Les Allemands ont coutume d’ajouter le suffixe «er» au nom de la localité d’origine d’une spécialité culinaire devenue populaire. Il est, ensuite, inutile de nommer le produit. Ainsi, la saucisse venant de Frankfürt s’appelle t elle « frankfürter », sans qu’il soit nécessaire de préciser « wurst ». De même, cette boule de pâte frite, fourrée de marmelade, si prisée à Berlin est un « berliner ». Relevons au passage une méprise historique. Aux temps de la guerre froide, en visite dans cette ville, le président Kennedy déclara, le 26 juin 1963 : «Ich bin ein Berliner !», affirmation signifiant exactement : «Je suis un beignet !». Il eut été préférable d’éviter ce «ein» intempestif, afin de proclamer «Ich bin Berliner, je suis berlinois», ce qu’il souhaitait revendiquer face au Mur.
De la ville de Hambourg nous vient le hamburger : une galette de viande hachée bien cuite, mêlée d’oignons émincés et de chapelure, nappée d’une sauce improbable, servie à bord des paquebots de la HAPAG (1). Cette compagnie maritime reliait Hambourg à New York. A l’arrivée, des échoppes attiraient les passagers avec le slogan «steaks cuits dans le style de Hambourg», et cette préparation, fort prisée des immigrants germaniques, se répandit rapidement dans tous les États de l’Union.
Qui prit l’initiative de mettre la préparation entre deux tranches de pain ? Les prétendants au titre se sont bousculés dans la revendication. Mais ce sont assurément les frères Mc Donald (Maurice et Richard) qui installèrent, en 1940, le premier stand de ce nom, à San Bernardino (Californie). Ils y appliquèrent le taylorisme le plus rigoureux, dans un procédé dit SSS (speed service system).
En 1952, un vendeur de mixers à crème glacée, Raymond A.Crock, intrigué par le gros volume d’une commande venant de Californie, décide d’aller voir. Il découvre la petite bicoque, le prix imbattable des sandwichs vendus sur place et la longue file des clients. Il repart avec une licence d’exploitation, puis rachète la marque. De ce moment débute l’une de ces grandes sagas illustrant l’American dream. Crock fonde son premier établissement à Des Plaines (Illinois), édifice mythique reconstruit à l’identique en 1984, inscrit au Registre national des lieux historiques (National register of historic place ou NRHP). On a les Versailles que l’on peut. Puis il essaime sur le continent. Le hamburger devient totalement U.S, sous la forme initiale de deux pains de mie ronds, garnis d’un beefsteak haché, de tomate, concombre, laitue, pickles, avec une sauce tout à la fois sucrée et vinaigrée. Le mot hamburger désigne désormais l’ensemble de la construction.
Crock va amplifier la standardisation, pour diminuer au maximum le coût de revient : calibrage des morceaux de viande, des frites, des pains, modalités de cuisson et de préparation des ingrédients, tenue du personnel, itinéraires obligés en cuisine, protocoles de service et de nettoyage etc. Un institut assure la formation des employés et des franchisés, à partir de procédures opératoires, délivrant un diplôme d’hamburgerologie. Tout ceci uniformément appliqué de par le monde, sans discussion ni murmure. A tel point que la revue The Economist popularisera le « big mac index », destiné à évaluer la parité de pouvoir d’achat d’un pays à l’autre. L’indice permet de calculer le nombre d’unités monétaires nécessaire dans un pays donné pour acheter la même quantité de big mac en référence à l’unité monétaire de base, l’U.S dollar.
La première apparition de la chose sur le marché français remonte à 1961. Le sieur Jacques Borel, croyant importer un peu de l’American way of life, exploite une licence de la société Wimpy (2). Huit ans plus tard, il ferme, victime d’un bide retentissant. Avoir trop tôt une bonne idée n’est pas une bonne idée. Au reste, imaginait on les Français, peuple à l’élégance naturelle, manger debout, le midi, avec les doigts, un truc dégoulinant de partout ?
Ne se voyant par conséquent aucun avenir en France, la Mc Donald company cède à Raymond Dayan, un Français établi aux États Unis, ses droits d’exploitation. Ce garçon aventureux ouvre à Créteil, le 30 juin 1972, le premier Mac Do, suivi de treize autres, le succès étant au rendez- vous. Tant et si bien que la société mère propose de racheter l’affaire. Refus du titulaire. La firme ouvre un établissement pirate à Strasbourg (3). Dayan engage un procès en concurrence déloyale, à Chicago, et gagne en première instance. Alors les lawyers entrent dans la danse, multipliant les visites, cahier des charges en main, constatant de nombreux manquement à l’hygiène. Dayan perd définitivement. Ronald Mac Donald peut partir à la conquète de notre cher et vieux pays.
