Rien que pour cette guitare exécutée en 1924 depuis Juan-les-Pins, un détour s’impose à la Philharmonie. Une exposition de plus autour de Picasso, serait-on tenté de dire à l’avance, mais ce serait une erreur. Picasso n’était pas mélomane, il n’écoutait guère de musique et ne jouait pas d’instrument. Et pourtant cette exposition donne à voir combien, paradoxalement, au milieu des nombreuses œuvres réunies, la matière musicale a nourri son inspiration. Cette guitare en est la parfaite démonstration. Elle souligne à quel point et en toutes choses, Picasso savait s’évader de la simple représentation. Comme c’est le cas ici où l’artiste n’a conservé de l’instrument qu’une géométrie cosmique. L’objet s’en trouve littéralement divinisé.
Son enfance a peut-être joué un rôle dans ce domaine. Puisque à Malaga, où il naquit en 1881, l’ambiance est musicale. Son père José, lui-même peintre est un amateur de corrida et de musique gitane. Picasso s’intéresse tout de même au flamenco « et la profonde mélancolie qui étreint les chanes de cante jondo », comme le rappelle la commissaire Cécile Godefroy dans un livre opportunément sorti aux éditions Découvertes Gallimard. Picasso ne pratique peut-être pas mais il comprend et ce qu’il comprend, il peut le transposer à sa façon. C’est ainsi que de ses contacts parisiens avec Guillaume Apollinaire ou Max Jacob, il saura tisser des liens entre la poésie, la musique et la peinture, les dessins, les collages. Certaines de ses œuvres spécifiques, cubistes, paraîtront d’ailleurs dans Les Soirées de Paris. Il est à ce propos dommage que l’exposition ne compte pas « Les trois musiciens », toile qui met en scène un Arlequin, un Pierrot dont on a dit qu’il s’agissait dans l’ordre de lui-même, Apollinaire et Max Jacob. Les deux versions de cette œuvre se trouvent en Amérique, ce qui pourrait expliquer leur absence. Oui contrairement à Braque, Picasso n’était pas musicien, mais il s’est emparé de ce sujet avec toute la maestria de ses débuts dans la modernité.
En revanche, l’artiste espagnol s’est essayé à la poésie, avouant lui-même être un poème ayant « mal tourné ». Certains de ses textes calligraphiés font judicieusement partie de la scénographie comme cette page très courte où il écrit « J’ai vu sortir ce soir du concert de la salle Gaveau la dernière personne » avant de préciser en post-scriptum qu’il s’est ensuite rendu au bureau de tabac quérir des allumettes. Cela peut paraître anodin, une banalité rédigée à la va-vite, mais cela fonctionne. Un autre, plus riche et rédigé en espagnol, s’intitule « si estrepitoso el tambor » soit « si crépitant le tambour ».
Picasso a également prêté main forte aux musiciens et organisateurs de ballets pour ce qui procédait des décors. À la Philharmonie, il nous est ainsi donné à voir « Le masque Pulcinella », une étude très grand format réalisée en 1920 pour le ballet « Pulcinella » et dont on peut voir un détail ci-contre. Il va s’impliquer plusieurs années, jusqu’en 1924, dans la mise en scène des ballets, notamment avec Serge de Diaghilev et ses fameux Ballets russes. Il nous est expliqué qu’il collaborera également avec le génial et attachant Erik Satie, en élaborant des décors et des costumes.
On a toujours ce préjugé de bien connaître Picasso mais chaque exposition vaut redécouverte tant par le thème choisi que par les assemblages de pièces retenues. Il est bien difficile de s’en lasser et l’on se surprend à refaire le parcours (bien éclairé) en sens inverse pour, au hasard des souvenirs marquants, se gaver le regard d’un très beau portrait du compositeur Manuel de Falla (1876-1946), d’une photo de Marie Laurencin posant dans l’atelier du boulevard de Clichy devant « L’homme à la mandoline » (en cours d’exécution) ou encore un « Jeune Bacchus au tambourin » merveilleux de grâce. La dernière salle qui présente des réalisations correspondant à la fin de la vie de l’artiste emportent peut-être moins l’adhésion. Son génie est toujours là mais il semble comme en voie de disparition, de dissolution. En revanche tout ce qu’a pu faire Picasso durant (au moins) la première moitié de son existence reste implacable et force l’admiration.
PHB
« Les musiques de Picasso » jusqu’au 3 janvier à la Philharmonie de Paris
Bonjour,
J’ai vu cette exposition hier. Votre présentation rend parfaitement compte de l’ambiguïté et de la force de la relation de Picasso à la musique, et plutôt même à ses acteurs (musiciens) et ses objets (instruments). Le thème de l’exposition était un peu osé, mais ses organisateurs (dirigés par Cécile Godefroy) s’en sortent avec maestria.
Et j’en ai profité dans la foulée pour aller voir et écouter, dans la superbe et très acoustique salle Boulez de la Philharmonie, un concert de l’orchestre « Les Dissonances ». Petit (en effectifs) orchestre symphonique qui rajeunit avec joie des œuvres un peu mises sur le côté : hier soir la 4e symphonie de Beethoven. Pas de chef à la baquette, il (David Grimal) est à l’archet de premier violon, et c’est un régal.
La salle, avec les mesures de distanciation (places vide entre deux et masques) était pratiquement comble, et comblée. Et des tarifs très raisonnables.