Un soir de jeunesse, alors qu’il vivait toujours à Château-Thierry, Jean de La Fontaine s’introduisit en douce chez une femme qu’il convoitait. Surprise au lit alors qu’elle dormait avec une amie, la dame éconduisit vivement le jeune homme. Cependant l’affaire fit scandale au point que le père du futur poète l’obligea à se marier. Il n’en demeura pas moins volage, décidant par voie de conséquence sa jeune épouse Marie Héricart, à se venger en prenant un amant. Mais La Fontaine trouva l’homme si aimable qu’il le pria de continuer à fréquenter sa femme. Au grand dam de la petite société des Castrothéodoriciens qui exigèrent un duel. La Fontaine s’exécuta très mollement et après un pseudo-combat, invita celui qui s’appelait le capitaine Poignant, à sceller la réconciliation dans une bonne auberge. Et de lui signifier: « J’ai fait ce que le public voulait, maintenant je veux que tu viennes tous les jours chez moi, sans quoi je me battrai encore avec toi. » Tel était un aspect de ce personnage finalement méconnu dont l’année 2021 en fait un quatre fois centenaire.
Cet anniversaire valait bien la relecture de l’imposante (et excellente) biographie qu’a publiée Jean Orieux (1907-1990) en 1976. De la Fontaine on connaît surtout ses fables qui ont égayé notre scolarité. Mais il ne les a véritablement livrées une première fois qu’en 1668, à quarante-sept ans donc, avec la publication d’un recueil chez Claude Darbin et Denis Thierry à Paris. Soit vingt-six fables illustrées par Chaveau et dédiées à Louis de Bourbon, le jeune dauphin âgé de sept ans.
Cette biographie de Jean Orieux, qu’il publia après celles de Voltaire et de Talleyrand et avant celle de Catherine de Médicis, est assez captivante en ce qu’elle dévoile l’homme derrière le fabuliste ainsi que toute une société noble (ou pas) entre Château-Thierry et Paris. On s’attache assez vite à ce jeune homme paresseux, ce maître des eaux et forêts trop insouciant des questions d’argent, aimant avant tout l’amour, l’amitié et l’enchantement des campagnes. Cet impécunieux cumulait pourtant bien des défauts qu’il compensait avec son charme inné et sa gaieté militante qu’il voyait comme une politesse à l’égard d’autrui , un esprit fort fin, un sens aigu de la formule qui faisait mouche à presque tous les coups.
Les écoliers ne savent pas qu’il était d’abord l’auteur de contes licencieux dont se réjouissaient incidemment les dames de la plus haute noblesse. Ces récits gaillards lui valurent d’être écarté par Boileau dans sa recension des grands poètes et faillirent lui faire rater son entrée à l’Académie. Au soir de sa vie il s’en confessa mais nul doute que c’était pour préparer son face à face avec Dieu.
Pour notre bonheur, ce récit foisonne de faits et d’anecdotes réjouissants. Tout le monde ne sait pas par exemple qu’il fit bien avant notre ère et un certain professeur de Marseille, l’éloge en 600 vers de la quinquina, pour vaincre la fièvre et autres maladies. Comment il participa aux fêtes extraordinaires données par Fouquet en son château de Vaux. De quelle façon il dut s’exiler à Limoges et comment il en revint. Et puis toutes ces femmes qu’il eut et qu’il n’eut pas, lesquelles émaillent sans cesse sa vie, jusqu’à le secourir financièrement comme la bien aimable Madame de la Sablière. Parmi celles qu’il n’eut pas, parlons par exemple de Ninon de Lenclos qu’il croisa sans partager son lit. Chose extraordinaire car, ainsi que le raconte Jean Orieux, cette dame née en 1616, avait non seulement tous les dons, « la beauté, l’esprit, le talent de jouer du luth, de danser de parler à ravir de mille sujets » mais le nombre de ses amants était « incalculable ». Au point qu’à l’âge le plus avancé, elle régalait encore de douceurs dont imagine sans peine la substance, les petits-fils de ses premières conquêtes. Quel scandale ne déclencherait-elle pas aujourd’hui.
