Il n’y a pas que des coups de foudre amoureux, il y a aussi des coups de foudre scientifiques. C’est ce qui est arrivé à Nicole Ostrowsky lorsqu’elle a pénétré dans l’Exploratorium de San Francisco au début de l’année 1981. Elle fut tout simplement éblouie par ce musée dirigé par Frank Oppenheimer (frère de celui qu’on surnommera « le père de la bombe atomique »), sorte de Palais de la Découverte à la puissance cent, avec son immense espace dévolu au « Do it yourself », manipulations et expériences ouvertes à tout un chacun.
Pour Nicole, ce fut une révélation, elle qui avait toujours été une chercheuse passionnée d’enseignement. « Pour comprendre, il faut enseigner » est son mantra de toujours.
Cette chercheuse a connu un parcours brillantissime : CNRS, puis thèse de doctorat basée sur ses trois années à Harvard (1967-1969) dans le laboratoire du Professeur Bloembergen, en plein essor grâce à la découverte récente du laser.
Puis retour en France, au Laboratoire de Spectroscopie Hertzienne de l’ENS (aujourd’hui le Laboratoire Kastler-Brossel de l’École Normale Supérieure), où là aussi on développe une toute nouvelle technique, cette fois de corrélation des photons, « devenue aujourd’hui un outil indispensable de la mesure des tailles et interactions de microparticules en suspension dans les liquides ».
On la croit sur parole, bien qu’elle soit la modestie même, au contraire de ceux qui recherchent avidement la lumière médiatique, suivez mon regard…
Comment avoir une tête aussi bien faite ? Peut-être par hérédité, tout simplement. Sa mère et son père sont tous deux venus en 1930 de Lettonie en France, à dix-sept ans et munis de leur Bac, pour échapper au numérus clausus imposé aux juifs à l’université. Ils ne se connaissent pas, mais vont se rencontrer durant un séjour d’été dans leurs familles lettonnes respectives.
Judith et Joseph Polonsky se marient à Paris en septembre 1939, le jour de la déclaration de la guerre 39-45, et auront deux filles. La mère se consacre aux recherches pionnières sur la formule chimique des principes actifs des plantes (qui seront appliquées aux médicaments anti-cancéreux) à l’Institut de chimie de Gif-sur-Yvette, tandis que son époux fait une belle carrière chez Thomson-CSF, et sera un des pionniers du développement de la télévision en France.
Donc Nicole a de qui tenir, et sa sœur Irène, elle, se consacrera au développement de l’informatique naissante.
Lorsque Nicole éprouve la révélation de l’Exploratorium de San Francisco, elle a migré vers le sud depuis quelques années, pour le bonheur de son mari Dan Ostrowsky, Américain originaire de Floride, physicien rencontré à l’Institut d’Études Scientifiques de Cargèse en Corse. Ils vont donc chercher le soleil à Nice, et enseigneront tous les deux à l’université de Nice Sofia Antipolis.
Nicole y terminera sa carrière à la Direction du Laboratoire de Physique de la Matière Condensée (sic), tout en menant jusqu’à aujourd’hui toute une série d’actions de vulgarisation scientifique.
Au retour de San Francisco, elle va se lancer dans la création de l’Exploratoire, ensemble de montages scientifiques interactifs sur les mystères de base de la physique, chimie, optique, mécanique, etc. qui va « faire la joie de plus de 100.000 visiteurs dans les écoles, lycées, collèges et salles de fête du sud de la France », et finira par devenir une exposition itinérante du Palais de la Découverte.
« Les gosses adoraient », dit-elle aujourd’hui en se remémorant ces temps enthousiasmants, qui vont la conduire à l’étape suivante.
Cette étape se concrétise grâce à leur amie intime niçoise Susie Morgenstern, franco-américaine célèbre pour ses livres de jeunesse en français. Susie ayant conçu « L’Agenda de l’apprenti écrivain » en 2005 pour La Martinière Jeunesse, qui avait très bien marché, elle suggère à Nicole d’imaginer un équivalent dans le domaine des sciences. Ce fut le déclic de « l’Agenda de l’apprenti scientifique ».
