Elle n’avait certes pas attendu qu’un homme lui cédât sa place pour devenir tour à tour et en même temps pilote, journaliste, photographe, écrivain. À 49 ans, c’est à dire en 1919, elle avait déjà établi un record de vitesse entre Paris et Dakar par la voie des airs. Les premiers baraquements de l’aéroport du Bourget étaient déjà édifiés, essentiellement pour des raisons militaires. Le même aérogare publiait quelques années plus tard, en 1926, un guide d’usage des lieux dont la teneur technique le destinait davantage aux passionnés. Louise Faure-Favier en était l’un des auteurs non seulement par la plume mais aussi par les photographies qu’elle avait prises de haut. On y voit la campagne alentour et les 16 hangars en dur loués aux compagnies aériennes pour abriter leurs avions.
Belle époque de liberté, dispensée des contrôles tatillons que nous connaissons. Au Bourget on y respirait tellement plus fort que même aujourd’hui, lorsque l’on s’y rend pour aller visiter le musée ou se promener entre les hangars, il en subsiste un irrésistible parfum d’aventure. Rien de tel qu’un vol de plein air pour disperser la naphtaline de l’ennui. Selon les chiffres publiés par le guide, ils n’étaient que 691 à avoir décidé de quitter momentanément le plancher des vaches en 1919. Six ans plus tard on en comptait 23.932 pour la seule année 1925, celle que l’on n’avait pas qualifiée de « folle » pour rien. Parmi tous ces téméraires, on avait vu défiler l’empereur Hiro-Hito, le roi Albert de Belgique, le prince Tiffari régent d’Éthiopie ou encore le très républicain Gaston Doumergue.
Les passagers ou simples visiteurs pouvaient se sustenter au buffet-restaurant avec vue sur la piste, changer de l’argent au bureau de la Société Générale, expédier de précieux courriers estampillés « par avion » et profiter des cabines téléphoniques. L’on pouvait emprunter le Blériot à quatre moteurs pour gagner Londres, la berline Spad-Salmson, la Limousine Bréguet ou encore l’immense et bien nommé Goliath Farman dans lequel embarqua Louise Faure-Favier en 1922 pour la première liaison nocturne au-dessus de la Manche.
Admirable femme que cette Louise Faure-Favier qui n’oubliait pas d’être élégante comme en témoigne une photo (1) prise par l’agence Rol en 1925. L’une de ses paupières était un peu tombante comme souvent chez ceux qui en vu plus que d’autres. Elle aimait aussi les arts et la littérature. Dans son appartement du Quai de Bourbon sur l’Île Saint-Louis, elle recevait nombre de personnalités dont Guillaume Apollinaire.
Il est probable qu’en participant à la rédaction de ce guide de l’aéroport du Bourget, elle faisait également bouillir la marmite. L’indépendance cela se paie au mois le mois. Dans l’entre-deux guerres, elle avait à ce sujet prêté son image dans le cadre d’une campagne publicitaire lancée par la Chocolaterie Barbier. Cette société stéphanoise misait sur le prestige des aviateurs afin de promouvoir ses produits, comme les pilotes Paul Codos ou Maurice Rossi. Sur ce rare échantillon glané aux enchères, on voit donc Louise Faure-Favier, le pied sur les marches d’accès à un aéronef. Visiblement on l’avait préférée en tenue de passagère alors que les hommes étaient photographiés dans leur costume de pilote.
Oui la publicité aimait profiter de l’aura des héros. Les pneus Cord Palladium équipaient par exemple l’avion Bernard sans omettre de préciser qu’il avait été piloté par Bonnet (Florentin) détenteur de nombreux records de vitesse en avion et… à vélo. La maison Levasseur avait aussi mentionné cet homme afin de vanter son hélice métallique brevetée. Il décédera en 1929 lors de la Coupe Schneider. Louise Faure-Favier de son côté, a survécu jusqu’à 91 ans emportant avec elle le projet d’un ballet pour lequel elle avait prévu de faire collaborer Erik Satie et Apollinaire. Peut-être l’ont-ils enfin mené à bien ce spectacle, de là où ils se trouvent, longtemps après leur ultime décollage vers des horizons possiblement lumineux.
PHB
Merci pour ce rappel sur Louise Faure-Favier (incidemment aviatrice comme le fut « Lou »). Ses souvenirs sur Apollinaires sont délicieux. Entre autres ses tentatives de réconcilier Guillaume et Marie (Laurencin) lors du séjour organisé à Villequier, dont hôtel de France garde le souvenir, comme vous nous l’aviez révélé il y a quelque temps.
Souvenirs sur Apollinaire, Les Cahiers Rouge, Grasset
Merci Philippe, pour cette nouvelle trouvaille dont vous nous faites profiter!
L’autre aviatrice amie d’Apollinaire était une certaine Louise de Coligny Châtillon, dont les archives de l’école d’aviation Deperdussin à Étampes conservent la trace de son passage.
Et sur le chapitre de l’aviation, souvenons-nous des vers du poète :
« L’avion! l’avion! qu’il monte dans les airs,
Qu’il plane sur les monts, qu’il traverse les mers,
Qu’il aille regarder le soleil comme Icare (…) »
(in « Poèmes retrouvés »)