Au musée hébraïque de Ferrare en Italie (Émilie-Romagne), il y une chose qui fait toute la différence. C’est que l’on peut y voir les clés du ghetto. Des clés rouillées, grosses comme la main et qui servaient à fermer les 5 portes du ghetto, un périmètre dont la Via Mazzini, juste derrière la cathédrale, était la principale artère. Ces clés sont fascinantes en ce qu’elles caractérisent toujours, par leur réalité brutale, l’élément tangible d’une volonté politique d’enfermement. L’ancien quartier du Ghetto de Ferrare est devenu un endroit tout à fait agréable où la vie italienne exprime, bien mieux qu’à Venise par exemple, tout son talent. Ce lourd trousseau rappelle qu’en 1627, avec la prise contrôle de la papauté, les juifs qui n’étaient pas partis pour Modène, se retrouvèrent enfermés la nuit, à double tour.
Jusqu’à ce moment et tant qu’elle fût la capitale des Ducs d’Este, la ville était un important lieu du judaïsme européen. Les juifs y étaient sans doute présents depuis le début du 13e siècle. A partir de 1400, le quartier où ils se regroupaient a donné son nom à une large avenue qui coupe toujours une partie de la ville en deux : Corso Giovecca. Dans la Via Vittoria, sur le site d’une ancienne synagogue espagnole détruite en 1944, une plaque rappelle que le Duc d’Este à la fin du 15e siècle, avait invité les juifs chassés d’Espagne à venir s’installer à Ferrare, pour contribuer à en faire une ville moderne, exemplaire et européenne. De la fin de la famille d’Este, faute de descendance, allait succéder pour les juifs, comme ailleurs en Italie, une phase coercitive. Avec les 96 victimes déportées avant la fin de la seconde guerre mondiale, la communauté juive s’est réduite au point de n’être pratiquement plus perceptible avec une petite centaine de membres en 2006 sur 100 000 habitants environ.
Via Mazzini, le bâtiment qui abrite les trois synagogues (dont le musée) est d’une discrétion totale. Avec sa façade en briques rouges, comme partout ailleurs dans le quartier médiéval, l’immeuble se fond dans l’anonymat. C’est un endroit qu’il faut absolument visiter. On peut découvrir à l’intérieur du musée une gravure qui détaille l’extraordinaire complexité de son agencement. Une multitude de sas, de corridors et d’escaliers conduisent aux différentes pièces. Tout au long de la visite, il est étonnant de constater toutes les variations d’éclairage d’un espace à un autre. Une caractéristique qui donne à chaque pièce, chaque escalier, sa personnalité propre. Ce bâtiment contient plusieurs mondes, plusieurs décors, aussi simples qu’émouvants. La synagogue Tedesca (image d’ouverture) frappe d’emblée par ses stucs et surtout son extraordinaire luminosité intérieure. Elle a été créée en 1603 par des juifs arrivés une cinquantaine d’années plus tôt. Dès l’entrée de la synagogue Tedesca, on est saisi par une sorte d’éblouissement doux que le caractère paisible des lieux ne vient pas perturber mais au contraire valoriser. Sur le mur du fond, tout en haut, on y distingue nettement les grilles ajourées qui permettaient aux femmes d’assister au culte. De nos jours elles se tiennent à gauche avec les enfants (lorsque l’on a l’entrée derrière soi), les hommes occupant les rangées de droite.
