« Du rouge au vert tout le jaune se meurt », écrivait Apollinaire qui s’y connaissait en couleurs. Hier dans l’après-midi, les médias faisaient état à l’avance d’une surenchère de rouge concernant la cartographie parisienne, touchée par un virus décidément en grande forme. Visiblement et d’après les gazettes, les autorités qui nous gouvernent se penchaient au cours d’un conseil de défense sur un nuancier à même de caractériser l’aggravation de la situation. « Super-rouge » et « écarlate » semblaient tenir la corde alors même qu’il existe autour de cette couleur primaire, une foultitude de possibilités comme la cerise, le pourpre, le bordeaux, le coquelicot, la tomate, le rubicond et bien d’autres encore. Le rouge disait Wassily Kandinsky, « peut déclencher, puisque la flamme est rouge, une vibration intérieure semblable à celle de la flamme ». Et d’ajouter que sa ressemblance d’avec le sang pouvait occasionner une sensation « pénible ». Voilà que nous y sommes.
Le rouge est bien le souvent le signe de l’alerte, de l’interdit, de la révolution et de la transgression tandis que l’utilisation du vert va davantage de pair avec l’absence de danger, de la permissivité, teinte dont l’autre théoricien de la couleur et artiste Piet Mondrian avait fini par se débarrasser. Et voilà que Paris va dans les faits virer au super-rouge, stade que l’on peut supposer comme un signal ultime. On notera au passage que le terme andrinople n’a pas été retenu, alors que cette couleur fort ancienne, notamment composée d’excréments, aurait eu un un certain chic et en aurait profité pour sortir de l’oubli.
Les piétons parisiens auront quand même ressenti, masque dûment fixé sur le visage, une certaine perplexité ces derniers temps à croiser nombre de permissionnaires en goguette: les dispensés du masque. Au premier chef desquels figuraient (et figurent toujours) les cyclistes. Dans son édition du 21 septembre, le journal Le Parisien, expliquait qu’ils étaient désormais si nombreux que « les voies protégées » connaissaient une saturation « aux heures de pointe », occasionnant même des échanges d’insultes entre usagers. Avec ce que cela peut supposer de postillons en arabesques translucides. Sans nécessité d’être infectiologue patenté, le piéton avait (et a toujours) de quoi s’interroger sur l’absence présumée de danger, formée non seulement par les agglutinations de cyclistes, mais aussi des consommateurs en terrasse ou encore des amateurs de jogging. D’autant que dans certains quartiers ces trois catégories de populations pouvaient (et peuvent toujours) coexister sans craindre de se faire gourmander par la maréchaussée. Présumés ne comprendre que des messages et dispositions simples, les Français en général et les Parisiens en particulier avaient bien du mal ces derniers temps à discerner de la cohérence dans le clafoutis de la communication officielle. Le mot d’ordre finalement retenu est « zone d’alerte renforcée », avant-dernier cri avant le branle-bas.
D’ici à ce que Paris repasse en mode super-vert en lien avec la question épidémique, il semble que nous ayons encore quelques semaines pénibles sinon quelques mois devant nous hélas. Cependant, si l’on se réfère encore une fois à l’expertise de ce bon professeur Kandinsky, notons qu’il avait souligné que « le vert absolu est, dans la société des couleurs, ce qu’est la bourgeoisie dans la société des hommes: un élément immobile, sans désirs, satisfait, épanoui ». Peut-être était-ce de l’humour mais il ajoutait également que le vert « est comme la vache grasse, saine, couchée et ruminante, capable seulement de regarder le monde de ses yeux vagues et indolents ».
Il va être bien difficile en tout cas de partir se mettre au vert dans une France qui passe actuellement de l’orange au cramoisi. Jusqu’à ce que le super-rouge fusionne possiblement avec le super-vert, ce qui nous fera rire super-jaune. Gérard de Nerval au passage, avait si bien versifié ce phénomène naturel (1). Sachant en outre que le négatif du jaune est le bleu, nous n’avons certes pas terminé d’en voir de toutes les couleurs. C’est le grand retour du psychédélisme.
PHB
(1) « C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre/Un coteau vert, que le couchant jaunit » (Fantaisie)
Chapeau !
Merci! il vaut mieux en rire de ces nuances de rouge…