Aujourd’hui, par aphérèse, l’appellation est devenue «burger», terme se déclinant par l’adjonction de différents ingrédients, à l’exemple de «cheese burger». Plusieurs substantifs se sont créés, avec en commun la racine «mac». Le nombre d’enseignes, modestes ou labellisées internationales, proposant à l’appétit de nos contemporains le sandwich emblématique de la modernitude donne une idée de l’infini. On en compte à presque tous les coins de rue d’une quelconque métropole.
Si la médiocrité reste la règle, au point d’alerter les nutritionnistes, le concept a été retenu par nombre de restaurants, y compris haut de gamme. Sans forcément s’aligner sur le diététiquement correct. Tel le foie-gras-burger de l’Atelier Joël Robuchon. Sur l’addition, il explose l’indice big mac. Mais il ne joue pas dans la même catégorie. Le décor est de porcelaine blanche, les ingrédients de noble extraction, la viande, au lieu d’être uniformément grise, peut être obtenue bleue, saignante ou rosée. Et surtout, pour aborder cette diablerie, le consommateur est muni d’un couteau et d’une fourchette. Il n’est donc pas renvoyé à l’époque des chasseurs-cueilleurs.
Jean-Paul Demarez
(1) Hapag: Hamburg-Amerikanische-Packetfahrt-Actien-Gesellchaft
(2) Wimpy: du nom du copain de Popeye, vorace en hamburgers. Dans la version française de la bande dessinée, il est appelé Gontran.
(3) Le 17 septembre 1979. Une plaque apposée à la façade commémore l’évènement
Illustrations: PHB
Merci pour ce savoureux article… heu, j’avoue ne pas bien savoir, je ne mange jamais de hamburger et vais une fois tous les sept ans au McDo.
J’avais entendu il y a quelques années à la radio, ce devait être Raymond Dayan, ou Jacques Borel, expliquant son aventure. Il révélait que l’origine du développement du hamburger aux Etats-Unis était le travail des femmes. En effet, après la guerre, pas la grande, la deuxième, les femmes américaines se sont mises à travailler. On avait alors besoin de beaucoup de secrétaires, les ordinateurs n’avaient pas encore pris leur place. Du coup elles n’avaient plus le temps de mijoter longuement à la maison et de cuire les bas-morceaux de bœuf (viande un peu dure, avec tendons et gras) qui ont besoin un long séjour dans la casserole pour s’attendrir. Les abattoirs se sont retrouvés avec des monceaux de bas-morceaux dont il ne savait quoi faire. D’où l’idée de les hacher pour qu’ils passent mieux. Et c’est là que McDonald en 1952 et Burger King en 1954 sont nés. Et tout le secret du succès, outre la standardisation et l’efficacité du service, est, comme vous l’avez souligné, dans la sauce sucrée vinaigrée qui donne le goût savoureux en bouche.
En fait, je dois dire que j’ai appris grâce à votre article l’origine du nom hamburger. Je pensais que c’était ham-burger : un burger de ham, le jambon. Et je ne comprenais pas pourquoi ce burger au jambon était fait avec du bœuf!
Maintenant je sais. Merci!
Pour vous dire mon amour du hamburger. Quand je suis allé voir mon frère qui vivait aux Etats Unis (dans les années 80) avec mes filles (la plus âgée avait alors 7 ans), mon frère pour essayer de calmer ses garçons (du même âge) un peu turbulents leur dit : « Si vous êtes sages, demain on ira au McDo. » Le calme c’est instantanément rétabli et mes filles faisaient des yeux ronds et ravis. Et ma répartie a été « Ah bon, je croyais qu’aller au McDo c’était une punition ! » C’était ma première fois, je n’ai pas aimé, d’où ma fréquence de fréquentation de ces officines.
Lieber Jean Paul Demarez die waschechte Hamburgerin hat mit Begeisterung Ihre ausführlichen Beschreibungen gelesen; ja die Hapag-Linie gehört zu Hamburg, fast ein Wahrzeichen im Hamburger Hafen;
Danke
Merci pour cet article, informé, détaillé, étayé, qui fait le point sur une tranche d’histoire culinaire (je n’ose dire gastronomique) de ce que l’on peut considérer comme une petite révolution… ou régression ?… ou récession ?