La sortie en DVD de la série “The Plot Against America” (1) prévue pour le 21 octobre prochain, après le succès rencontré par sa diffusion en France sur OCS au printemps dernier, est l’occasion de se plonger (ou se replonger) dans la lecture du roman éponyme de Philip Roth, “Le complot contre l’Amérique” (2004), dont elle est adaptée. Le romancier récemment disparu (2), auteur majeur de la littérature américaine, y fait, une fois de plus, montre de son immense talent à travers une chronique inventée, et parfaitement crédible, de l’Amérique à un moment charnière de son histoire. Une œuvre d’une grande intelligence, tout aussi captivante que bouleversante.
Dans ce récit uchronique, se déroulant de juin 1940 à octobre 1942, Philip Roth réinvente donc l’histoire de l’Amérique. Il imagine que l’aviateur américain Charles Lindbergh remporte les élections présidentielles de 1940 face au Président démocrate sortant Franklin Delano Roosevelt, devenant ainsi le 33ème Président des États-Unis. Contrairement à la réalité, Roosevelt n’est donc pas réélu pour un troisième mandat, et, a fortiori, ne le sera pas non plus pour un quatrième.
À cette époque, Charles Lindbergh est tout à la fois héros et martyr. En 1927, à tout juste 25 ans, ce jeune homme au physique d’Apollon a accédé à la notoriété internationale en reliant en seulement 33 heures et 30 minutes, sans escale et en solitaire, New York à Paris, à bord de son désormais légendaire Spirit of Saint Louis. Mais il a aussi gagné la sympathie du monde entier avec le drame qui a touché sa famille : en 1932, cinq ans après son exploit, son fils aîné, Charles Junior, âgé de vingt mois, est kidnappé et retrouvé mort malgré le paiement d’une rançon. La popularité de Lindbergh s’en est trouvée décuplée. Sa cote de popularité a atteint des sommets.
Lindbergh étant un ardent défenseur du maintien des États-Unis hors du conflit mondial, voter pour lui, en 1940, c’est voter contre la guerre. C’est ainsi tout du moins qu’il présente l’équation et gagne les élections. Aussitôt arrivé au pouvoir, il s’empresse de signer un pacte de non-agression avec l’Allemagne.
Mais l’aviateur est également connu pour ses sympathies pro-nazies. Le nouvel occupant de la Maison Blanche va dès lors instaurer une politique antisémite. La vie des Roth, comme celle de nombreuses familles juives américaines, s’en trouvera bouleversée et virera progressivement au cauchemar. Acculée à faire des choix, elle verra sa belle harmonie voler en éclats, allant jusqu’à s’entre-déchirer.
Ce récit de politique-fiction se lit comme un roman d’aventures ou un livre policier. Le suspense est constamment au rendez-vous, nous faisant oublier qu’il s’agit là d’une uchronie, emportés que nous sommes par une affabulation parfaitement crédible et qui n’est pas sans rappeler une certaine réalité. La tension monte tout au long du livre pour ne nous lâcher qu’à son terme.
Un des coups de maître de l’écrivain est de raconter cette histoire à hauteur d’enfant, un enfant âgé de 7 à 9 ans pour lequel de nombreux faits restent inévitablement incompréhensibles. Narrateur de sa propre histoire, l’auteur, fils cadet de la famille Roth, se remémore son passé à une époque où tout a basculé, où le bonheur familial dans lequel il avait grandi s’est soudain vu menacé. À sa suite, il nous entraîne dans la vie quotidienne de sa famille à Weequahic, le quartier juif de Newark dans le New Jersey si souvent évoqué dans ses romans, où Philip Roth a réellement grandi. Cette vision enfantine des événements, de par son manque de repères et d’analyse, accentue la brutalité de la situation tout en y injectant une certaine dose d’humour.
Par ailleurs, l’auteur a réuni une pléiade de personnages hauts en couleur, merveilleusement bien dessinés : le père, “grande gueule” au tempérament bien trempé, la mère, force tranquille qui n’en pense et n’agit pas moins, le frère aîné Sandy, talentueux dessinateur en herbe, le cousin Alvin, mi-héros mi-crapule, la tante Evelyn, le rabbin Lionel Bengelsdorf, l’oncle Monty, le petit voisin Seldon… et bien évidemment, la narrateur lui-même, philatéliste passionné dont les timbres, dans ses terreurs nocturnes, se voient recouverts d’une croix gammée. C’est avec un intérêt sans relâche que nous suivons leurs discordes et leurs destins chahutés par le cours de l’Histoire.
