Le soir, quand vient l’heure de la fermeture des squares, les gardiens des lieux s’époumonent au bec de leur sifflet. Il est, à ce propos, temps de remarquer que l’usage du sifflement touche à sa fin. La présomption de harcèlement fait que plus personne ne siffle les filles (ou les garçons). Les TGV n’ont que faire des habitudes de leurs aïeux à vapeur. Il y a beau temps que la police ne fait plus la circulation aux carrefours et désormais, l’usage d’un masque terrasse toute ambition d’ouvrir les lèvres afin de siffloter. À vrai dire le masque n’y est pour rien, c’est l’époque qui manque de légèreté. Tant d’urgences convoquent le citoyen certifié coupable d’un peu tout à la fois qu’il en oublie la simple gaieté de siffler. S’y abandonner reviendrait à injurier l’actualité.
Qu’il s’agisse de l’objet cylindrique, à bec où à roulettes, voire de l’appeau ou du méta-sifflet à ultra sons, ils sont presque tous au rancart. Quand on n’avait pas de sifflet, les meilleurs d’entre nous savaient héler un taxi de la sorte, quitte à s’introduire un nombre variable de doigts dans la bouche. Ceux-là y gagnaient en autorité ce qu’ils perdaient en élégance. Mais c’était très efficace. Pas sûr cependant qu’un chauffeur de la G7 serait encore sensible à un tel son. L’habitude s’est perdue. Et concernant les chauffeurs privés, c’est par le téléphone que l’opération s’effectue. Lequel chauffeur reçoit en silence les données du client. Comme le cor de chasse ou la trompe marine le sifflet se tait, et par endroits, il s’est définitivement tu.
Au mois de juillet dernier les gazettes ont largement empli leurs colonnes de commentaires laudateurs sur le compositeur Ennio Moricone, celui qui venait de quitter le monde du cinéma pour de bon. Elles auraient également pu parler de Alessandro Alessandroni (1925-2017) son camarade d’enfance, lequel, outre la maîtrise de nombreux instruments, était également un excellent siffleur. C’est lui que l’on entend siffler dans « Pour une poignée de dollars » ou dans « Il était une fois dans l’ouest ». Au point paraît-il qu’on le désignait comme « il Fischio », une dénomination qui, on en conviendra, se passe de traduction. Sans doute également était-ce lui qui assurait le sifflement aussi profond que désolé sur la bande originale du « Clan des Siciliens » sorti en 1969, mais impossible en l’occurrence de retrouver une référence qui montrerait effectivement qu’Ennio Morricone avait fait appel à lui. La pureté du son sur ce film fait néanmoins penser à son complice de toujours. Dans le domaine du septième art et sans citer le fameux train qui devait se faire entendre trois fois en guise d’avertissement, on ne peut pas omettre de citer le cadeau fait par Humphrey Bogart à Lauren Bacall en 1944, soit un sifflet en or (ou un sifflet gravé sur un bracelet selon une source différente) sur lequel était en tout cas écrit quelque chose comme « si tu as besoin de quelque chose, siffle-moi ».
À chercher le prix d’un beau sifflet chromé (jusqu’à trois tons), il apparaît qu’il y a encore une profession qui en fait un usage très surveillé par les supporters de football, ce sont les arbitres. Quand ils expirent dans leur sifflet c’est rarement pour rire et ils se font si fort entendre que même en dehors du stade, en plein match, le simple passant se sent comme interpellé, pris en faute. Et c’est là aussi tout l’intérêt du sifflet qui ne dispose que d’un ton. Marquer un hors-jeu à l’aide d’un instrument plus perfectionné comme le biniou ou un pipeau desquels sortirait « si-la si-sol-si-la-sol-la-si-sol » exaspérerait à l’évidence joueurs et spectateurs. Il n’est certes pas besoin de connaître le solfège pour siffler un penalty.
Mais c’est bien du sifflement de l’homme heureux qu’il faut s’inquiéter. Tout comme le chant des oiseaux et le bourdonnement des abeilles, on entend moins celui qui relâche son trop plein de bonne humeur ou signifie dès l’aube sa foi dans chaque journée qui commence. Cependant le moment n’est pas toujours bien choisi. Imaginons un instant un bourreau aiguisant sa hache et sifflant à l’unisson de son condamné, tout à leur gaieté du travail en équipe. Ou encore tout un conseil des ministres en train de siffler à la tâche comme dans « Blanche Neige et les sept nains ». C’était en 1937. De l’eau a coulé sous les ponts depuis et les steamboat ne reviendront plus.
PHB
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Bonjour,
Très heureux de retrouver ce rendez-vous matinal.
En lisant le titre de votre article, fort sympathique et pertinent, je me disais que vous alliez nous dévoiler l’origine de cette expression. Du coup je suis allé la chercher sur expression.fr :
« Voilà une expression qui, lorsqu’elle est apparue au XVIe siècle, avait un sens autrement plus barbare.
En effet, à cette époque, le sifflet, au figuré, désignait le gosier, cet endroit où passe la trachée-artère par laquelle on respire et qui peut siffler, pendant certaines maladies. Alors couper le sifflet n’avait d’autre signification qu’égorger, ce qui était une excellente manière d’empêcher quelqu’un de s’exprimer. Définitivement.
On trouvait aussi « serrer le sifflet » pour étrangler.
C’est au cours du XVIIIe siècle que le sens s’est fortement atténué pour devenir celui d’aujourd’hui, lorsqu’on empêche une personne de s’exprimer en raison de l’étonnement, l’indignation ou la peur qu’on lui inflige. »
On pourrait en déduire que les mœurs se sont adoucies au fil des années, mais pas si sûr !
Dimanche après-midi, me baladant dans une forêt, sans masque car assez isolé, je sifflotais gaiement, ce qui m’arrive assez rarement (de siffler à l’extérieur). En vous lisant, je me suis demandé si c’était au même moment que vous rédigiez votre savoureux article. Troublant…
« ils sont presque tous au rencart » ?
Pas : « au rendez-vous » mais : à l’écart, » au rebut » ?
Au rancart, quoi .
Vous avez tout à fait raison, merci. PHB
Eh bien le sifflet est encore en usage au Jardin botanique des Serres d’Auteuil, où dix minutes avant l’heure de la fermeture, un gardien parcourt les lieux en sifflant bien fort.
Et ça marche très bien!
Ne pas oublier, cher Philippe Bonnet, les plus grands airs sifflés par Micheline Dax ! https://www.qobuz.com/fr-fr/album/les-plus-grands-airs-siffles-par-micheline-dax-micheline-dax/0724383353651
Remarquable en effet, toujours surprenante Micheline Dax, merci. PHB