Les beaux embarquements de Cherbourg

Ce motif incrusté d’un gros bateau faisant mousser l’océan de part et d’autre de son étrave, est perché bien haut sur la façade de la gare maritime de Cherbourg. Il symbolise une époque brillante mais désormais assoupie. Pour procéder à l’inauguration du bâtiment, en 1933, le président Albert Lebrun avait pris le train. Et pas n’importe lequel. Il était tracté par une automotrice Bugatti capable de filer à 170 km/h. Le chef de l’État, accompagné de divers ministres, débarqua dans la ville enguirlandée pour l’occasion, trois heures seulement après son départ de Saint-Lazare. Son arrivée fut saluée par cent coups de canon. C’est ce que raconte dans son livre Gérard Destrais, libraire à Cherbourg (1). La quatrième de couverture indique un prix de 270 francs, c’est dire qu’il ne date pas d’hier. Mais il en reste quelques exemplaires pour qui passerait par hasard, dans les vieilles rues du centre-ville.

Cherbourg était l’étape obligée pour ces immenses bateaux qui partaient le plus souvent de Southampton en Angleterre, afin de rejoindre New York aux États-Unis. Des personnalités aussi variées que Maurice Ravel ou Fernand Contandin dit Fernandel, sont passées par là, pour aller vers le nouveau monde ou en revenir. Après avoir participé au banquet de 700 couverts dressé en son honneur, le président Lebrun s’était offert une petite sortie en mer à bord du contre-torpilleur Vauban. La ville avait bien fait d’aménager son port en eau profonde moyennant de gros investissements. Toutes les belles affiches des grandes compagnies maritimes mentionnaient en effet le nom de Cherbourg synonyme de grands départs. Le rêve des passagers s’y jaugeait en proportion du tonnage des bateaux.

De nos jours c’est beaucoup plus calme hormis quelques liaisons trans-Manche. Mais pour qui a l’oreille fine, il est encore possible d’entendre le brouhaha des salles d’attente ou celles dévolues au passage en douane. Ce lieu de transit voyait certes déambuler les voyageurs argentés mais aussi de nombreux immigrés pour lesquels il s’était établi plusieurs consulats. Cette gare maritime, d’une longueur exceptionnelle, a failli complètement disparaître. Son style art-déco signé René Levasseur, lui a pourtant valu d’être honorée du titre de plus la belle gare maritime du monde. Ce qu’il en reste est néanmoins impressionnant et abrite maintenant un musée de la mer. Pour bien faire, on y a aussi casé à l’extérieur Le Redoutable, premier sous-marin nucléaire français, lequel concourt aujourd’hui à justifier une visite au bout des quais.

En 2021, on peut se rendre en train à Cherbourg un peu moins rapidement que le président Lebrun, peut-être en raison des étapes. Les wagons qui assurent la liaison avec Saint-Lazare sont un peu défraîchis, les toilettes avec vue sur la voie nous rappellent les années cinquante, mais enfin ils avancent correctement. Et une fois sur place, malgré le masque, l’air marin nettoie efficacement les narines parisiennes venues flairer le passé de cette ville non dépourvue de charme. La basilique Sainte-Trinité par exemple, étonne par sa grâce multiséculaire. À l’intérieur sont affichés les noms de tous ses curés. Le premier s’appelait Gieffroy Loubleer et il y a pratiqué son office de 1310 à 1315 sous Philippe IV, dit le « Roi de fer ». On ne peut que soulever son feutre devant une si longue histoire.

Quand on sort de l’église, une plaque signale qu’à cet endroit, a été tournée une scène des « Parapluies de Cherbourg » le film de Jaques Demy. Dès sa sortie en 1964, son style chanté faisait vieillot. Lorsqu’on le visionne aujourd’hui, franchement c’est pire, même si l’on aime bien Jacques Demy.

Et à propos de parapluies, il est bon de savoir que la ville en fabrique, notamment dans les anciens locaux de la Banque de France (ci-contre) qui donne sur le port. Qui a déjà vu son parapluie se retourner sous la brise appréciera d’apprendre que la marque cherbourgeoise, du moins d’après la vendeuse de la boutique située en centre ville, teste ses parapluies en soufflerie à Saint-Cyr. Ce qui fait nous a-t-elle appris, que le dispositif assurant le maintien de la toile, est susceptible de résister à des vents de plus de 150 km/h. Cela donne envie de se laisser emporter, comme Mary Poppins en 1964, bien loin des terres fangeuses où zonent les variants maléfiques.

PHB

(1) « Au petit bouquiniste, 50 Grande Rue, Cherbourg.

