’épicière est une sorcière ? et « Mon Dieu, comme il pédalait, l’abbé » ? Il y a encore des dizaines de chansons à découvrir !
Est-ce que son homosexualité, réelle ou prétendue, ne l’aurait pas mis au ban de l’école (si je puis dire). Cependant, il y a des écoles et un lycée Jean Cocteau…
Le poète et le troubadour !
Très juste à mon sens.
Si vous passez un jour « sur la rrroute de Narrrbonne », n’hésitez pas à visiter sa maison natale. Vous vous y plongerez dans une délicieuse ambiance « vintage »…
Gérard Goutierre, intelligemment, n’a pas opposé Brassens et Trenet.
Je ne sais pas qui a opposé Brassens et Trenet, pas moi en tout cas. Je ne suis pas assez intelligent pour cela.
Pour ma part, j’ai relevé des personnalités différentes, avec chacune son attrait, son histoire, ses chansons. Il se trouve que ces deux chanteurs font parler d’eux au même moment.
Quelle chance Gérard d’avoir pu assister à son dernier concert ! Je ne connaissais pas cet épisode du concert annulé à ND… qui mérite bien cette pointe d’humour final.