Autre point fort : la justification avancée par l’auteur, vers la fin du roman, quant à l’arrivée au pouvoir de Lindbergh et à la teneur de ses actes. Cette belle trouvaille, que nous ne révélerons pas, aurait mérité d’être davantage développée et de constituer plus qu’une hypothèse sur laquelle l’écrivain aurait d’ailleurs pu conclure son roman, la toute fin du livre étant un brin expédiée et, par conséquent, quelque peu décevante.
La véritable chronologie des faits et les biographies des personnages proposées en post-scriptum, ajouts on ne peut plus bienvenus pour rafraîchir notre mémoire, nous remettent de plain-pied avec la réalité historique et nous montre, si besoin est, à quel point une élection peut déterminer le cours de l’Histoire.
Alors que tous les regards se tournent actuellement vers les États Unis, le résultat de la 59ème élection américaine, le 3 novembre prochain, 80 ans après celle de 1940, semble plus que jamais décisif, tant pour l’avenir du pays que celui de la planète. Espérons que celui-ci soit clément.
Isabelle Fauvel
(1) “The Plot Against America” est une mini-série américaine en 6 épisodes de 55 minutes créée et écrite par Ed Burns et David Simon, adaptée du roman de Philip Roth. Tournée en 2019, elle comprend, dans les rôles principaux, Winona Ryder, Zoe Kazan, Morgan Spector, John Turturo, Anthony Boyle, Azhy Robertson et Caleb Malis.
“Le complot contre l’Amérique” (“The Plot Against America”, 2004) de Philip Roth. Première parution en 2006. Traduction de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun. Collection Folio (n°4637), Gallimard.
Merci Cher Isabelle,
pour cet hommage à Philip Roth.
Je ne vous reprocherai que votre dernier paragraphe… Croyez-vous que le sort du monde est en jeu si Trump était réélu ? Pensez-vous que 4 ans d’Hillary Clinton auraient été si différents que ça…
Huit ans d’Obama ont-ils changé le sort des noirs américains ? Y a-t-il eu moins de bavures policières ? Y a-t-il moins de prisonniers noirs dans cette « Colonie pénitentiaires » de trois millions de personnes ?
Je rappelle que si on rapporte ce nombre à la France cela signifierait au
moins 600 000 détenus. On est à dix fois moins… et même le RN n’en demanderait pas tant.
Est-ce que Clinton/Obama étaient moins pro-israéliens ? Boycottaient-ils l’extrême-droite au pouvoir à Tel Aviv ? Ne prenaient-ils pas systématiquement fait et cause pour Israël malgré un pseudo discours humaniste ?
Je me demande même si H.Clinton aurait tenté le rapprochement avec la Corée du Nord…
Bref, croire que Biden changera quelque chose est un leurre… Je ne pense qu’il fera « déconstruire » le mur avec le Mexique. Je serai Américain, je n’irai pas voté pour ces deux représentants de la nomenclature et ses serviteurs du big business ni l’un ni l’autre préoccupé par l’écologie.
Philip Roth a écrit un pamphlet contre Nixon (Tricky Dickson). Il n’a pas renouvelé car il n’aurait fait que ça, tellement les présidents qui ont suivi (sauf peut-être Jimmy Carter, dont plus personne ne parle jamais) étaient moulés à la louche par les lobbys et le complexe militaro-industriel. Heureusement, il a préféré construire son oeuvre de romancier…
Vous y allez un peu fort, cher Philippe, comme à votre habitude.
Dire que Trump et Biden c’est la même chose, et que Obama n’a pas fait grand chose c’est simplifier de manière outrancière. Obama n’a pas fait de miracles, mais sa seule élection était un puissant symbole, et le mouvement Black Lives Matter montre que la société US évolue lentement mais sûrement. La politique n’est pas une pièce shakespearienne comme Philip Roth l’imagine avec son immense talent, mais lui sait fort bien qu’il est dans le domaine de la fiction. Vous n’iriez pas voter, mais heureusement vous n’êtes pas Américain!