Au mois d’août 1946, probablement le 19, Madame Cadot, « dans un accès de démence », a tenté d’étrangler son dernier né avant d’absorber le contenu d’un flacon de « sublimé ». Elle était mère de trois enfants et habitait Saintive dans l’Oise. Il y avait d’autres informations plus importantes dans cette édition de l’Aube, quotidien chrétien-démocrate dont la parution a cessé en 1951. Mais en fait ce qui compte c’est que ce journal tapissait le fond d’une valise abandonnée cet été sur un trottoir parisien. Une vieille valise en carton dur, évidemment dépourvue de roulettes, que des renforts métalliques ont protégé d’une usure prématurée. Une petite valise qui ne pouvait contenir que quelques effets. Certains hommes baptisaient ce genre de format « baise-en-ville » avec un regard entendu. Elle est restée sans étiquette, comme sur les bancs de la Chambre, pas moyen de savoir à qui elle appartenait.
Ces valises-là, plus personne n’en veut. L’absence de roulettes les condamne au musée et plus probablement à la déchetterie. Celle-ci est une valise de pauvre, tel un modèle décrit par Jules Romains dans « Les hommes de bonne volonté » avec « ses poignées lourdaudes, bêtement écartées ». Son propriétaire en avait donc protégé le fond avec du papier journal occultant en partie la décoration de fleurs de lys. Chaque été il en descend ainsi sur les trottoirs. Les chiens trouvent les parois commodes pour s’épancher dessus. Nous n’avons que faire de leur compagnie et de leurs messages qui évoquent l’exode ou les congés payés, avec les bagages arrimés sur le toit d’une Peugeot 403.
Elles ont connu leurs heures de gloire au cinéma comme dans « La Traversée de Paris » un film réalisé par Claude Autant-Lara et sorti en 1956 avec Bourvil et Gabin. Ou encore ce film drolatique de Georges Lautner qui s’intitulait justement « La Valise » (1973) ce qui lui conférait le premier rôle aux côtés de Jean-Pierre Marielle, Michel Constantin et Mireille Darc. En l’occurrence, il s’agissait plutôt d’une grosse malle censée transporter incognito l’espion israélien qu’interprétait Marielle. Une histoire qui matérialisait bien l’idée de « se faire la malle », expression finalement plus usitée que de « se faire la valise ». En l’occurrence l’objet était « diplomatique ». Ce qui permettait de la soustraire à la curiosité des douaniers.
On ne peut évidemment manquer dans ce domaine de citer Apollinaire qui écrivit à la mort de son ami le peintre Henri Rousseau: « Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel/Nous t’apporterons des pinceaux des couleurs des toiles/Afin que tes loisirs sacrés dans la lumière réelle/Tu les consacres à peindre comme tu tiras mon portrait/La face des étoiles ».
Un usage qui s’est un peu perdu en revanche était celui consistant à garnir les flancs d’une valise avec des autocollants en guise de souvenir. Le touriste, le voyageur au long cours, aimaient ainsi rappeler, au moyen de cette manie innocente, par quelles villes ils étaient passés. Tenez par exemple, cette valoche en carton noir remontée de la cave et qui raconte sa petite histoire. Son propriétaire avait sans aucun doute fait une étape à Calais. Eh bien les lecteurs des Soirées de Paris seront peut-être satisfaits d’apprendre que l’hôtel Meurice, sis dans cette ville portuaire, est le premier du nom. Charles de Gaulle, Saint Exupéry ou encore Bourvil l’ont fréquenté. L’établissement a été fondé en 1771 par Augustin Meurice (1738-1820), maître de poste à Calais. Il est l’aïeul du palace parisien où Salvador Dali avait sa suite.
Avec l’époque moderne, le transport de nos affaires se fait désormais sans peine avec un fort bruit de roulement. Quand tout un groupe de voyageurs se dirige vers la station de taxis, il se produit un son spécifique situé entre la charge de la cavalerie et un escadron d’hélicoptères en chasse, prolongeant le tintamarre du train. C’est la sonorité d’un progrès en marche et vieux de quatre millénaires. Nous connaissons aujourd’hui d’autres raisons de nous fatiguer, d’autres motifs d’avoir des valises sous les yeux. Celles-là disposent bien souvent d’un double-fond, ultime repli de nos peines et de nos soucis.
PHB
Savoureux !
Des valises avec des photographies et quelques vieilles hardes…j’en ai trouvé et j’ai mis en ligne les contenus
https://zodaki.blogspot.com/p/la-valise-du-photographe-de-rue-une.html
https://zodaki.blogspot.com/2014/02/pellicules-plaques-trouvees.html
hélas je n’ai pas prêtè attention au contenant
Elisa