Maurice Thomas convenait que l’entomologie relevait « d’une passion tenace » transformant celui qui la pratiquait « en une sorte de maniaque (…) qui ne se lasse pas de voir et revoir mille et une fois la même chose », quand bien même elle serait dépourvue de toute « valeur pratique ». Dans son livre publié en 1953, consacré aux araignées, il décrivait ses longues heures passées à observer leurs accouplements. On y apprend, schéma à l’appui (ci-contre) que le mâle fait part de ses intentions à la femelle en utilisant un langage sémaphorique des plus clairs. Il agite en alternance ses organes reproducteurs que sont son palpe droit et son palpe gauche, enrichis en sperme par l’abdomen. Si elle accepte l’invitation, l’accouplement prendra plus d’une heure. Si elle refuse en revanche, l’opération prend un tour burlesque dont Maurice Thomas nous livre le détail savoureux.
Voilà qu’un jour de printemps, il observait en effet un mâle décidé à mener son action de conquête jusqu’à son terme. Mais sa dulcinée n’était pas d’accord, en le repoussant par « quelques chaudes bourrades » et jusqu’à l’éjecter par une pirouette quand il crut bon à bout de patience, lui forcer la main en se jetant sur elle. Difficile de déterminer dans les lignes qui vont suivre si le savant réalisait l’humour corrélé à ses observations. Car, raconte-t-il, le mâle dans sa dernière tentative, « profita » de ce que sa « compagne suçait une mouche » pour lui sauter derechef sur le râble « et la ligoter » avant l’assaut. Fatale erreur de jugement car ce fut au tour de la femelle de le renverser sur le dos afin de dévorer le goujat sans plus de formalités. Cette scène ultra-violente eut lieu dans un tube, sous les auspices de la Société entomologique de Belgique, le 3 mai 1930.
Lorsque l’on se trouve dans un Intercités entre Paris et Limoges à lire « Vie et mœurs des araignées », il n’est pas évident que les autres voyageurs comprennent d’emblée toutes les richesses contenues dans un ouvrage a priori rébarbatif pour un profane. On y apprend notamment, à la lueur du plafonnier, toutes les subtilités du tissage d’une toile dont l’une des premières utilités est d’y piéger une proie. Maurice Thomas en profite au passage pour épingler le philosophe Schopenhauer qui professait que le mariage était un piège et l’ascétisme une vertu, tandis que « fripon » lui-même, il s’abandonnait de son côté à de multiples plaisirs. Si l’araignée tisse d’ailleurs, ce n’est pas seulement pour se nourrir mais aussi pour y abriter ses œufs. Il existe toutes sortes de toiles selon les espèces dont la variété est ici abondamment comparée dans ses géométries complexes.
Le fil de soie que l’araignée peut sécréter sur plusieurs kilomètres tout au long de sa vie, lui permet également de choir sans mal, de fuir ou simplement d’aller et venir au gré de ses besoins. On apprend à ce sujet, à l’ouverture du chapitre cinq ayant trait à la capture des proies, qu’une araignée a été observée sur un lustre surplombant un orchestre. Et que la bestiole descendait au bout de son fil lorsque « le violon exécutait un solo » et « remontait prestement » quand l’orchestre reprenait la partition. Il paraîtrait également que Beethoven enfant voyait régulièrement descendre une araignée du plafond afin de se poser sur son violon. Cette légende invérifiable, ajoute qu’un jour où la maman de Ludwig tua l’araignée, l’enfant en brisa son instrument de colère.
Entre épeires, tarentules, mygales et autres xysticus pini, nous voilà largement briefés et même rassurés sur la plupart des araignées qui ne cherchent pas des noises à l’homme. Il y en a quand même quelques unes de mortelles dont Maurice Thomas nous livre les noms ce qui peut toujours servir. D’autres auraient des vertus aphrodisiaques (une femme qui croyait empoisonner son mari a constaté cet effet pervers) quand on les absorbe. Certaines espèces apprend-on, se dégusteraient en effet comme une friandise raffinée. Nous avons hâte de vérifier. Avec les pattes qui bougent encore entre le palais et la langue, on frôle à coup sûr le délice.
PHB
« Vie et mœurs des araignées », Maurice Thomas, éditions Payot (1953)
PS: Stéphane, le présumé avant-dernier acheteur de ce livre, avait laissé une fiche cartonnée entre les pages, à l’adresse d’une probable dulcinée. Laquelle comprend-on, l’avait chargée de deux commissions: d’une part ramener un tube de rouge à lèvres Valsa (Jeanne Gâtineau) et d’autre part de trouver un ouvrage traitant des araignées. Et de préciser que ce type de lecture ne pouvait, à son avis, n’intéresser que les « spécialistes » ou les « satyres ». Mais c’était sûrement sa façon à elle de tisser sa toile.
Colette raconte que. petit-déjeunant de chocolat au lait, elle voyait souvent descendre au bout d’un fil vers sa tasse et y boire une seconde une petite araignée qui regagnait ensuite tranquillement le plafond.
Paraît-il que voir une araignée le matin porterait chance. La superstition populaire omet de préciser si les dessins représentant ce gri-gri poilu auraient la même vertu. Celui qui m’intrigua ce matin était signé Philippe Bonnet. Raison de plus pour s’y attarder donc. Ce patinage visuel capta aussitôt mes billes myopes dont les rétines se dilatèrent à la lecture de la scène d’apocalypse que la femelle araignée affliga à son goujat d’harceleur. Choc que l’auteur adoucit, d’abord, avec son histoire d’araignée amateur de musique pour ensuite asséner un deuxième coup matinal avec celle de la tragédie d’un petit garçon (Beethoven), ami des bêtes.
Compte tenu la palette d’émotions que cette lecture m’a procurée, je ne peux que souhaiter le récidive, le plus proche possible, de son auteur.
P.s. Mes recherches sur le fameux Maurice Thomas m’ont apprises (page 131) qu’il s’agissait d’un autodidacte qui défendait, dans cet ouvrage, l’approche attaquée d’une sommité (Fabre) dont il partageait les convictions scientifiques https://www.persee.fr/doc/bsef_0037-928x_1983_num_88_1_18293