Photos: @PHB
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7 réponses à Les beaux embarquements de Cherbourg

  1. philippe person dit :

    Sacrilège ! Philippe, vous risquez une fatwa ! Oser dire que le film de Demy est mauvais, en plus en « ajoutant même si on aime bien Demy » ! C’est une tartufferie, car si vous n’aimez pas les Parapluies, vous n’aimez pas plus les autres films chantés de Jacquot de Nantes… Restent donc « la baie des anges » et « Lola », car je suppose que vous n’avez pas aimé davantage « Lady Oscar »,  » Parking » ‘L’évènement… »
    Donc vous n’aimez pas Demy !!!! En plus on sent l’indulgence feinte dans le « bien » accolé à aimer !!! Le coup de grâce !
    Moi, j’aime les Parapluies, je pleure à la fin… Et ce n’est pas vieillot du tout !!!!!! Même à la dixième vision.
    Je lis ici des textes qui font l’apologie des produits Netflix et voilà que le grand chef lui-même y assassine Demy !
    Apollinaire, j’en suis sûr, d’où il est ou n’est pas, regarde régulièrement les Parapluies. Il y voit plus de poésie que dans toutes les séries vantées ardemment par notre chère amie Lise… Et je ne convoque pas Raymond Roussel pour appuyer mes dires !

    • Lise Bloch-Morhange dit :

      Alors chers Philippe,
      quant à moi j’ai toujours trouvé que la musique et les chansons de Michel Legrand heurtent mon oreille: les mélodies ne vont pas avec les paroles, et réciproquement. On a beaucoup encensé Demy et Legrand en disant qu’ils illustraient la comédie musicale à la française , que les Anglais et les Américains savent si bien faire.
      Ce n’est pas une question de langue française, car à l’opéra, Gounod ou Massenet ont su harmoniser paroles et musique. Mais pour moi , chez Demy, Michel Legrand sonne faux. Désolée de ce jugement iconoclaste…

  2. Marie J dit :

    Je ne suis pas tj d’accord avec Philippe P mais là j’avoue que… oui !

  3. Jean dit :

    Les Parapluies (malgré sa novation, et son courage de situer explicitement l’action pendant les « événements » d’Algérie) n’est pas mon film préféré de Demy, dont je suis pourtant un inconditionnel. Mais ce texte et ce débat courtois me donnent l’envie de découvrir Cherbourg. Merci cher Philippe.

  4. anne-chantal mantel dit :

    et n’avez-vous pas entendu que Cherbourg redécouvre une activité maritime décuplée, grâce au Brexit
    Beaucoup de ferries, maintenant ,à partir de la France, choisissent de passer par l’Irlande et Dublin, où les tracasseries administratives sont allégées, par rapport aux traversées classiques Calais, Dunkerque ou Boulogne vers l’ Angleterre.
    Et donc ces bateaux quittent la France à Cherbourg !

  5. Yves Brocard dit :

    Les automotrices Bugatti me rappellent une histoire paternelle. Mon père était, comme pas mal de gens de son époque (les années d’après-guerre, la dernière), un fana des trains, petits et grands. Il avait une collection impressionnante et en fabriquait. Il avait un ami qui travaillait à la SNCF et qui lui dit un jour (c’était à la fin des années 50) : « ils sont en train de bazarder les automotrices Bugatti, tu devrais récupérer un ou deux moteurs Bugatti. Ils les donnent pour rien. Ca va prendre de la valeur. » Du haut de mes 8 ans, mes yeux brillaient. De mémoire, ces moteurs étaient ceux de la très rare « Bugatti Royale ». Deux moteurs étaient mis bout à bout pour avoir la puissance. Il n’y avait pas de boite de vitesse mais un système par frottement. J’aurais rêvé de fabriquer une réplique de Royale (ou inventer un autre modèle) en utilisant un de ces moteurs. Même usés, ces moteurs devaient avoir encore du panache. Mais ils sont lourds, un peu difficile à manipuler quand on a 8 ans.
    Concernant Jacques Demy, je ne suis pas un fan de sa filmographie, et encore moins des Parapluies. Une émission récente du Masque a montré un public, et des critiques, très partagés, et plutôt négatifs. Son épouse, Agnès Varda, n’a pas cessé de faire du tapage pour diffuser son œuvre. Elle avait bien raison. Mais elle n’est plus, elle non plus…
    Cherbourg est effectivement une ville intéressante, chargée d’histoire. Y trône une statue de Napoléon sur son cheval cabré, désignant (selon la légende) de son bras tendu l’ennemi à battre.

  6. Françoise Objois dit :

    Merci Philippe pour cette invitation au voyage qui m’a donné envie de découvrir Cherbourg… Quant à Demy/Legrand et aux fameux Parapluies, je ne suis pas fan, mais je vois qu’ici, c’est presque politiquement « incorrect »…

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