Sainte Geneviève aux abonnés absents

Depuis près de 1600 ans que Sainte Geneviève est censée veiller sur la capitale, la lassitude est semble-t-il venue. Et avec cette retraite sûrement bien méritée, les miracles dont elle était prodigue, ont disparu. Alors que les élections municipales sont toutes proches, que Paris s’apprête à élire un maire, il est permis de regretter celle qui avait fait de l’unification des peuples de la Gaule romaine, l’un des objectifs de sa vie consacrée. Opportunément, les éditions de l’Archipel viennent de réimprimer l’une de ses principales biographies. La première avait été rédigée au tout début du 6e siècle soit quelques années après la mort de Geneviève. Elle avait été rédigée par un moine en latin et ce qui est extraordinaire, c’est que cette Vita beatae Genovefae Virginis, est toujours conservée à la bibliothèque Sainte-Geneviève place du Panthéon ainsi qu’à la bibliothèque de l’Arsenal. Sur cette base, la biographie signée Geneviève Chauvel, nous offre une haletante plongée dans l’histoire de Paris.

La date de sa naissance comme celle de sa mort sont sujettes à caution. Il est entendu qu’elle a vécu du 4e au 5e siècle. On ne sait pas vraiment si elle a expiré avant Clovis qu’elle avait convaincu de se joindre à la foi chrétienne catholique ou juste après. Mais elle a tenu le coup très longtemps, aux alentours de quatre-vingt ans, ce qui est assez remarquable pour l’époque.

Geneviève Chauvel nous offre un passionnant aperçu de la vie de cette sainte qui est toujours honorée à l’église Saint-Étienne-du-Mont son quartier de prédilection, tout en haut de la colline qui porte son nom, dans l’actuel cinquième arrondissement. Mais l’auteur nous dirige d’emblée à Nanterre (banlieue parisienne), là où la petite fille a grandi au sein d’une famille très aisée. Tout le talent de l’historiographe est précisément de nous y transporter, littéralement. Son écriture provoque un étonnant défilé d’images d’une période bien difficile à imaginer. Mais, grâce à elle, nous y sommes. La future sainte n’est pas une petite fille normale puisqu’elle comprend prématurément, suite à la visite de deux évêques qu’elle a été désignée par Dieu. Sa mère se révolte contre la destinée promise à son enfant unique au point que la colère lui en fait perdre la vue. C’est alors que sa fille découvre ses pouvoirs extraordinaires. En mouillant l’eau du puits de ses larmes, eau qu’elle est allée quérir pour sa mère, elle lui rend la vue. Toute sa vie Geneviève va commettre toute une série de miracles et de prodiges qui contribueront à sa grande notoriété. Ce qui ne veut pas dire qu’elle aura une vie facile, bien au contraire. Mais de son intelligence avec Dieu, de son sens stratégique fort développé, elle va devenir une femme politique de premier plan. Au point de s’imposer parmi les dix principales composant en quelque sorte le conseil municipal de ce qui n’était pas encore tout à fait Paris. Et ce malgré ceux qui juraient sa perte et en faisant notamment courir des rumeurs sur la perte de sa virginité.

Politique, convaincante, il fallait qu’elle le fût pour calmer la panique qui saisira les Parisiens lesquels pensaient fort que leur ville allait être dévastée par Attila, chef des terribles Huns. Ceux qui ne quittaient jamais leur cheval, parti-pris leur permettant de cuire leur rumsteak directement sous la selle, grâce aux frictions de leur perpétuelle chevauchée. Geneviève avait bien compris qu’Attila et son armée de 600.000 hommes ne s’intéressaient pas à Paris, ce qui démontrait là encore, un sens politique pas si courant dans une Europe ultra-divisée, morcelée, où la guerre était une constante. Cette ambiance est très habilement restituée par l’auteur de la biographie ce qui fait que l’on se sent au choix, un peu wisigoth, burgonde ou franc et pas mal gallo-romain. Depuis que l’ on a obtenu l’Union européenne, il n’est pas inutile d’en revenir aux origines.

Cette narration nous tient en haleine jusqu’au bout, tout en nous faisant découvrir de multiples personnages comme Childéric, roi des Francs saliens. Elle nous le présente en termes retenus comme un séducteur compulsif jusqu’à ce qu’il se marie avec Basine de Thuringe. Bien qu’elle soit déjà une femme mûre, Geneviève saura également le séduire pour arriver à ses fins et notamment obtenir avec une remarquable ténacité, que Clovis fils de Childéric et futur roi païen se convertisse à la foi chrétienne sous la houlette de l’évêque de Reims, Rémi. Évêque avec lequel la sainte avait noué d’étroites relations. Le rôle de Geneviève a été diminué dans cette opération, cette biographie lui rend en l’occurrence toute sa part. Puisque l’on peut ainsi dire, que la famula dei (la servante de Dieu) a fortement contribué à l’émergence de la France moderne.

Belle épopée qui nous est livrée là. Et qui fait que l’on ne se promène plus sans une certaine émotion sur la montagne Sainte-Geneviève (ci-contre) et singulièrement à l’intérieur de l’église Saint-Étienne-du-Mont qui lui réserve un culte. À considérer tous les ex-voto qui garnissent les murs, on ne peut que constater que les Parisiens et les fidèles de passage, l’ont longtemps implorée pour qu’elle leur vienne en aide, y compris lors des inondations de 1910 ou de la guerre de 1914. Il nous viendrait presque à l’idée que Dieu s’est détourné de Paris depuis un bon moment et que l’incendie de la cathédrale en 2019 en était l’un des signes. De nos jours l’onction divine a fichu le camp, l’heure est à la réouverture des terrasses et l’on ne trouve plus guère de béatitude que dans l’Aperol Spritz et le scrutin à deux tours.

PHB

« Sainte-Geneviève, premier maire de Paris », Geneviève Chauvel, préface de Jean-François Kahn, éditions de l’Archipel, 20 euros

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2 réponses à Sainte Geneviève aux abonnés absents

  1. anne chantal dit :

    Une exposition , bien documentée, sur Sainte Geneviève a eu lieu à la mairie du 5ème, fin 2019 ou début 2020, je ne me souviens plus; mais sachez que l’arrondissement ne l’a pas oubliée !

  2. BM Flourez dit :

    Peut-être faut-il passer par une nuit obscure pour retrouver le goût d’autres lumières ? La colère peut rendre aveugle, comme l’oubli de l’histoire. Sans doute faut-il comprendre que retrouver la vue c’est d’abord voir autrement. Et sans doute le « sens politique » de Sainte Geneviève lui venait de ce savoir voir autrement.
    « Les étoiles mouraient dans ce beau ciel d’automne
    Comme la mémoire s’éteint dans le cerveau
    De ces pauvres vieillards qui tentent de se souvenir
    Nous étions là mourant de la mort des étoiles
    Et sur le front ténébreux aux livides lueurs
    Nous ne savions plus que dire avec désespoir
    ILS ONT MEME ASSASSINE LES CONSTELLATIONS
    Mais une grande voix venue d’un mégaphone
    Dont le pavillon sortait
    De je ne sais quel unanime poste de commandement
    La voix du capitaine inconnu qui nous sauve toujours cria
    IL EST GRAND TEMPS DE RALLUMER LES ETOILES »
    G A

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