Le peintre Georges Braque a occupé un temps un atelier tout en haut de l’hôtel Roma, rue Caulaincourt à Paris. Par un phénomène d’enchaînement, d’autres artistes de la même veine moderne vinrent progressivement s’y installer afin de pratiquer le cubisme dans une ambiance favorable. Il semble que l’hôtel existe toujours mais que que sa direction a préféré, peut-être pour ne pas effrayer les touristes, garnir ses murs de réalisations impressionnistes. Mais dans ces glorieuses années où l’art moderne prenait son essor et devant la fréquentation de l’établissement qui attirait à lui les peintres en devenir, Georges Braque avait suggéré au patron de l’hôtel d’installer une « plaque émaillée » indiquant la mention « Cubistes à tous les étages. » Cette information amusante a été donnée par Guillaume Apollinaire dans un journal paru un 26 mai. Le seul défaut (mineur) d’un livre attachant élaboré par Pierre Caizergues en 1980, c’est qu’il mentionne rarement l’année de même que le support sur lequel il a été imprimé. Certains détails permettent cependant de deviner.
Le livre s’intitule « Petites flâneries d’art », à l’enseigne des éditions Fata Morgana. Il opère une sélection d’articles que Apollinaire livrait à différentes revues afin de faire bouillir la marmite au propre comme au figuré. On y trouve tout ce qui pouvait frapper la fantaisie et l’imagination du poète, comme l’art du vitrail au 19e siècle ou encore « Le socialisme et l’art », article dans lequel Apollinaire mentionne incidemment Marcel Sembat. Un nom qui évoque davantage une station de métro à Boulogne-Billancourt, achevée en 1934. Apollinaire parle de Marcel Sembat comme d’un socialiste doté d’un esprit libre, mais en fin d’ouvrage on apprend surtout que ce sous-secrétaire d’État dans le gouvernement Poincaré, fut à la Chambre des députés, lors d’une séance en 1912, un ardent défenseur du cubisme. Ce que ne manqua pas de remarquer Apollinaire. Et cette info vient définitivement changer notre perception de cette banale bouche de métro.
Ce recueil est un séduisant fourre-tout qui montre bien que l’échotier Apollinaire faisait de toute matière sa pitance, comme par exemple l’École des Beaux-Arts de Tananarive à Madagascar. Et il s’intéressa aussi aux Toulouse-Lautrec du docteur Billard dont les confidences dans le journal l’Éclair l’avaient interpellé. Comme quoi il prenait parfois soin de citer ses sources ce qui n’est pas si courant. Toujours est-il que visiblement amusé, Apollinaire raconte l’histoire de cet homme qui possédait 87 tableaux de Toulouse-Lautrec. Lesquels tableaux traînaient dans l’atelier de l’artiste après sa mort. Le docteur les avait trouvés en l’état après avoir succédé au peintre comme locataire des lieux. Des toiles, il fit des torchons. Des châssis, il fit des coffrets. Mais sa bonne en sauva quelques uns et cet inconséquent docteur Billard, se demandait dans l’Éclair si un Toulouse-Lautrec entré au Louvre n’était pas, précisément, un de ceux sauvés par sa domestique. Le journaliste n’en rapporta pas plus.
Apollinaire disposait selon toute apparence d’une liberté totale d’écriture. Latitude qu’il devait sans doute à une notoriété qui montait en flèche. Ce qui lui a permis de rédiger un jour cette nouvelle humoristique en direction de deux de ses amis: « Le peintre du Pont de Chatou, Maurice de Vlaminck et M. Henry Kahnweiler partiront dimanche sur leur voilier, le Saint-Matorel, qui tire son nom des ouvrages de Max Jacob. Cette importante croisière s’effectuera entre Bougival et le pont de Suresnes. Le soir, si la tempête n’a point détruit le vaisseau et son équipage, Maurice de Vlaminck ira voir les ballets russes en compagnie de la jeune peintresse Madeleine Berly qui va exécuter une série de peintures vivement colorées, inspirées par ces lyriques mouvements de la Karsaniva, de Michel Fokine et de Léonide Massine ». Cette dernière précision permet de dater ce petit texte en 1909 puisque la première des ballets eut lieu au théâtre du Châtelet en mai de la même année.
À l’occasion Apollinaire ne manquait pas de faire la promotion des Soirées de Paris et notamment le dernier numéro, celui de juillet-août 1914, lequel comprenait en autres richesses des portraits signés Marius de Zayas (Vollard, Picabia, Stieglitz, Apollinaire…) dont on ne se lasse pas depuis la reparution des Soirées en 2010, de souligner le talent.
PHB
« Petites flâneries d’art » par Guillaume Apollinaire, « retrouvés, annotés et préfacés » par Pierre Caizergue. Éditions Fata Morgana (1980)
Marcel Sembat était le conjoint de Georgette Agutte peintre impressinniste amie
de Matisse.
La maison atelier de Agutte-Sembat est visible et visitable à Bonnières sur Seine
Merci de la précision! PHB
Cher Philippe Bonnet, l’article d’Apollinaire sur l’hôtel Roma a paru dans « Paris-Journal » du 26 mai 1914. Brigitte Leal a consacré à l’hôtel une notice substantielle dans le « Dictionnaire du cubisme » qu’elle a dirigé dans la collection « Bouquins ».
Cet atelier de Braque rue Caulaincourt a été décrit par Kahnweiler dans un article, « Werkstätten », donné à la revue de Wilhelm Uhde « Die Freude », juillet 1920. Breton a évoqué le lieu dans une lettre à Jacques Doucet du 18 juillet 1921 où il rend compte d’une visite à Braque.
C’est aussi à « Paris-Journal » (20 juin 1914) qu’Apollinaire a publié l’article « Les Toulouse-Lautrec du docteur ».
Bien amicalement.
Merci de toutes ces intéressantes précisions, cher Etienne-Alain Hubert. Avec ma sincère et amicale considération. PHB