L’idée allait plonger Nicole dans une série d’aventures étonnantes, aussi imprévues que celles de l’Exploratoire.
Elle choisit pour illustratrice celle de Susie, Theresa Bronn, autre américaine implantée en France, et elles se mirent assez vite d’accord sur les personnages principaux, des scientifiques en blouse mais sans tête, se prêtant à toutes les variations possibles. Si l’on se souvient du livre « Le charme discret de l’intestin » signé Giulia Enders, devenu best-seller en grande partie grâce aux dessins humoristiques de la sœur de l’auteure, on sera charmé encore davantage par l’inventivité des illustrations de Theresa, véritables contrepoints du texte, Nicole ayant laissé toute liberté à l’illustratrice.
Publié par Béatrice Decroix chez La Martinière Jeunesse en 2009, l’ouvrage se vend à près de 15 000 exemplaires, chiffre remarquable dans ce domaine, et sera traduit dans plusieurs langues, dont l’allemand et le chinois. La version anglaise va même devenir un best-seller en Inde, où Nicole et Dan se rendent chaque année depuis des décades à des séminaires scientifiques.
L’attaché scientifique du consulat français de Bangalore, siège de la haute technologie indienne, capitale de l’État de Karnataka comptant plus de 60 millions d’habitants, va déployer toute son énergie pour faire de Nicole une star locale. Le livre sera même traduit en kannada, privilège réservé jusqu’ici à Molière, Marivaux, Camus et Sartre !
Puis il sera au cœur d’un prix scientifique et circulera à travers le réseau de lycées français et les innombrables écoles et lycées de langue anglaise, de Bangalore à New Delhi en passant par Madras (Chennai).
En 2013, en pleine rue, un panneau géant avec le visage souriant de « Professor Nicole Ostrowsky Professor Emeritus » accueillera la scientifique dans la « petite ville » de Vizakhapatnam de plus de 5 millions d’habitants, où des centaines de lycéennes et lycéens en uniforme de toute la région viendront la voir présenter « The Agenda of the Apprentice Scientist » (1).
« Professor Ostrowsky » attribue ce succès indien au fait que le principe de son Carnet est basé sur des expérimentations très simples, donc pratiquement zéro matériel, mais permettant de pénétrer les mystères de la science.
Comment résister à un tel phénomène ? La Martinière Jeunesse a procédé à une nouvelle édition en 2018, demandant à l’auteure de réduire l’Agenda à un Carnet de 293 pages au lieu de 365. Ce qui donne un bel ouvrage cartonné pesant son poids de science, commençant par une première page à petit carreaux et dessins, avec cette question : « Un scientifique c’est quoi ? », et se terminant par la page 293 « Quelle image as-tu d’un scientifique ? ».
Entretemps, tous les apprentis scientifiques de 7 à 107 ans auront fait, crayon à la main, «une belle balade à travers les sciences au gré de ma fantaisie», dixit Nicole qui a fait fi de toute classification.
Lise Bloch-Morhange
Très chère Lise,
Un livre à lire et à offrir autour de soi apparemment…
Vous évoquez dans votre article « Le charme discret de l’intestin » de Giulia Enders, devenu un best-seller en grande partie grâce aux dessins humoristiques de sa sœur. Je me permets de vous remettre le lien vers la chronique que j’en avais faite à l’époque dans Les Soirées de Paris : https://www.lessoireesdeparis.com/2017/01/04/lart-delicat-dune-digestion-bien-reussie/
Bien cordialement,
Merci Lise
m’en vais regarder ce livre avec ma petite fille de sept ans et moi…
Merci Lise d’avoir écrit un si joli article sur Nicole et son livre qui a fait la joie de mes petits enfants . J’adore la façon dont tu sais parler de ma soeur et tellement de souvenirs me remontent depuis le lycée Camille See… affectueusement. Irene
Merci Irene de ton enthousiame,
ah le lycee Camille Sée!
Kisses from Lise