1951, cédant à la sollicitation de l’amicale des viticulteurs pressés d’en finir, le gouvernement Pleven fit œuvre de bienfaiteur. Il autorisa la mise sur le marché de quelques AOC (appellation d’origine contrôlée) avant l’habituelle date minimale marquant le délai entre la fin des vendanges et le début de la vente, jamais plus tôt que le 15 décembre. Alors que d’aucuns, pour maturer leur récolte, donnent du temps au temps, un vin convenable devant au moins avoir fait ses Pâques, les susdits n’eurent de cesse, à peine les grappes foulées, que de transformer leur production en équivalent monétaire. Les placements bancaires ainsi réalisés gagnent davantage à vieillir que la piquette produite d’une telle façon. Dix sept ans plus tard, les vignerons du Beaujolais étaient admis dans le petit groupe des vinificateurs précoces. La nouvelle, en soi, ne bouleversa pas le paysage vinicole, le beaujolpif ayant la réputation d’un vin de second ordre.
Mais un malin va avoir l’idée de lui accoler une épithète flatteuse. Le 15 novembre 1968, le beaujolais «nouveau» naissait, comme le fait, chaque 25 décembre, le divin enfant.
Depuis cette date historique, utilisant avec habileté le goût d’homo festivus pour la mise en spectacle du futile, de talentueux concepteurs ont créé de toutes pièces une célébration factice, sous le vague patronage du dieu Bacchus… Tous les troisièmes jeudis de novembre s’amoncellent des pyramides de bouteilles aux étiquettes rutilantes, à l’entrée des hypermarchés.
Le néo folklore trouve place dans les journaux télévisés. Des envoyés spéciaux couvrent le micro événement, du troquet du coin à Londres, Tokyo, New York. Plus de la moitié de la production est destinée à l’export, la jobardise ne connaissant point de frontières. Il s’écoule ainsi pas loin de vingt millions de flacons.
Bien sûr, initialement, plus boisson que vin, ce pinard à peine fermenté ne supportait pas le voyage. On le buvait, entre copains, dans sa région d’origine. Retravaillé au corps, il est désormais pourvu d’un degré alcoolique plus substantiel. Magie de quelques levures sélectionnées, apportant par surcroît au Gamay des arômes d’abricot, de banane, de colle blanche ou de vernis à ongle sur lesquels gloseront à l’infini les piliers de comptoir.
Dans notre hexagone, la vogue du beaujolais primeur marque aujourd’hui le pas. Il s’imposait pendant plus d’un mois, signant son passage sur les nappes d’un rond violacé. Il s’éclipse, en ce début de siècle, dès le lundi suivant son apparition dans toutes les maisons sérieuses. En revanche, au Japon, il persiste à incarner l’esthétisme à la française. Aux USA, j’ai croisé un œnophile autoproclamé, conservant fièrement, dans sa cave gérée à l’informatique, d’une année sur l’autre, quelques bouteilles du mirobolant breuvage. Les gens de Romanèche-Thorins, Mecque du beaujolais nouveau dont Georges Dubœuf fut le Prophète ont intégré depuis belle heurette les ficelles du commerce mondialisé.
Saluons ici l’enfant le plus fameux de cette riante cité, Benoît Raclet… Fils de magistrat, dix-neuvième enfant d’une fratrie de vingt deux, greffier au tribunal de Roanne, il devient, par mariage, le gendre d’un riche propriétaire viticole, à qui il succède. En ce temps là, la vigne était la victime habituelle de la pyrale, petite chenille bien malfaisante, connue sous le charmant sobriquet de ver coquin. A partir de 1540, un pélerinage s’effectua à Montmerle sur Saône, en l’église Notre Dame du Ver, avec, sur le fléau des résultats improbables. L’esprit d’observation de Benoît va faire, en la matière, beaucoup mieux que les oraisons publiques.
Établissant une relation de causalité entre l’habitude de sa cuisinière de jeter par la fenêtre son eau de vaisselle et l’inaltérable santé de la vigne sous-jacente, il se fait expérimentateur. Testant l’échaudage sur ses propres sarments, il obtient les mêmes résultats. Pendant des années, il va tenter de convaincre ses voisins d’ébouillanter leurs ceps au moment de l’hibernation de la vermine. Procédé trop simple pour séduire, il ne récolte que des moqueries. Dès lors, il bascule dans la paranoïa des inventeurs incompris. Il décède, criblé de dettes, frappé d’hémiplégie, le 31 mars 1829. Vingt ans plus tard, son idée ayant finalement triomphé, pris de remords, les gens de Romanèche-Thorins le statufieront sur la place du village.
Et chaque année, à la fin du mois d’octobre, sauf à être claquemurée par la Covid-19, la population célèbre la fête Raclet, l’homme qui inventa l’eau chaude.
Jean-Paul Demarez
Gloire à Benoît Raclet !
En voilà un qui n’aurait pas son rond de serviette dans le gouvernement de M. Castex !
Il lui aurait dit ce matin que c’était bien beau de supprimer les produits non nécessaires dans les supermarchés, mais qu’il y allait avoir des pénuries et du marché noir…
pour des slips ou des chaussettes, voire des tampons hygiéniques si, comme d’habitude, on réglemente à la hussarde !