Le samedi 20 avril 1957, les Éditions Pierre Tisné, achevaient d’imprimer l’une des plus marquantes monographies de Hyeronymus Bosch. Son auteur, Jacques Combe, s’attaquait ce faisant à un artiste extraordinaire dont il rappelait dès la première page qu’il n’existait « pas un tableau daté, pas un témoignage contemporain ». Tout est à « reconstituer » admettait-il logiquement. Ce qui est drôle c’est que l’on ne sait pratiquement rien non plus de Jacques Combe. Autrement dit, Google ne sait pas. La BnF mentionne qu’il est décédé en 1993 mais la date de naissance est introuvable. Concernant celui que l’on appelait plus communément Jérôme Bosch, on en sait un peu plus. Il est probablement né en 1450 à Hertogenbosch (Bois-le-Duc) en Hollande et aurait rendu l’âme en 1516. La vraie question reste cependant de savoir, en tout cas d’essayer, comment Bosch a pu imaginer un univers aussi fantasmagorique, tel « Le jardin des délices ».
Prudemment, Jacques Combe évoque la « familiarité » de Bosch avec les « démarches sous-jacentes de la conscience (…) et ses développements les moins saisissables ». Plus loin il tente un parallèle avec « les échelles hallucinantes, les croissances troubles de chairs impossibles, les rencontres lourdes d’un sens obscur des objets les moins faits pour se rencontrer » chez Salvador Dali. La comparaison est pertinente. Cependant qu’il ne se risque pas à évaluer une autre piste, celle de la prise de drogues hallucinogènes. Le 15e siècle n’en manquait pas comme la mandragore ou le datura. Cette réserve de l’auteur peut se comprendre dans la mesure où, dans les années cinquante, le LSD avait certes été déjà inventé, mais il ne connaissait pas encore l’engouement de la fin des années soixante. En France le président s’appelait René Coty, aux États Unis régnait Eisenhower et la tendance était aux jeunesses saines, nattes pour les filles et coupes en brosse pour les garçons. Comme boisson forte on leur donnait du Coca-Cola.
Lorsque le groupe de rock Deep Purple sort son troisième album en 1969, il choisit pour honorer sa pochette l’un des panneaux du triptyque de Jérôme Bosch, le « Jardin des délices ». Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard. Cette année-là, les drogues hallucinogènes (champignons, LSD…) se sont fortement popularisées, notamment chez les musiciens pop. Or ceux qui ont connu ce genre d’expériences ne peuvent que se sentir interpellés face aux plus délirantes mises en scène de Jérôme Bosch.
Certes il n’avait pas été le premier à dessiner ou peindre d’extravagants personnages. Pertinemment, la monographie de Jacques Combe, contient d’ailleurs des xylographies de la même époque ayant pu l’inspirer, comme une Vénus circulant dans le ciel juchée sur un poisson. Dans le même ordre d’idées, les gargouilles offrent un intéressant miroir de l’expression monstrueuse.
Jérôme Bosch n’avait pas le monopole du genre sauf qu’il est est allé beaucoup plus loin, après des débuts presque raisonnables comme dans ses « Péchés capitaux » que l’on peut admirer au musée du Prado, ou encore « L’escamoteur » visible au musée de Saint-Germain-en-Laye. C’est à partir du « Char de foin » qu’il commence à lâcher les freins. L’entrée des damnés en enfer, ou encore son exécution des démons construisant une tour dans la même étoile, témoignent déjà de sa capacité hors normes à bâtit un univers cauchemardesque, proprement terrorisant.
Sa « Tentation de Saint-Antoine » avec ce poisson en guise de bateau et faisant la pêche aux démons dans un lieu évoquant une bouche d’égout, accentue encore sa capacité débridée à mettre en scène des mondes théoriquement inconcevables.
Mais c’est bien avec ce « Jardin des délices » (partie droite ci-contre) que Bosch commet une scène totalement folle sur un triptyque qu’il avait décidé d’orner, dans sa position fermée, avec un motif représentant la création du monde. Jacques Combe y voyait une « préface au processus de décadence illustré par les trois panneaux ». C’est tout à fait juste. Dans l’ordre on y voit le paradis terrestre, le paradis céleste et surtout l’enfer dont le caractère singulièrement hideux, démoniaque, constitue une performance stupéfiante. On y trouve notamment cet œuf que Jacques Combe décrit comme une « auberge à l’enseigne de la cornemuse où les magiciens assis sur des crapauds sont servis par une sorcière ». L’ensemble a probablement été réalisé à la fin de sa carrière, nulle datation ne permet de l’affirmer, cependant qu’à analyser l’évolution de son travail, c’est plus que probable. C’est quoiqu’il en soit, un travail de virtuose qui laisse bouche bée.
« La décision avec laquelle il s’est écarté de toutes les formes de ce qu’on nomme grossièrement le réalisme (…), les mouvements mentaux dont la conscience est le théâtre, font de lui l’inventeur d’une peinture entièrement neuve, d’une manière où personne ne s’est aventuré après lui avec autant de netteté », ainsi disait Jacques Combe dans sa conclusion. Quelque cinq siècles après sa naissance, Jérôme Bosch reste confiné dans un mystère épais. Seules ses œuvres, du moins celles qui n’ont pas été perdues, parlent pour lui. La richesse du fumet qui s’en dégage nous fait pousser de drôles de cornes.
PHB
« Hyeronymus Bosch » par Jacques Combe, éditions Pierre Tisné (1957)
Le 20 avril 1957, une date cruciale pour Les Soirées de Paris…
Ce 20 avril 2020, en ces temps inédits, l’intrus perturbateur et tueur qui règne sur le monde actuel aurait pu être dessiné avec génie par Bosch; et d’ailleurs si vous cherchez bien, vous trouverez sûrement son image du côté des damnés de l’enfer .Ou vous l’inventerez..Ce peintre nous permet tous les fantasmes dérivant d’une folle imagination.