Si de son vivant il s’est montré assez indifférent à toutes sortes d’honneur, Brassens (ci-contre en 1965) n’a pu échapper post mortem aux hommages qui lui sont régulièrement consacrés, comme ceux prévus en cette année 2021, pour le centième anniversaire de sa naissance (à Sète, est-il besoin de le préciser). Déjà en 2011, une importante exposition à la Cité de la Musique, à Paris, avait rassemblé plus de 130 000 visiteurs. Dans sa ville natale, l’Espace Brassens, ouvert il y a 30 ans, accueille bon an mal an une cinquantaine de milliers de visiteurs. Il n’y a pas de public type : on vient seul, ou en famille, ou entre copains. Toutes les générations sont représentées. C’est que, pour reprendre une formule galvaudée, «chacun a le Brassens qu’il veut».
On peut aimer cet homme qui place l’amitié au dessus de tout (« Les Copains d’abord »). On peut célébrer avec lui les plaisirs simples ou les amours passagères (« La Chasse aux papillons », « Les Amours d’antan »). On peut apprécier le côté paillard, le goût de la langue verte et crue de celui qui s’était surnommé «Le pornographe du phonographe». On peut admirer le défenseur des petites gens, des héros du quotidien (« Chanson pour L’Auvergnat », « Jeanne, Bonhomme »). On peut être sensible à ces merveilleux marivaudages que sont « L’Amandier » ou « Au Bois de mon cœur ». On peut s’attacher à cet humaniste et esprit libre qui pourfend «Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part» et qui choisit les petits comités plutôt que les grands rassemblements («Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on / Est plus de quatre on est une bande de cons»).
Cet authentique anarchiste qui préférait traverser dans les clous pour ne pas avoir à parler aux gendarmes, rendait grâce à ces derniers lorsqu’ils faisaient preuve d’humanité («Le bougre il me couvrit avec sa pèlerine» dans L’Epave). Irrécupérable athée, il glorifiait l’ecclésiastique au grand cœur dans La Messe au pendu.
On a vanté dès le début ses qualités de poète. Si lui-même le contestait, on peut difficilement mettre en doute son génie de la langue, son art de la versification, son utilisation d’un vocabulaire recherché, osant les rimes les plus inattendues ( « Quand nous eûmes vidé le deuxième magnum / La veuve était émue nom d’un petit bonhomme » dans « La Fessée »), sans oublier le choix des poèmes qu’il mit en musique comme ceux de Paul Fort, Villon, Hugo ou Richepin, les faisant ainsi découvrir au public français qui le plus souvent les ignorait.
Son talent de compositeur n’a pourtant pas été reconnu à sa juste valeur. Parce qu’il ne voulait pas que la musique prenne le pas sur le texte, Brassens s’efforçait de la rendre discrète. Tous les musiciens professionnels vous diront le raffinement et l’efficacité de cette musique, ses trouvailles mélodiques, et souvent son côté jazzy dont l’un des meilleurs exemples est sans doute « Les Copains d’abord », devenu un classique des orchestres dixieland.
Si quarante ans après sa disparition (le 29 octobre 1981 à Saint-Gély-du-Fesc, dans l’Hérault, au domicile du docteur Maurice Bousquet où il tentait de surmonter la maladie), l’auteur-compositeur continue de nous émouvoir, c’est qu’à travers ce médium apparemment fruste, la chanson, il parvenait à évoquer les questions essentielles de l’existence. Parmi celles-ci, la mort tenait une place très importante. « Le Testament », première version, date de 1956 :
«Je serai triste comme un saule
Quand le Dieu qui partout me suit
Me dira la main sur l’épaule
Va-t’en voir là haut si j’y suis».
Dix ans plus tard, il reprend le thème, peaufine ses dernières volontés, rajoute un codicille. Avec la « Supplique pour être enterré sur la plage de Sète », il offre au public médusé un authentique chef-d’œuvre. Treize couplets, un format inhabituel et d’incroyables images :
« Mon caveau de famille, hélas n’est pas tout neuf
Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf
Et d’ici que quelqu’un n’en sorte
Il risque de se faire tard et je ne peux
Dire à ces braves gens : poussez-vous donc un peu
Place aux jeunes en quelque sorte ».
A Sète, Brassens ne repose pas au Cimetière marin rendu célèbre par Paul Valéry, mais au cimetière Le Py, parfois appelé cimetière des pauvres. Généralement, avant ou après avoir visité l’Espace Brassens, les touristes s’y rendent pour «d’affectueuses révérences». Il n’est pas rare qu’il y déposent une branche fleurie, et pourquoi pas, en saison, une branche de lilas :
«Quand je vais chez la fleuriste
Je n’achète que des lilas
Si ma chanson chante triste
C’est que l’amour n’est plus là».
Gérard Goutierre
Magnifique
Merci
Très belle évocation.
Dans « Les ricochets », on apprécie cet hommage discret du Sétois monté dans la capitale, au fondateur des Soirées de Paris :
« On n’s’étonnera pas
Si mes premiers pas
tout droit me menèrent
Au pont Mirabeau
pour un coup de chapeau
À l’Apollinaire. »
Merci
pour la sensibilé sans mièvrerie de l’article
et « les ricochets » je ne connais pas…
Merci
Les Lilas… Comme « Porte des Lilas »… Le seul film où apparaît Brassens. Il est face à Pierre Brasseur, le père de Claude. Deux sacrés « monstres » !
On dit le film daté, sinon raté… Mais on aimerait le revoir. Ne serait-ce que pour entendre Brassens chanter les lilas, justement… À l’époque, tourner pour René Clair, c’était le top du top. Depuis, l’héritier Chomette-Favor a subi un injuste oubli. Paradoxalement, on ne voit plus que ses films américains (Ma femme est une sorcières, C’est arrivé demain). Pourtant son oeuvre est riche et ses sujets divers (la preuve, Brassens)
Si Apollinaire avait vécu quelques années de plus, nul doute qu’on l’aurait trouvé dans « Entracte »…
Pour le centenaire Brassens, j’espère qu’on a pensé à remastériser « Porte des Lilas »…
après Porte des Lilas, Georges Brassens s’était bien juré de ne plus participer à un film, tellement l’exercice lui était paru désagréable…… Il a tenu parole
Sans doute, mais on aimerait quand même le revoir…