L’autre synagogue que l’on peut visiter est la synagogue italienne assez largement ravagée lors de la seconde guerre mondiale et aujourd’hui vouée à différentes activités (études, réunions) sauf le culte. Son plafond est resté une merveille décorative tout comme son aronot fait d’or et d’ivoire. À l’étage se trouve aussi la synagogue Farnese dont la porte en bois ouvragé, provient de la petite ville de Cento selon le Guide Culturel des juifs d’Europe. L’actuel musée occupe notamment la place de l’ancien tribunal juif. On peut y découvrir un élément rare, une ancienne Torah en rouleau. C’est une rareté parce que le rituel, explique la guide, rend obligatoire l’enfouissement d’un texte sacré dont certaines parties sont devenues illisibles. Un autre objet extraordinaire du musée est le sceau utilisé par les juifs, pour protéger les sépultures -et surtout les morts qu’elles contenaient- des étudiants en médecine à la recherche de corps à disséquer. On y découvre aussi les instruments rituels, tout comme le fauteuil espagnol de rite séfarade, destinés à la cérémonie de la circoncision. Ce musée est important mais aussi presque inquiétant tant le passé juif de Ferrare dépasse par son ampleur ce qu’il en reste aujourd’hui.
Lorsque l’on ressort dans ce que fut le ghetto, la vie juive, semble en effet s’être évaporée. Les anciennes et modestes échoppes juives sont devenues des boutiques de luxe. Des plaques commémoratives, des traces de portes, des fenêtres murées (visibles Via Contrari derrière la voie Mazzini), pour soustraire les regards aux regards, la vie à la vie, voilà tout ce qui reste des signes d’une communauté qui était 20 fois plus importante qu’aujourd’hui. Tout bout de patrimoine juif est protégé comme c’est le cas de certains documents et gravures actuellement conservés à la bibliothèque Ariostea par ailleurs installée dans le remarquable Palazzo Paradiso juste à côté du ghetto. On regardera également avec un autre œil, une colonne notamment composée de pierre blanche, à l’entrée du palais communal (ci-contre) juste devant la cathédrale. D’un autre œil parce que l’hétérogénéité de la colonne est due à la présence d’éléments en pierre «prélevés» autrefois sur d’anciennes tombes juives.
Par sa superficie très importante, le cimetière, au pied des beaux remparts, détonne. Il est vieux de 4 siècles et en remplace un plus vieux aujourd’hui disparu. Les stèles, dont certaines très anciennes, sont parfois regroupées, parfois dispersées. On peut obtenir une visite guidée. Mais il est également possible de s’y promener en le demandant aux personnes qui gardent les lieux (maisonnette à droite de l’entrée) et à condition, pour les hommes du moins, de s’être recouvert la tête d’une kipa.
PHB
Bonjour,
Merci beaucoup pour cet article fort intéressant.
Monique Dugué-Boyer
Votre écriture est très architecturée et lyrique, toujours mariée à son sujet. Merci.
Impossible de parler des Juifs de Ferrare sans penser au film de Vittorio de Sica « Le Jardin des Finzi-Contini » sorti en 1970, adapté d’un livre de Girogio Bassani…
Chère Lise,
on a eu la même idée… Vous m’avez précédée d’une minute.
J’aurais voulu être galant que…
Revoir aussi le très beau « Jardin des Finzi-Contini » de Vittorio de Sica qui se situe à Ferrare dans une riche famille qui vit hors du temps dans son palais et qui va découvrir que le « philosémitisme » supposé de Mussolini ne survit pas à son déclin puisqu’il livrera sans problème la communauté juive de Ferrare aux nazis…
Sanda y est plus belle que jamais… et Helmut Berger aussi
Je lis toujours plus tard que vous tous mais oui, superbe papier de Ph Bonnet, comme d’habitude, et convergence d’idée avec le jardin des Finzi Contini, merveille de beauté et de subtilité, redonné au quartier latin il y a peu de temps..
Quand pourrons nous revoir Mantoue et Ferrare ?
https://www.tribunejuive.info/2017/12/17/musee-juif-italien-a-ferrara/
Ferrare est une ville à la trame dense et mystérieuse, qui ne se livre que parcimonieusement au promeneur. Cet article subtil se fait l’écho d’un palimpseste de plus (synagogues empilées et labyrinthiques, colonne composite). Merci pour cette révélation.
Faut il ajouter que le musée italien de la Shoah s’y trouve précisément.