Paul Éluard calligraphiait avec soin les listes de ses achats d’art. Près de quatre cents œuvres seraient passées entre ses mains, dont celles de Dali, Giorgio de Chirico, Max Ernst et bien sûr Pablo Picasso. Comme il est bien établi que la poésie ne nourrit guère son homme, Éluard avait trouvé là de quoi arrondir substantiellement ses fins de mois, financer de quoi vivre avec élégance. Sans être un acteur majeur du marché de l’art, il était semble-t-il un acheteur avisé. De même qu’objectivement il a su valoriser l’étroite amitié avec Picasso, promouvant avec constance l’œuvre du peintre et jusqu’à intégrer son art dans ses propre publications. On peut dire sans insulter personne qu’il y avait entre les deux hommes, tout à la fois une forte proximité intellectuelle et une convergence d’intérêts bien compris. L’un assurait la promotion de l’autre et inversement. Et c’est cette amitié, durable jusqu’à la disparition du poète, qui fait l’objet d’une intéressante exposition au Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis.
À l’heure où sont publiées ces lignes on n’oserait prédire quand cette exposition, maintes fois remise, sera ouverte au public. De souche mutante en souche mutante, c’est l’épidémie toujours en cours qui règle les agendas de la vie culturelle. Le musée a été brièvement ouvert à la presse le 17 décembre. Voilà pourquoi il est possible de livrer un aperçu de cette thématique visant à éclairer beaucoup de ce que les deux hommes ont pu partager.
L’affaire s’est naturellement scellée à Saint-Denis, ville natale de Paul Éluard. Il y a vu le jour en 1895 sous le nom d’Eugène Grindel. Le musée qui porte aussi le nom du poète a commencé à constituer un fonds en 1951. Et c’est dans ce bel endroit qui fut au 17e siècle un monastère de carmélites, qu’ont été réunies pour les besoins de la scénographie, quelque 200 œuvres dont la série de portraits d’Éluard réalisés par Picasso en 1941 ou plus anecdotiquement, un portrait d’Apollinaire par Éluard exécuté sur une nappe de papier. Il faut dire que si l’un était officiellement poète et l’autre peintre, il y eut de part et d’autre des incursions, qui dans l’écriture, qui dans le graphisme.
Cette thématique de l’amitié est tout à fait justifiée tant la matière exposée est riche, au point d’être heureusement contaminante par instants. « Une amitié sublime » en est le titre, trouvaille un peu expédiée au demeurant. Picasso aimait fréquenter les poètes. Il avait notamment pour Guillaume Apollinaire une amitié profonde, proprement tranchée en 1918 par la grippe espagnole. Le peintre était donc orphelin d’un poteau. Mais, comme l’a raconté André Breton, il y a eu en quelque sorte un passage de relais. Moins d’un mois en effet après la mort d’Apollinaire, le 24 novembre 1918 exactement, eut lieu au conservatoire Renée Maubel, la première représentation de « Couleur du temps », une pièce en trois actes écrite par Apollinaire. Et à l’entracte, selon Breton qui était en train de discuter avec Picasso, Paul Éluard s’est présenté, croyant reconnaître en Breton, un ancien camarade. Ce faisant un premier contact était alors établi, lequel devait déboucher quelques années plus tard sur l’amitié « forcément » sublime entre Picasso et Éluard, selon une adéquation dont beaucoup rêveraient. Ce dernier lui consacre un premier texte en 1926, mais leurs échanges vont progressivement s’intensifier, en une sorte de symbiose fort profitable dans tous les sens du mot et jusqu’aux vacances entre amis (Lee Miller, Man Ray, Roland Penrose…) sur les plages de la Méditerranée.
Cette exposition atteint son but. Celui de montrer à quel point une amitié entre deux artistes peut s’avérer considérablement féconde, y compris sur le plan politique à l’égard du communisme, du pacifisme ou de la guerre d’Espagne. Ils nourrissaient davantage qu’une admiration réciproque, chaque pièce présentée au musée servant en quelque sorte d’attestation d’un vaste espace relationnel. C’est sans doute pourquoi Picasso de son côté, avait également tenu à donner de nombreux dessins à la ville de Saint-Denis.
Nous avons ici affaire à une réunion copieuse et bien ordonnée d’écrits, de dessins, de peintures, de correspondance dont l’agencement, pertinent, justifie amplement le déplacement. La découverte au passage de l’ancienne propriété des carmélites (ci-contre), oasis de calme bienvenue à deux pas du Stade de France, encouragera ceux qui pourraient rechigner à emprunter la ligne treize jusqu’à son extrémité.
PHB
« Pablo Picasso, Paul Éluard, une amitié sublime » au Musée d’art et d’histoire Paul Éluard, 22 bis rue Gabriel Péri 93200 Saint-Denis
Et à partir (en principe) du 9 février, exposition Picasso-Rodin au Musée Rodin et Musée national Picasso-Paris
Merci Philippe d’avoir été nos yeux !
Désormais, il faudra se fier à ceux qui auront pu se glisser à une ouverture exceptionnelle, une représentation à domicile, une projection privée pour avoir des nouvelles de la culture… Triste époque. Je souhaite néanmoins à toute l’équipe des Soirées, rédacteurs et lecteurs, de tenir le coup jusqu’au miracle à condition qu’on ne le confie pas à nos Pieds Nickelés favoris…
Merci en effet d’être nos yeux ( j’aime bien l’expression !) et d’être un messager pour célébrer l’union de la poésie et de la peinture et la force des liens d’amitié qui nous amènent toujours plus loin ….
De la couleur , de l’espoir pour bien démarrer ce début d’année que je nous souhaite chaleureuse et solidaire.
Oui merci d’avoir vu cette exposition pour nous la conter. Et vivement qu’on puisse nous aussi aller la savourer.
Un autre poète a compté pour Picasso, avec des hauts et des bas, comme avec tous, c’est Max Jacob. A son mariage avec Olga Kokhlova, le 12 juillet 1918, Picasso et Olga avaient pour témoins Guillaume Apollinaire, Max Jacob et Jean Cocteau. Quelle brochette de poètes ! N’y manquait que Paul Éluard qui, comme vous l’avez indiqué, ne fit la connaissance de Picasso qu’un peu plus tard.
Au Bateau-Lavoir Picasso avait inscrit sur sa porte « Au rendez-vous des poètes ».