Il était affable, bon cavalier, joueur de clavecin à ses heures et affrontait semble-t-il avec beaucoup de philosophie, de sage résignation, les cahots et tourments de la vie. N’avait-il pas écrit à propos de la mort: « Je voudrais qu’à cet âge/ On sortît de la vie ainsi que d’un banquet/ Remerciant son hôte et qu’on fît son paquet ». Admirable façon de dire les choses, avec cette même acuité délicate qu’il eut un jour pour l’abbesse de Sainte-Marie de Mouzon, Claude-Gabrielle Angélique de Coucy de Mailly, laquelle était de vertu réputée légère: « Son cœur est soupçonné d’avoir connu plus d’un vainqueur. »
On pourrait à ce sujet citer son ami Molière dans « Le Misanthrope » qui faisait dire à Philinte: « Ah qu’en termes galants ces choses-là sont dites. » Oui de cette biographie, La Fontaine ressort en homme galant, maniant l’écriture comme le plus fin des fleurets, dans la moquerie comme dans le compliment ou la dérision. On ne saurait donc manquer de se procurer ce livre revigorant à l’heure où toutes ces qualités font bigrement défaut à tous ceux qui parlent derrière un micro.
PHB
Réjouissant, jubilatoire… Pourvu que ma librairie soit ouverte !
Fred Pallem et Le sacre du tympan ont mis en musique (jazz) 14 fables de J de La Fontaine récitées par Nicole Ferroni, Rebecca Manzoni et Barbara Carlotti entre autres.
Cd paru fin 2020.
Merci beaucoup pour ce billet.
Pourriez-vous nous donner les références bibliographiques de ce livre afin que nous puissions nous le procurer ? Mille mercis.
LA FONTAINE / biographie / Jean Orieux / éditeur ? / ISBN ?/…
Je vous souhaite une excellente journée…
Flammarion 1976 ISBN 2-08-060860-6. Merci de votre commentaire. PHB
Votre article me donne envie de me plonger dans cette biographie de La Fontaine. A propos de La Fontaine, je recommande à vos lecteurs l’achat d’un très joli livre audio, que vient d’éditer une petite maison d’édition belge, Kate’Art Editions, à l’occasion des 400 ans du fabuliste. Je suis heureuse d’avoir participé à sa parution en pré-achetant l’ouvrage sur un site de financement participatif.
Catherine de Duve, auteure et éditrice de Kate’Art Editions, a fait appel aux talents de dessinateur de Thierry Bosquet, grand décorateur d’opéra et de théâtre.
Le livre audio dépliant « Leporello » comporte quinze fables illustrées par Thierry Bosquet dans le style baroque, et contées par de grands comédiens belges, à la manière du XVIIe siècle et d’aujourd’hui.
Un QR code permet de visionner les vidéos des fables contées. Une jolie façon de combiner l’oral et l’écrit, et d’utiliser les outils actuels pour continuer à faire vivre les superbes et inaltérables fables de l’ami La Fontaine.
Rendons hommage aussi à leur lecture impeccable et savoureuse par notre Fabrice Luchini national (disponible en C.D).
Kate’Art Editions produit des livres d’art pour les plus grands musées du monde, notamment à destination de la jeunesse (par exemple de beaux livres de coloriage à partir de tableaux de peintres).
Pour en savoir plus :
http://www.kateart.com/
Merci Philippe de me rappeler ce grand biographe
C’est vrai qu’il y a toute une école française de la biographie qui vaut largement les très grosses biographies à l’anglo-saxonne. Chez les Français, le biographe ne compile pas tout, il picore dans la vie, chez les anglo-saxons, il faut qu’on sache tout. ça donne des pavés à la Norman Mailer.
Avant Assouline et Lacouture, déjà influencés par l’école anglo-saxonne, qu’on se souvienne de Jean Orieux, Hubert Juin, François Caradec et pourquoi pas André Maurois qu’on a trop décrié…
« Charme inné, gaieté militante qu’il voyait comme une politesse à l’égard d’autrui , esprit fort fin », à quoi s’ajoute son goût pour la galanterie (j’allais dire pour le sexe faible, mon Dieu!…) : on aurait aimé être son ami, mais, à défaut, on essaiera de reconnaître et d’apprécier à leur juste valeur ces qualités chez nos propres amis.
Et avec ce bel article qui donne envie non seulement de consulter cette biographie mais qui plus est de relire (et découvrir car elles sont nombreuses) les fables, plus que jamais, il faut croire que « le style, c’est l’homme ». Et c’est bien là le vrai début de toute analyse littéraire.
Merci pour cet article tentateur, cette jubilation contagieuse. Que de choses à connaître et à partager!